Yiddish or when psychoanalysis meets linguistic and social studies
Dans ce livre, Max Kohn continue sa quête personnelle qui interroge non seulement l’enracinement et la survie de la langue yiddish, mais pose aussi la question du fondement de cette langue d’origine à sa propre inscription dans la langue maternelle. En quelle mesure ces rencontres font elles événement psychanalytique ? Dans ce qui est « « dit » de commun concernant la Shoah et la « Vernichtung », le « Hourban » (destruction), la singularité de chaque locuteur dans son vécu, son approche de l’anéantissement et de la survie, impose une lecture chaque fois renouvelée.
L’auteur nous propose la rencontre de nombreux locuteurs en yiddish grâce à son voyage à travers le monde qui avait pour visée de retrouver les traces et les restes de disparus auxquels il redonne vie grâce à l’évocation de leur histoire par des survivants qui les font revivre dans leur langue yiddish malgré les corps disparus. L’auteur nous fait débusquer, saisir entre les lignes, ressentir les signes, signifiants de cette langue rescapée, devenue langue des rescapés. Il nous fait entendre comment chaque locuteur qu’il a rencontré, qu’il soit français, allemand, américain, argentin, s’y est pris pour maintenir pour lui-même le yiddish vivant.
Dans les interviews, les entretiens recueillis sont autant de témoignages de la vitalité du yiddish, il ne s’agit pas d’une simple enquête, Kohn est aussi présent dans ces échanges qui ne se limitent pas à la seule prise de notes qui se voudraient objectives, il y est comme sujet et non comme intervieweur qui cherche à faire valoir son savoir-faire et sa compétence. Ces rencontres sont étrangères puisqu’elles se répartissent avec des locuteurs vivants dans divers pays et en même temps elles sont familières puisqu’elles utilisent une langue commune, le yiddish.
Dès l’introduction de ce livre, l’auteur fait entendre que le yiddish s’inscrit dans un écart à la langue sacrée de la Bible : l’hébreu. Ce qui confère à cette langue vernaculaire un statut particulier : langue du quotidien qui a servi à régler les événements journaliers. C’est surtout avec l’avènement des Lumières, la Haskala (Education) accordant l’émancipation aux Juifs à partir du milieu du XVIIIème siècle en Allemagne, ayant pour visée d’intégrer les communautés juives ashkénazes par le biais de la culture et de l’adoption des langues du pays où ils vivent, que cette volonté d’intégration va gagner l’ensemble des pays de l’Europe occidentale dont la France.
Ce livre qui nous met en situation de recherche de réflexions concernant la vie, la mort ou plutôt la survie du yiddish par la rencontre de locuteurs vivants, nous fait saisir que cette langue est bien vivante, dans ce monde contemporain quelque peu déboussolé, cette langue apporte une boussole et maintient fermement l’enracinement de cette langue juive non pas tant dans une tradition que dans une culture juive qui trouve différentes expressions actuelles dans la poésie, le roman, le théâtre.
A la recherche de cette langue, Kohn sillonne différents cafés à Paris mais aussi le monde pour rencontrer des yiddishophones dont un certain nombre de personnalités dont Alex Dafner, producteur des émissions en yiddish sur SBS en Australie, Samuel Pisar, Elie Wiesel entre autres. L’auteur prend également appui sur la littérature et se réfère à des d’écrivains tels que Franz Kafka, Imre Kertész ou Cyrille Fleischman.
Qu’est-ce que ces rencontres ont pu changer dans la vie de Kohn, puisqu’elles font événement pour lui ? Il parle alors de « transfert latéral », il s’agit d’un mouvement affectif que nous rencontrons en permanence dans la société lorsque nous éprouvons amour, haine ou même indifférence pour certaines personnes, et ce sont ces transferts (non analytiques, puisqu’ils ne sont pas analysés dans le cadre de la cure) qui colorent les rencontres. L’événement est de souligner que le yiddish est une matière vivante, elle meurt mais pas complètement, les traces et les restes qu’on redécouvre et qui se maintiennent la font renaître. Cette langue a été la langue de nombreux Juifs européens qui ont participé à la culture et à l’histoire de la modernité. Comme a pu le souligner Hannah Arendt, « les judéo-langues se constituent comme langues interstitielles au contact de langues environnantes et aux langues liées aux textes sacrés ».
L’intérêt du livre de Kohn est de nous permettre de saisir la vitalité de la langue yiddish dans le monde, tout en sachant que la destruction, la pulsion de mort qui traverse toutes les langues vivantes la guette, à tout instant, chaque fois le yiddish sait renaître de ses cendres. Kohn, dans les conversations qu’il nous livre, parvient, malgré la disparition de nombre de ses locuteurs, à nous faire saisir la dimension créatrice de cette langue, grâce à sa créolisation et les influences culturelles des pays où les Juifs continuent à la parler. Bien que standardisé par le YIVO, il faudra s’attendre à ce que le yiddish prenne une musicalité différente d’un pays à l’autre. Dans la mesure où elle continue à se maintenir dans la transmission familiale, comme a pu le faire savoir Perla Sneh, on continue à parler du yiddish en espagnol, c’est aussi vrai pour les autres nationalités, c’est le mameloshn qui se perd, les mères ne parlent plus en yiddish à leur enfant. Le yiddish devient une langue d’enseignement qui se parle entre initiés et érudits mais pas seulement, c’est la langue du souvenir mais pas seulement. Elle reste la langue du cœur dans laquelle se maintiennent les affects du passé, de la tradition familiale. Ce que je constate c’est que certains mots et certaines expressions se maintiennent dans les familles, il est bon de ne jamais oublier de faire savoir d’où proviennent ces mots et quelle histoire les accompagne.
Robert Samacher
Robert Samacher est psychanalyste, directeur de l’École Freudienne, fondée en 1983 par Solange Faladé. Il a travaillé comme psychologue clinicien en secteur psychiatrique et comme Maître de Conférences à l’université Paris Diderot – Paris 7.
L’événement psychanalytique dans les entretiens en yiddish
Max Kohn
préface de Robert Samacher
Collection « Culture & Langage », Paris, MJW Fédition. 22€
WUKALI 27/10/2015
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