Isao Takahata movies, a world of reality and humble poetry


Souvenir goutte à goutte ( おもひでぽろぽろ Omohide poro poro) est un film de Isao Takahata (l’auteur du Tombeau des lucioles 火垂るの墓, Hotaru no haka) réalisé en 1991. Faut-il rappeler que Isao Takahata est co-fondateur avec Hayao Miyazaki des studios Ghibli.

On retrouve dans ce dessin animé tous les ingrédients et savoir faire de cet immense maître japonais. On est bien loin des effets spéciaux, des systèmes d’animation et de technologies sophistiqués. Pas davantage dans un univers fantastique de conte de fées de science fiction largement répandu au cinéma. Pas de couleurs criardes ou violentes mais en revanche des tons sobres, pastels et souvent froids. L’émotion n’est pas dans le dessin des visages mais dans les relations entre les êtres

En réalité Isao Takahata, 高畑・勲, est le continuatueur, le respectable élève d’une culture japonaise où n’existe point de barrière entre le monde de l’enfance ou celui de l adulte, entre le moment présent et la tradition et l’histoire, entre les gens d’en haut et le petit peuple, un peu à la manière d’un Hokusai qui aimait à dessiner des gens simples avec beaucoup d’humour ou de poésie.

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Isao Takahata est avant tout un raconteur d’histoire, la grande comme la petite et tisse les liens indispensables pour comprendre le Japon et les gens qui l’habitent quelle que soit la période de temps concerné. C’est donc aussi un médiateur, un sage. Son regard sur le monde présent est toujours emprunt d’une vison sociale humble et respectueuse ce qui n’empêche pas au demeurant une certaine critique. C’est un homme de métier, un cinéaste aguerri, et ses focales sont particulièrement soignées avec un souci de l’équilibre.


Souvenir goutte à goutte est un film plein de grâce légère et de poésie, simple, rustique. Il a l’odeur de la terre chaude et humide dans les rizières et le parfum des fleurs dont les pétales comme les papillons sont portés par le vent. L’histoire qu’il déroule se passe dix ans après la fin de la guerre.

Ce film possède les grâces de ces émerveillements et de ces douleurs de l’enfance, refusant la mièvrerie et les fadaises. C’est un cinéma de justesse et de tendresse qui ne méprise pas les réalités du quotidien. Faut il rappeler que Isao Takahata est un grand connaisseur des poésies de Jacques Prévert.

Déjà dans Le Tombeau des lucioles

, un véritable chef d’oeuvre, on était bouleversé par l’émotion contenue et retenue, si japonaise, cette exaltation de la force du sentiment intériorisée, et ces jeunes personnages, ces petits frères, étaient sans le savoir les héros tragiques et cathartiques d’un temps de douleurs et de l’histoire du Japon. Précisément le dessin animé était là comme un filtre pour épurer le trop plein d’émotion, ce sanglot étouffé dans la gorge, et restituer au réel une apesanteur incarnée par des enfants. C’est d’ailleurs là aussi une des caractéristiques du dessin japonais inscrit dans la tradition artistique et culturelle du pays et aujourd’hui les mangas lus par des adultes comme par des publics bien plus jeunes, ont le plus souvent des adolescents archétypaux pour héros et non point des adultes (voir mon article précédent dans cette rubrique). Ce prisme n’est pas celui des publics occidentaux et peut parfois surprendre.

Même démarche conceptuelle dans Souvenir goutte à goutte. Le traitement de l’image est sobre et raffiné, avec une force supplémentaire pour les retours au temps d’autrefois ou la séquence sur les quartiers chauds de la grande ville. Tout au long du film, une infinie poésie, des images très soignées, avec quelques détails raffinés comme des notes de musique: des fleurs, des épis de riz, l’eau tout simplement, un petit chat qui se lèche.

Tout d’abord construit autour des relations inter enfantines, le scénario très bien travaillé avec ses retours en arrière, se structure comme une montée vers le lieu nodal de la tragédie quand le réel fait irruption dramatiquement dans l’univers de ces garçons et fillettes. Le dessin des visages est celui des mangas, c ‘est à dire réduit au minimum, l’émotion et la vérité sont bien ailleurs et c’est cette force incroyable et bouleversante que possèdent tous les films de Isao Takahata.

Pierre-Alain Lévy


WUKALI 07/11/2015
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