Rivalries between Europeans and Turks during the XVIth century


Une des rares dates de l’Histoire de France, connue par tous les Français, est celle de 1515  : La bataille de Marignan qui vit le triomphe de François Ier, et de ses alliés vénitiens, sur les mercenaires suisses défendant le duché de Milan.

L’intense propagande qui suivit ce rude combat a réussi puisque la date est restée enracinée en nous…L’image d’Épinal du « beau roi », sacré chevalier sur le champ de bataille par le populaire Bayard, est entrée dans notre mémoire collective.
Sans s’arrêter sur la vérité du combat, qui n’a rien à voir avec ce que la mythologie créée à cette occasion par le matraquage officiel veut bien nous dire, rappelons que le roi de France avait du payer Henri VIII d’Angleterre et le jeune Charles Quint pour obtenir leur neutralité.|left>

Dans la foulée de la célébration de cette victoire, tous les manuels d’histoire parlent de la suite avec moins d’enthousiasme : la lutte à outrance qui opposa les trois hommes pour la prépondérance en Europe. Tous soulignent la victoire finale de Charles Quint qui devint le premier souverain du continent…Sans même préciser que la moitié orientale du dit continent était sous la botte turque, avec le Sultan aux portes de Vienne

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Et pas n’importe quel sultan, un des plus fameux de l’histoire ottomane: Soliman le Magnifique (1495-1566) dont on vient de retrouver la tombe en Hongrie (voir l’article de Pierre-Alain Lévy qui est consacré à cette découverte).

Nous savons relativement peu de choses avérées sur l’être humain qu’était cet homme. En revanche, pour la tradition européenne c’est un monstre assoiffé de sang, un barbare qui ne pense qu’à piller, détruire, assassiner, une sorte d’Attila oriental…

Rien n’est plus faux : sans avoir une immense culture, c’était un homme intelligent qui suivait de très près les événements en Europe. |right>

Un exemple ? Lorsque l’ambassadeur de Charles Quint vint lui dire que tous les habitants de l’Empire obéissaient au doigt et à l’œil à l’Empereur, la réponse du Sultan fusa : «  je ne savais pas que l’Empereur Charles avait fait la paix avec Luther !  ».

La tradition occidentale a longtemps refusé de voir en Soliman autre chose que ce «  vandale ignorant  ». Seulement à notre époque, les historiens ont compris qu’il était, avant tout, un empereur turc, dirigeant d’une main de fer un empire multi-ethnique et multi-culturel.

Ce qui ne signifie pas qu’il n’avait pas de défauts, loin de là… Atteint d’une « hypertrophie du moi » caractérisée, il ne supportait pas l’idée qu’un autre souverain soit aussi puissant que lui, pouvant même lui contester la prédominance mondiale. C’est si vrai qu’il n’appelait Charles Quint que : « le Roi d’Espagne » ! Terme réducteur pour le moins…

Un autre de ses manques consistait à se considérer comme « un grand conquérant » : du fait de son ego surdimensionné, il s’affirmait l’égal d’Alexandre ou de César... La réalité c’était qu’il disposait de la meilleure et de la plus nombreuse des armées de l’époque mais, sous son commandement direct, elle échoua à prendre Vienne (1529), malgré un siège de six semaines, malgré le nombre des assaillants (plus de cent mille turcs faisant face à moins de trente mille impériaux)…Dégoûté, tournant le dos à l’Europe, Soliman préféra aller guerroyer en Asie mineure contre les Perses et les Arabes de la péninsule arabique, là où les victoires furent plus faciles…Il s’empara d’abord de Bagdad, puis de toute la Mésopotamie en 1554...

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Cette bataille pour Vienne décida du sort de l’Europe de l’époque. Cette victoire fut considéré comme un miracle, comme soufflée par Dieu…Surtout que Ferdinand, frère de Charles Quint et gouvernant pour lui à Vienne, n’avait pas reçu de renforts de son aîné…

Nous rappellerons qu’il y eut deux batailles de Vienne : celle décrite ici, en 1529, la seconde en 1683, qui brisa définitivement le rêve des Turcs de conquête de l’Europe et d’islamisation du monde connu d’alors.
Une des « conséquences », induite et inattendue, du siège de 1683 fut la création de la pâtisserie dite « le croissant », mondialement célèbre.

Pour en revenir à notre sujet, un petit retour en arrière : nous avons tous appris, à l’école, l’histoire du « Camp du drap d’or », où François Ier reçut Henri VIII d’Angleterre : le faste déployé par le monarque français déplut tant à l’autocrate anglais qu’il s’allia avec Charles Quint...

Il ne s’agit pas, ici, de refaire l’histoire ni de raconter par le détail les événements : pour cela, il suffit de lire des livres d’histoire de troisième ! Non, l’idée c’est d’essayer de comprendre la situation géopolitique de cette période troublée et d’en regarder les conséquences.

L’or des Amériques n’a vraiment commencé à arriver sur notre continent qu’après les triomphes des conquistadors, vers 1530/1550. A ce moment-là, Soliman est battu sous les murs de Vienne…Ce qui implique que la victoire de Charles Quint ne doit rien à la supposée abondance du métal jaune en terre européenne. |left>

L’Empereur était un homme de devoir, vis-à-vis de sa famille, de sa charge, de ses sujets, de la « Sainte Église » aussi et surtout… Sa grande vision est assez romantique : l’unité des chrétiens sous son sceptre, dans un grand « délire carolingien », puis détruire l’Empire ottoman et libérer les lieux saints… Il y eut une esquisse de réalisation de cette chimère : par deux fois, les troupes impériales prirent Tunis d’assaut mais échouèrent devant Alger… De plus, les Réformés sauront lui signifier que la période médiévale était terminée…

Comme chacun sait, il finira par se retirer dans un monastère espagnol (Yuste) après avoir abdiquer en faveur de son fils Philippe II (1555). Il se sentait las, avait le sentiment d’un échec complet. Il mourut en 1558. Ses cendres furent transférées dans la nécropole royale de l’Escurial en 1574. Philippe fit créer par Leone et Pompeo Leoni un magnifique cénotaphe en mémoire de son père, aujourd’hui toujours visible à l’intérieur de la crypte.

Quant à son adversaire acharné, le roi François Ier, s’il a été vaincu par Charles Quint, et malgré sa captivité après la bataille de Pavie (1525), il a sauvé l’essentiel : l’indépendance de son royaume, transmis à peu près intact à son fils Henri II à sa mort, en 1547… Mais à quel prix ! Sans la montée en flèche de la démographie et les richesses créées par la vitalité paysanne et le commerce florissant, la catastrophe serait arrivée : l’effondrement de l’état, ruiné par toutes ces guerres…

Henri VIII d’Angleterre est un être d’une toute autre nature  car sa personnalité est double :
– D’un côté, d’un naturel sournois, il a tout du reptile : c’est un homme froid, sauf dans ses rapports avec les femmes puisqu’il eut six épouses légales… Quelque chose ne fonctionne pas dans son psychisme, il aurait sans doute fait la fortune d’un psychanalyste : ses relations, pour le moins compliquées, avec le sexe féminin seraient à rechercher dans son enfance dont, malheureusement, on ne sait pas grand-chose car il n’était pas destiné à régner, étant le deuxième fils du roi. La mort de son aîné en fit l’héritier du trône.
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– D’autre part, c’est un homme de la Renaissance qui parle plusieurs langues, qui possède une véritable culture humaniste…Et qui finira dans la peau d’un despote, voire d’un tyran. C’était un insatisfait chronique. Il laissa quand même évoluer la société autour de lui.

Sa chance fut de contenir les Écossais, alliés des Français, et d’étendre son influence en Irlande. Il meurt en 1547.

Ce n’est évidemment pas un hasard si sa fille Élisabeth deviendra la grande reine que l’on sait, elle qui réalisera tous les rêves de son père, même les plus confus et les plus fous. L’Empire britannique naît sous Élisabeth I…On pourrait presque affirmer que la plus grande réussite du roi Henri VIII, ce fut d’être le père d’Élisabeth Ire !

Soliman, lui, n’avait qu’une ambition, poussée jusqu’à l’obsession : la domination mondiale. Son échec est patent. La société turque de ce temps était moins figée qu’on ne l’imagine généralement mais le retard sur l’Occident ne fit que s’accentuer… Des quatre protagonistes de notre histoire, c’est lui qui mourut le plus tard en 1566.|center>

Si l’on y regarde bien, tous ont perdu et gagné à la fois… L’affrontement des trois monarques européens était un match de deuxième division certes, mais chacun des acteurs est monté en première division, en léguant à ses héritiers un royaume qui tenait la route : la France, l’Angleterre, l’Espagne, l’Allemagne sont toujours des pays avec qui le monde doit compter.

Le véritable choc, de première division celui-la, fut celui qui opposa Charles Quint à Soliman le Magnifique. La victoire de l’Empereur sur le Sultan n’a tenu qu’à un fil qui s’appelle : « la Bataille de Vienne ».

Il est légitime de constater à quel point la victoire peut être proche de la défaite…Toute époque confondue… Heureusement, ce sont les vainqueurs qui écrivent l’Histoire…

Le coup d’arrêt donné à l’assaut turc contre l’Europe aura pour première conséquence de convaincre les successeurs de Soliman de l’impossibilité de prendre Vienne… Pendant cent cinquante ans… Leur dernière tentative aura lieu en 1683 et échouera encore sous les murs de Vienne où les alliés, avec Jean Sobieski le roi de Pologne à leur tête, leur infligeront une déroute totale. Le roi écrira au Pape : « Veni, vidi, deus vixit »  : « Je suis venu, j’ai vu, Dieu a vaincu »…

Jacques Tcharny


WUKALI 16/04/2016 ( première publication 23/12/2015)
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Illustration de l’entête: Portrait de Soliman le Magnifique par Titien (détail).


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