Laura is regarded as one of the 10 best mystery films of all time


Continuons cette promenade au Panthéon des cinéphiles avec Laura

, film d’Otto Preminger (1944). Nous entrons ici dans le domaine du « film noir » américain, dans l’âge d’or du cinéma classique.

Laura Hunt est interprétée par Gene Tierney. L’actrice était déjà connue mais le film la fit entrer dans la légende du septième art. Elle était alors l’épouse d’Oleg Cassini, le coiffeur d’Hollywood, en formation d’officier pour rejoindre le front. Elle tourna en début de grossesse, ce qui ne se remarque pas.

Olécio partenaire de Wukali

Ses partenaires sont : Dana Andrews (Lieutenant McPherson), le policier-enquêteur, Clifton Webb (Waldo Lydecker), le Pygmalion de Laura amoureux de l’image qu’il a créée, Vincent Price (Shelby Carpenter), incarnant le « fiancé » de Laura dont il ne pense qu’à profiter mais qui, au final, se tournera vers la tante de l’héroïne en acceptant (enfin) ses avances, personnage incarné par Judith Anderson(Ann Tredwell).|center>

Le générique s’ouvre sur la vision d’un tableau représentant Laura, en réalité une photo colorée, qui définit son apparence en lui conférant l’immortalité cinématographique, transmutation onirique ressentie puissamment par l’inconscient du spectateur. On entend jouer le thème musical du film, création de David Raksin à la mélodie lancinante, inspirée par une lettre de rupture de son épouse et qui fera le tour du monde… Puis, la voix de Clifton Webb prononce la célébrissime phrase qui commence le film : « I shall never forget the week-end Laura died » (Je n’oublierai jamais le week-end où Laura est morte)…L’ambiance est définie, silence on tourne !

Tout de suite, nous sommes pris par la musique, par la beauté des images que la caméra propose, par le côté sophistiqué du déroulement de l’action, lente, progressive, où les caractères des différents interlocuteurs s’affirment aux yeux éblouis des témoins que nous devenons. Tout se passe dans des décors parfaits, à la fois riches et idéaux, comme l’appartement de Waldo Lydecker ou celui de Laura Hunt ; là où elle a été assassinée d’un coup de fusil en plein visage.

La synergie est immédiate entre le sujet, l’originalité neuve de sa structuration, le jeu très stable des acteurs, leur qualité intrinsèque d’interprétation…Avec une recherche hors-du-commun d’une mise en scène originale triomphante et une bande-son devenue un classique du jazz.

Le film unit harmonieusement intrigue policière et crime passionnel. Comme rarement auparavant, amour et mort sont intimement imbriqués, mais cette osmose est parfaitement équilibrée : à aucun moment l’un de ces deux pôles ne l’emporte sur l’autre, sauf dans la scène finale naturellement.|center>

Une des nouveautés cinématographiques, introduite par le réalisateur, est que nous assistons à une enquête sur une femme morte. Par le détour de laquelle nous découvrons la vie de cette jeune beauté si attirante. Doucement, nous découvrons le monde de la publicité dans lequel évoluait Laura. C’est un univers de papier glacé, artificiel, à la fois pompeux et décadent. Les gens de ce microcosme ignorent la vie réelle qu’ils méprisent. C’est si vrai que la production, dirigée par le trop fameux Daryl Zanuck, censura quelques minutes du film qui montraient trop ce milieu new-yorkais privilégié à l’abri de tout, alors que les « boys » combattaient, et mourraient parfois, aux cent coins de la guerre. Ce moment inconnu du film fut redécouvert par hasard dans les archives de la Fox et présenté pour la première fois au public lors de l’édition du film en DVD, en 2005.

De tous les personnages, le seul qui est d’une autre origine est l’inspecteur McPherson, un être de chair et de sang qui connaît la vie réelle et les vraies valeurs. Il est sans a priori, il enquête et découvre ce monde d’opérette qui le fait beaucoup rêver.. A tel point, qu’il tombe amoureux de la figure de Laura, cette supposée morte qui le fascine : c’est une femme moderne qui travaille à un poste élevé, elle est donc financièrement indépendante…


Le metteur en scène utilise magistralement les retours en arrière, les commentaires dits par une voix extérieure et des plans-séquences bien équilibrés, parvenant ainsi à créer une œuvre superbe, d’un esthétisme à couper le souffle soulignant encore plus le jeu des apparences troubles, le véritable sujet du film au-delà d’une lecture primaire.

Les relations entre les protagonistes de cette histoire méritent que l’on s’y arrête : Waldo Lydecker aime la créature qu’il a transformée, d’un amour si possessif qu’il le poussera au meurtre et à la tentative de meurtre. Shelby Carpenter semble surtout intéressé par la vie confortable, voire luxueuse, que pourrait lui apporter Laura Hunt si elle l’épousait…Voyant l’échec de ses projets, il se rabattra sur la tante de la jeune femme, Ann Tredwell qui lui a déjà prêté de l’argent. Elle n’a aucune illusion sur Shelby mais elle est amoureuse de lui et veut connaître « le grand amour » Elle sait qu’elle va au-devant d’une désillusion mais elle ne reculera pas. L’inspecteur McPherson, torturé par cet amour pour une disparue, sera sidéré par la réapparition de Laura. Ce qui ne l’empêchera pas d’aller au bout de ses investigations, en soupçonnant tout-un-chacun, Laura incluse. L’amour naîtra entre eux des circonstances et de leurs relations difficiles du début où ils s’affrontent violemment… L’attirance sera trop forte, très vite.|right>

Les décors exacerbent ce rendu de la perfection des lieux voulu par Otto Preminger, devenant éléments déterminants du dénouement de l’aventure, notamment avec la présence des deux horloges identiques chez Waldo et chez Laura, qui donneront la clé de l’énigme à McPherson. Le trio classique : unité de temps, de lieu et d’action n’est respecté ici qu’aux deux-tiers puisque le démiurge-réalisateur use en permanence de retours en arrière. La qualité du scénario, des dialogues, des images, du jeu des acteurs, du découpage des scènes, du montage du film, sont telles qu’elles donnent son éternité à ce travail magistral. Tous les acteurs sont morts depuis longtemps mais, comme toujours lorsque l’on est en face d’un chef d’œuvre, leur présence physique actuelle est parfaitement ressentie par le spectateur d’aujourd’hui.

Pour finir, laissons la parole à Gene Tierney, qui intitulera sa biographie « Les souvenirs de Laura  » :

– « Pour ce qui est de ma performance personnelle, je n’ai jamais eu le sentiment de faire beaucoup mieux qu’une prestation réussie. Je suis contente que le public continue de m’identifier à Laura plutôt que de ne pas m’identifier du tout. L’hommage va, je crois, au personnage -cette Laura, créature de rêve- plus qu’à mon éventuel talent d’actrice. Je ne dis pas cela par modestie. Nul d’entre nous, qui fut impliqué dans ce film, ne lui prêta à l’époque la moindre chance d’accéder au rang de classique du mystère, voire de survivre à une génération  »*


Jacques Tcharny

(*)Gene Tierney, citée dans Gene Tierney et Mickey Herskowitz, Mademoiselle, vous devriez faire du cinéma…Ramsay « poche cinéma », 2006.


WUKALI 25/05/2016
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