More than excellent, more than brilliant, a masterpiece !


Voilà le dernier livre de [**Yasmina Khadra*], et ceux qui connaissent cet auteur doivent se précipiter chez leur libraire pour l’acheter, ceux qui ne le connaissent pas ont de la chance car [**Dieu n’habite pas la Havane*] est une superbe porte pour entrer dans son univers. Il m’est particulièrement difficile de pouvoir critiquer ce livre, je ne puis qu’employer que trop de superlatifs positifs, soit il y a une histoire, mais surtout un style, une écriture, des personnages, un univers, des rapports humains d’une grande vérité, une philosophie humaniste des rapports sociaux voire politiques ; un rare plaisir de lecture, sûrement un des meilleurs livre de cette rentrée littéraire. Est-ce que les mots que je suis obligé d’écrire pour Wukali peuvent vraiment réellement représenter mon ressenti ? Une partie, une infime partie, car il y a des plaisirs dus à l’intelligence de l’auteur qui paraissent bien faibles dès qu’ils sont mis sur le papier. Le vocabulaire est parfois bien pauvre, la combinaison des mots n’est qu’un pâle reflet de ce que l’on veut exprimer. S’il y a des douleur muettes, il y a aussi des plaisirs.

Dans Dieu n’habite pas la Havane, Yasmina Khadra nous transporte à [**La Havane*], pas l’actuelle, mais celle de l’époque de la pleine gloire de [**Fidel Castro*] qui fait une courte apparition, en pleine forme, dans le roman mais quand le régime commence à admettre la propriété privée et le commerce. Le Buena Vista Café, est un des plus anciens cabarets de la Havane et vient d’être vendu à une riche étrangère qui le ferme pour travaux sans que les employés soient certains de revenir y travailler. Juan del Monte Jonava, qui a la « modestie » de prendre comme nom de scène « Don Fuego » bien qu’ayant une voix magnifique qui attire les touristes, surtout des femmes de plus de cinquante ans venant chercher l’ »authentique musique cubaine », à soixante ans, il doit céder sa place à de plus jeunes chanteurs et à une autre musique.|left>

Don Fuego malgré son succès ne faisant pas partie de la « monenclatura » de l’île, est comme tout un chacun, victime des restrictions aussi habite-t-il chez sa sœur et sa nombreuse famille. Obligé de courir le cachet, il rencontre par hasard une jeune femme Mayensa, « rousse et belle comme une flamme  » qui n’a pas l’autorisation administrative de venir et de rester à la Havane. Elle porte en elle un terrible secret qui la détruit.. A son contact, Don Fuego va se transformer, ressentir une vitalité et une passion qu’il pensait faire partie de son passé. Il grandit, évolue, et pour elle est prêt à sacrifier la musique, chose qu’il avait toujours refusé de faire avec sa première femme. Mais « les histoires d’amour finissent mal en général », et celle-ci ne fait pas défaut à cet adage. Mais Don Fuego, malgré ses blessures, prend conscience que grâce à Mayensa (mais est-elle Mayensa ou une autre?), il est devenu un autre homme, un chanteur de talent mais qui ne pense pas qu’à lui et à sa carrière mais au rayonnement qu’il peut avoir sur les autres.

Olécio partenaire de Wukali

Comme à son habitude, [**Yasmina Khadra*] fait montre d’une grande lucidité dans la description de son univers. Soit il fait montre d’une grande empathie pour ses personnages, mais elle est sans aucune concession, les parts d’ombre de chacun sont loin d’être occultées. Don Fuego n’est pas sans faire penser au personnage chanté par [**Charles Aznavour*] dans « je me voyais déjà en haut de l’affiche  » : il a un certain orgueil, une très très haute opinion de lui-même et de son talent et la chute est d’autant plus terrible pour lui que les autres lui envoient à la figure une vérité qu’il niait : « Quelle que soit votre notoriété, elle ne vous appartient pas. Toute célébrité n’est que le fruit de la conjoncture. Le public est versatile. Aujourd’hui il vous acclame, demain, il en acclamera un autre et ne se donnera même pas la peine de vous ranger dans un tiroir. Sans crier gare, vous voilà livré à vous-même sans savoir ce que vous êtes en train de devenir…  »

La nouvelle vie qui s’impose à lui l’oblige à ouvrir les yeux et à percevoir la réalité qui est loin d’être ce qu’il croyait qu’elle soit : « Rien n’est acquis d’office. Sinon, il n’y aurait de justice ni sur terre ni en enfer. Tu t’habitues à ton petit train-train et tu te persuades qu’il en sera toujours ainsi. Mais les jours sont comme les fauves. Tu penses les avoir apprivoisés, et un beau matin, ils recouvrent leur instinct et ils se surprennent à te dévorer vivant en croyant s’amuser avec toi… ». Plus loin, « La vie ce n’est pas que les paillettes, le gros lot et les honneurs. La vie c’est aussi se casser les dents en gardant le sourire. »

Mais cette lucidité va avec un certain humour : « Les enfants sont ainsi faits : petits on a envie de les dévorer. Grands, on regrette de ne pas les avoir dévorer.  » et une grande lucidité : « Chaque génération croit qu’elle a besoin d’un idéal pour grandir et oublie que le Temps s’en charge très bien. » En une phrase, voilà résumé tous les tourments de l’adolescence, sa soif d’absolu qui peut pousser aux pires excès comme dans l’Algérie natale de l’auteur, comme dans notre pays actuellement où des jeunes choisissent un absolu violent et mortifère.

Une certaine fatalité, perceptible dans toute l’œuvre de Yasmina Khadra est toujours présente : « Je ne crois qu’en un seul Dieu, unique et incontestable, celui qui fait et défait toute chose en ce monde : le Temps. Et il ne reconnaît qu’un prophète digne de lui : le Hasard.  »

Toujours avec son humour subtil, l’auteur a quelques mots tranchants contre la dictature. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que c’est plus l’algérienne que la cubaine qui est ainsi critiquée :

« Mourir pour un idéal, c’est confier cet idéal à des usurpateurs ; les orphelins auront beau le réclamer, personne ne le leur rendra… »

« Il ne croyait pas dans les idéologies qui relèvent plus de l’élevage que du lavage de cerveau, ni dans les révolutions qui se contentent d’inverser les tyrannies au lieu de les renverser…  »

« … quelques dignitaires autoproclamés portant des tenues de combat en temps de paix et délestant le ciel de ses étoiles pour en garnir leurs galons.  »

Mais surtout, il y a un moteur dans la vie, un moteur qui nous permet d’avancer, d’évoluer, de progresser : l’amour ! : « L’amour est la seule épreuve qui mérite ses peines. Son succès est un triomphe sans appel sur l’ensemble des déconvenues ; son échec se vit comme une chance inaccomplie qui continuerait de faire frémir notre âme malgré son infortune. » Ceux qui aiment ou ont aimé ne peuvent qu’être en accord avec cette phrase qui résume brillament des milliers de livres, de poèmes, d’odes, etc. sur le sentiment amoureux.

[**Dieu n’habite pas la Havane*] est certainement un des meilleurs livres, un des plus aboutis dans l’œuvre de [**Yasmina Khadra*] qui en compte déjà un certain nombre.

[**Émile Cougut*]|right>


[**Dieu n’habite pas la Havane
Yasmina Khadra*]
éditions Julliard. 18€


Dieu n’habite pas à La Havane a été choisi pour figurer dans [**La sélection: livres*] de Wukali


WUKALI 16/09/2016
*Courrier des lecteurs *] : [redaction@wukali.com
Illustration de l’entête: Yasmina Khadra © Wukali. Livre sur la Place, Nancy 10/09/2016

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