De dolor y muerte, de tristeza y amor
La longue histoire de l’art moderne commence à[** Paris*], vers 1900. Peu avant 1914, il se répand dans toute l’Europe puis aux États-Unis. Dans les années vingt, son poison se disperse dans le monde entier, provoquant la création d’innombrables « écoles locales » qui l’interprètent à leur manière, c’est-à-dire en l’adaptant à leurs traditions et à leurs cultures intrinsèques.
Le bouleversement est complet : partout l’art classique cède la place à la révolution moderne. Mais, contrairement à ce qui s’est passé en France, la plupart de ces artistes novateurs de pays lointains suivent les cours des académies des beaux-arts, avant de larguer les amarres et de se lancer dans la grande aventure contemporaine.
Un des premiers pays exotiques qui découvre le renouvellement des formes et des idées est le[** Mexique*], dont la proximité géographique avec les États-Unis favorise cette réaction. En sortiront [**Rivera, Frida Kahlo, Orozco*] et autres « muralistes », eux qui peignent des surfaces énormes de couleurs violentes, exacerbées. Très vite, c’est toute l’Amérique latine qui va entrer dans la danse.
Rien ne prédisposait l’[**Équateur*], petit pays assez isolé, à donner naissance à quelques génies picturaux dont les plus importants furent [**Eduardo Kingman*] et surtout [**Oswaldo Guayasamin*] (1919-1999), le plus puissant de tous, sujet de cet article.
[**Oswaldo Guayasamin*] est né d’un père amérindien et d’une mère métisse dans la capitale [**Quito*]. Ses parents sont pauvres et s’opposent à sa vocation artistique, très précoce. Il n’en a cure et entre aux beaux-arts de la ville en 1932, à l’âge de 13 ans !
Les injustices sociales provoquent des manifestations ouvrières dans le pays. L’armée tire. Son meilleur ami est tué par une « balle perdue »…Désormais, son monde sera violent, sombre, brutal et pessimiste. Comme nombre d’artistes et d’intellectuels latino-américains il sera, longtemps, « un compagnon de route » des communistes, à la sauce castriste. Sur la fin de sa vie, il en reviendra, comme beaucoup.
Sa première exposition, en 1942, est un triomphe qui en fait un homme aisé : [**Nelson Rockefeller*], le magnat du pétrole américain, a un coup de foudre pour sa peinture et lui achète quasiment tout. D’ailleurs, le milliardaire restera un de ses principaux acquéreur, sa vie durant. Dès cette époque, Guayasamin se met à voyager. Il découvre [**Orozco*] au Mexique puis [**Picasso*] dans l’Europe d’après le Second conflit mondial. Ils seront ses références artistiques principales.
Reconnu internationalement, devenu riche et célèbre, il n’oubliera jamais ses origines. Découvrant petit à petit l’histoire et les multiples cultures du nouveau-monde, il deviendra un collectionneur, acharné et passionné, des créations latino-américaines des siècles passés. En 1995 il débute la dernière phase de son œuvre : « la capilla del hombre », musée artistique créé en hommage à l’être humain, à Quito, qui ne sera achevé qu’après son décès, en 2002.
[**- Sa vie de peintre se divise en trois époques majeures*]
– « Le chemin des lamentations », groupe de 300 tableaux peints en 1944/45 dont la dominante est la représentation des horreurs subies par les pauvres amérindiens, sans volonté de revanche et avec une sorte de résignation qui ne durera pas.
-« L’âge de la colère », ensemble de 150 peintures réalisées de 1961 à 1990, expression paroxystique de la douleur et des peurs des autochtones andins. La dénonciation exaspérée des conditions de travail des mineurs y côtoie la condamnation explicite des exploiteurs venus d’ailleurs. Le temps des révoltes approche. Les portraits, aux têtes terrifiantes et aux mains énormes, s’y rencontrent en nombre. L’un après l’autre, ils portent la marque du processus évolutif de l’artiste.
-« L’âge de la tendresse » où le lien maternel, la mère, la femme source de vie, de courage et d’espoir, sont les sentiments forts mis en images.
Généralement « rangé » dans la catégorie (fictive) des « peintres expressionnistes du réalisme social », [**Guayasamin*] est, avant-toute autre considération, un pur génie de l’art bidimensionnel. Certes les thèmes sociaux envahissent son œuvre dès ses débuts : il peint la misère, la pauvreté, la dictature, la haine raciale, l’oppression patronale des multinationales sans âme, l’exploitation de l’homme par l’homme mais, sans son génie de peintre surdoué à l’état natif, jamais il n’eût touché les grands amateurs ni la masse du public. Que Rockeffeller ait pu être saisi d’étonnement et d’admiration, littéralement envoûté par ses tableaux alors qu’il était, politiquement, aux antipodes des idées du peintre, est bien la marque de l’exceptionnel talent de l’équatorien.
Les premiers mots qui viennent à l’esprit du spectateur, au regard de ce cri de rage de l’esprit, qui est une permanence dans l’œuvre de l’artiste, ce sont ceux d’universalité et de fraternité. Universalité des hommes, des luttes pour l’égalité sociale et culturelle, des sentiments, fraternité avec tous « les damnés de la terre et les forçats de la faim », avec toutes les mères qui pleurent leurs enfants morts, assassinés.
Le choc optique est terrifiant : Guayasamin joue avec la lumière, sur l’assombrissement des couleurs, utilisant des reliefs simplifiés au maximum pour exprimer encore plus clairement et plus efficacement sa colère. Son tempérament explose dans une indignation désespérée qui, tout à la fois, défigure et transfigure le réel. C’est une apocalypse de couleurs qui magnifient ses origines, dont il est très fier au demeurant, comme dans ses nombreuses vues de Quito, si semblables de dessin mais si différentes par l’emploi de teintes diverses et variées : Quito vert, bleu ou autre…C’est à une quête identitaire, servie par une palette flamboyante, que nous convie cet artiste surdoué.
Les dimensions de ses tableaux sont des grands formats, sans même tenir compte de son travail de muraliste.
Qu’il peigne le survivant des camps de la mort allemands, l’ouvrier protestataire qui risque sa vie dans les rues de Quito ou la mère universelle, sa force est telle que l’indifférence est impossible. Il va chercher, jusqu’au fond de son cœur et de ses tripes, la capacité réactive du spectateur. Il l’oblige à voir et à réfléchir sur la destinée humaine, que cela lui plaise ou non. Il joue avec notre sensibilité, avec notre angoisse, comme un archet sur un violon. C’est un bulldozer : il nous entraîne là où nous ne voulons pas aller et, surtout, là ou ne voulons pas VOIR le réel, souvent horrible, de la réalité vécue par les amérindiens.
Il possède les trois qualités du génie pictural : force mentale, œil impitoyablement analytique et main au service d’une technique parfaite et maîtrisée.
Le spectateur ne peut qu’être fasciné par ce tremblement de terre optique qui sublime sa rétine. La sensation qu’un volcan éruptif s’est emparé de lui saisit même l’observateur novice, quelque peu distrait ou inexpérimenté. Rien ne nous sera épargné dans ce maelstrom coloré qui nous emporte.
Personne ne revient intact ou indemne de ce voyage en terre de sang et de feu. Nulle politique de l’autruche ne permet d’ignorer le monde de Guayasamin. C’est son plus grand triomphe. Après avoir visité une exposition à lui consacrée, la vision du monde de l’occidental en sera enrichie, bouleversée, avant d’être transformée. Merci de cet élargissement de notre vision du monde des hommes et du monde de l’art, [**Monsieur Guayasamin*].
Le plus grand respect s’impose, dans le plus grand silence.
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WUKALI 19/05/2017