Quelle idée farfelue et sublime, offrir au 10 millionième visiteur du Rijksmuseum d’Amsterdam depuis sa réouverture après travaux en 2013, une nuit dans la salle de La Ronde de nuit ! Ce privilège unique au monde il faut bien le dire, c’est celui qu’a reçu un professeur d’art, habitant de Harlem (NL), Stefan Kasper, l’heureux récipiendaire. Reçu en fanfare comme un hôte royal au son des trompettes, il a été accueilli par le directeur général du musée Taco Dibbits.
,
Le royal musée avait bien fait les choses, un lit avait été installé à côté de la toile de Rembrandt, et l’hôte d’une nuit a bénéficié du service restauration du désormais célèbre RIJKS® estampillé 4 étoiles Michelin et oui, on ne se refuse rien ! A propos quel est donc ce vin qui fut offert au distingué visiteur et dont l’on aperçoit la bouteille sur la photo ?
Interrogé au lendemain de cette invention médiatique, Stefam Kasper fit l’aveu qu’il avait peu dormi, soit deux heures. Combien de fantômes, combien d’esprits venus du passé erraient ils dans ces dédales, Rembrandt, Saskia, le capitaine Banning Cocq, le lieutenant Van Ruytenburgh, Titus et tant d’autres…?
Le plus grand spécialiste de l’oeuvre de Rembrandt, Horst Gerson (1907–1978), signalait que 18 personnages recensés dans la célèbre Ronde de Nuit avaient payé 100 Florins pour être peints. Difficile d’établir une équivalence entre la monnaie de cette époque et celle d’aujourd’hui, mais eu égard aux modes de vie de ce temps ce devait être cependant beaucoup! Alors passer une nuit avec cette garde municipale, ces miliciens urbains en branle et en mouvement, ces citoyens-soldats, çà n’a pas de prix !
Errer, déambuler, dans un dialogue muet avec l’oeuvre, hors du temps, de la cadence des heures, des contingences, seul avec soi même dans une rencontre spirituelle profonde, en communion, en fusion avec l’artiste et son époque, face au tableau témoin vivant, dans le silence absolu de l’éternité et de l’unique. Humble et amoureux, respectueux et complice, sans distance, plus fort que la mort !
Seul, une nuit, dans le silence d’un musée et quel musée, en voisinage et aussi en fusion avec l ‘oeuvre, le rêve fou…
Je me prends à rêver pour moi pareille merveille : au Louvre par exemple avec Bethsabée ( «Bethsabée au bain» de Rembrandt bien évidemment), intime et bouleversé devant tant de beauté, tant d’émotion, le chef d’oeuvre absolu. Au Cabinet des dessins à fureter et retrouver les Carnets du Maroc de Delacroix, au palais de Buckingham ou au château de Windsor dans les collections royales pour m’imprégner des dessins et manuscrits de Léonard de Vinci. À Rome dans les impressionnantes collections vaticanes, mais aussi à Taipeï au musée national du Palais (國立故宮博物院) pour admirer les rouleaux de dessins des dynasties Song et Ming ! Je prendrais garde aussi de ne pas oublier la Bibliothèque Nationale de Paris telle la décrivit Alain Resnais dans «Toute la mémoire du monde», au milieu des manuscrits de l’Histoire, des incunables ou dans l’Enfer, il va de soi, dans l’odeur du papier, du cuir et des encres !
Ah cher Stefam Kasper, je ne vous connais pas mais je vous envie, et si vous êtes désormais un Hollandais dormant en dépit de ce tumulte muet du tableau de Rembrandt Harmenszoon Van Rijn, notre Rembrandt, vous êtes aujourd’hui devenu un homme heureux.
«Je crois aux forces de l’esprit», comme le disait dans son discours d’adieu aux Français, François Mitterand.
Qu’est ce qu’un musée, et qu’est-ce que l’art, sinon pour l’un la matérialisation d’une rencontre spirituelle, le lieu de la mémoire, de la transmission et du patrimoine partagé et pour l’autre l’expression absolue de la transcendance ! Bienheureux homme, vous avez probablement discuté et rencontré dans un dialogue discret et exclusif notre ami Rembrandt, dites-nous tout oui, on veut tout savoir, je veux tout savoir… !
Pierre-Alain Lévy
Contact : redaction@wukali.com
WUKALI 03/06/2017