A dramatic moment of European history, refugees…


L’édition est diverse. Une partie d’entre les livres édités (notamment en province), bien souvent de petits tirages ou à compte d’auteur, portent la mémoire historique locale ou régionale, de terroirs, ou encore retracent un parcours familial. Leurs auteurs relatent parfois avec talent et émotion une mémoire sensible qui tend aujourd’hui à disparaître voire à être occultée. Elle participe à la connaissance (l’on dirait aujourd’hui structuraliste) des mentalités et à l’étude des populations. C’est dans cet esprit que nous publions un extrait d’un livre écrit par un de ces hommes de courage qui ont fait la [**Lorraine*] et qui sous le nom de[** David Gaïus Jaar*] a publié en 2003 sous le titre «Mémoires de France, Navarre et… Petite-Rosselle».

[**P-A L*]


[(- [**Ceux de la 25ème heure*])]

Olécio partenaire de Wukali

Entre les deux guerres mondiales, quand [**Hitler*] arriva au pouvoir, [**35.000 Sarrois et Palatinats*] virent le danger imminent et votèrent avec leurs pieds. La plupart allèrent s’installer en [** Lorraine*], et surtout en [**Moselle*], où il était facile de trouver du travail et où l’on parlait le francique qu’ils comprenaient. Ils fuirent avec quelques valises et parfois avec une charrette chargée de baluchons qu’ils tiraient derrière eux. Les Lorrains, pour la plupart, ne comprenaient pas ce que ces gens venaient faire chez eux, mais les acceptèrent pourtant, car notre région était de tout temps terre d’asile et les gens de bonne volonté étaient les bienvenus.

A [**Forbach*] et environs les cheminées étaient innombrables, laissant échapper leurs fumées nauséabondes et leur scorie qui vous grattaient les yeux. Mais personne ne s’offusquait de cette pollution, si dense qu’en plein jour les rayons du soleil ne passaient que chichement. Qu’importe, il y avait du travail, et pas d’autre solution. On travaillait dur, et l’on gagnait peu, et cela même après la guerre, jusqu’au moment où la voiture s’est popularisée, forçant les patrons à augmenter les salaires. Les arbres étaient beaucoup moins nombreux que de nos jours, et pour la plupart pas adultes. On avait déboisé la région pour la mine, avant de chercher du bois plus loin, jusque dans les Vosges. De nos jours on ne peut plus s’imaginer le prix que notre bassin de Lorraine a payé à la reconstruction de la France, tout comme le Nord et le Pas-de-Calais.

Le tribut en vies humaines fut tout aussi lourd ! La mine tuait facilement, mais s’agrandissait constamment.

Certains de ces Sarrois s’installèrent donc chez nous en Lorraine, travaillèrent à la mine, et demandèrent vite la nationalité française, qu’ils obtinrent ! Le choix de leur coeur les avait rendus français jusqu’au plus profond de leur être. Ils n’étaient pas devenus français par accident, ni par opportunisme. Ils l’étaient parce qu’ils aimèrent la [**France*]. Ils pensèrent avoir trouvé un havre de paix, un pays de culture, ayant entendu parler de « Liberté – Egalité – Fraternité ». Ces trois mots leur faisaient frissonner les entrailles, et quand on jouait La Marseillaise, leur fierté leur faisait bomber le torse :« C’est la Marseillaise, notre hymne national ! Nous sommes Français à part entière!». C’était leur raisonnement, ce dont ils étaient persuadés !

L’un d’eux, un nommé Hermann, travaillait au « jour », à la mine de [**Merlebach*]. Il était frêle de constitution, mais ne reculait pas devant la tâche. Il était heureux et fier en France.

Un jour, la « [**Wehrmacht*] » envahit la Lorraine, mais cela ne lui faisait pas peur, car il pensait que les Allemands respecteraient les Lorrains comme tous les autres habitants du reste de la France. Vous pensez qu’il était naïf ? Pas plus que le gouvernement français qui avait pensé un jour qu’il n’était pas nécessaire de construire la Ligne Maginot devant la[** Belgique*], pays neutre ! Nous connaissons la suite. Et Hermann eut aussi, malheureusement, à l’apprendre à ses dépens.

En effet, l’[**Allemagne*] mit ses pions dans les mairies, et ceux qui avaient fui le nazisme furent envoyés dans les camps de travail en Allemagne. Certains Lorrains, qui travaillaient encore en mairie, réussirent parfois, au péril de leur liberté, à faire disparaître les documents compromettants. Mais cela ne marchait pas à chaque fois. Lorsqu’ils étaient découverts, quatre soldats allemands, accompagnés d’un officier, allaient chercher ces malheureux, et les envoyaient, après interrogatoires, dans le « Reich ».

Hermann n’est jamais revenu : il laissa sa vie dans un camp, affamé, malade, maltraité et opprimé.

Sa famille eut le plus grand mal à traverser la guerre, et s’est réjoui de la venue des Américains et des Français de la Libération. Enfin ils pourraient revivre libres, en tant que Français, et ils espéraient que leur mari et père reviendrait. Mais il ne revint plus. Cependant, c’est avec joie qu’ils virent arriver l’armée de libération et ses suiveurs. Ils participèrent à l’ovation que tous donnaient en leur honneur.

La nourriture revint, les bombardements avaient cessé, et l’espoir d’une nouvelle vie avait germé dans leur coeur.

Un jour, ils reçurent une convocation leur demandant de se présenter à la Gendarmerie. Là, on leur fit savoir qu’ils allaient être envoyés dans un camp à [**Poitiers*], en raison de leur origine allemande. Ils avaient beau leur expliquer qu’ils avaient choisi volontairement et obtenu la nationalité française, qu’ils avaient fui le nazisme, rien n’y fit. La réponse était standard, comme toujours dans ces cas : « Je n’y peux rien, je ne fais qu’appliquer la loi, et obéir aux ordres venus d’en haut ! »

La famille d’Hermann arriva dans le camp de Poitiers, où leur fille fut violée, le fils aîné mourut de malnutrition, de persécution et de maltraitance ! On l’avait laissé, avec quantité d’autres, pendant une heure ou deux, nu dans la cour, et frappé avec des tuyaux de caoutchouc sur les parties génitales. La mère en devint folle et se suicida ! La fille se promit qu’elle n’accepterait jamais que son fils porte l’uniforme français !

Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Europe, en [**Pologne*], les Polonais qui avaient eu le malheur de naître en [**Silésie,*] furent incorporés de force dans la « Wehrmacht », des sortes de « Malgré nous » polonais, et quand il revinrent, ils furent ramenés comme s’ils étaient des ennemis, et brutalisés. Leurs concitoyens les frappèrent durement, sans que cela offusque le moins du monde la police qui les accompagnait. Ils firent également du camp, et quand ils revinrent à la vie civile, on les condamna à verser 10% de leur salaire pour la reconstruction de Varsovie pour le reste de leurs jours. Ils vécurent à moitié cachés, comme touchés de la lèpre et devinrent des citoyens de race inférieure !

[**Ils étaient nés au mauvais moment, au mauvais endroit !*]

Tous étaient, aussi bien en Alsace qu’en Lorraine, en Sarre qu’en Silésie, des humains de la 25ème heure !

[**David Gaïus Jaar*], extrait de Mémoires de France, Navarre et… Petite-Rosselle, chapitre 48.


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WUKALI 17/08/2017. (Précédemment publié le 25/01/2017)
Illustration de l’entête: sentinelle allemande. Metz, Porte des Allemands, après l’annexion par le IIIème Reich

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