Such vibrant and tensed arias, a beautiful music,


[**Camille Saint-Saëns*] (1835-1921) fut un enfant prodige : à trois ans, il jouait du piano ; à cinq, il composait de petites valses ; à dix ans et demi, il donnait son premier concert public, salle Pleyel. Il a connu tous les honneurs dus à une carrière exceptionnelle de pianiste virtuose et d’organiste hors pair. Ses contemporains le situaient comme soliste juste derrière[** Liszt*] et [**Anton Rubinstein*] (il joua en concert avec ce dernier puis avec [**Jan Paderewski*]). Il fut pendant 20 ans, de 1857 à1877, titulaire des orgues de la Madeleine. Sa mémoire fabuleuse stupéfia [**Wagner*] devant lequel il interpréta, en 1860, sans partition, tout Tristan et Isolde au piano. Dans les mêmes années, il offrait de jouer par cœur, en bis à l’issue de ses concerts, n’importe laquelle des 32 sonates de [**Beethoven*]. Le jeune musicien émerveillait le public comme les gens de métier, même si certains ne se départirent jamais à son égard d’une certaine causticité. Alors que Saint-Saëns n’avait que quinze ans, [**Berlioz*] déclara, après l’avoir entendu au Conservatoire : « Ce jeune homme manque singulièrement d’inexpérience ». Devenu un compositeur reconnu et respecté pour ses symphonies, ses concertos pour piano, pour violon, pour violoncelle, sa musique de chambre, ses poèmes symphoniques, genre qu’il imposa en France, il devint un pilier de la vie musicale de son temps, d’autant plus qu’il ne ménagea pas sa peine pour défendre le répertoire français, présent et passé. |center>

Fondateur, en 1871, de la « Société Nationale de Musique » à Paris, il s’intéressa toujours aux grands génies étrangers. Classique, il vouait un véritable culte à [**Mozart*], sans pour autant négliger ses aînés qui s’inscrivaient dans la mouvance romantique : [**Berlioz, Liszt, Gounod*]. À une époque où [**Bach*] était incompris en France, il se battit pour le faire connaître, comme soliste ou comme chef d’orchestre et, à contre-courant de l’opinion de ses contemporains, il salua très vite le génie de [**Wagner*], avant de dénoncer l’idolâtrie excessive dont le musicien allemand fut plus tard l’objet en France. Perçu parfois comme un conservateur, Saint-Saëns ne s’interdit aucune hardiesse d’écriture, quitte à dérouter le grand public et, peut-être, les institutionnels : le Conservatoire ne le gratifia que d’un premier prix d’orgue en 1851 et il échoua au Prix de Rome en 1852 et en 1864. Il connut d’autres honneurs : élu, à 46 ans, à l’Académie des Beaux-Arts, membre de plusieurs académies étrangères, docteur de l’Université de Cambridge, grand-officier de la Légion d’honneur en 1900. Rare privilège, il assista de son vivant, en 1907, à l’inauguration de sa propre statue, devant le théâtre de Dieppe. Elle sera fondue par l’occupant en 1942.|center>

Saint-Saëns ne vint à l’opéra que dans les années 1860, alors que c’était le moyen le plus sûr, au XIXe siècle de se faire connaître rapidement du grand public. Son premier drame lyrique en quatre actes, composé en 1864-65, sur un livret de [**Jules Barbier*] et [**Michel Carré*], Le Timbre d’argent, ne sera joué qu’en 1877, au Théâtre Lyrique à Paris, d’abord pour des raisons financières, ensuite à cause de la guerre de 1870. Le thème est celui d’un pacte méphistophélique qui rappelle celui de Faust (l’opéra de [**Gounod*], 1859, a les mêmes librettistes) et qui annonce celui des Contes d’Hoffmann en 1881 (le livret de Barbier est tiré d’une pièce de Carré). L’œuvre tombée dans l’oubli a été reprise, en juin 2017, à l’Opéra-Comique.

Olécio partenaire de Wukali

Ce ne fut pas plus facile pour la seconde tentative du compositeur dans le domaine lyrique. Saint-Saëns, s’occupant d’une édition critique des ouvrages de [**Rameau*], avait découvert le livret conçu par [**Voltaire*] pour un de ses opéras, Samson, daté de 1734. L’opposition de l’Église, hostile au théâtre, surtout s’il s’agissait de représenter sur scène un épisode biblique, fit renoncer le compositeur des Indes Galantes qui réutilisa sa partition dans des œuvres ultérieures. Contre toute attente, Saint-Saëns, agnostique convaincu, décida d’écrire un oratorio sur le sujet. Pour lui, la musique religieuse constituait un genre en soi, indépendamment de toute adhésion religieuse. Grand admirateur de[** Bach*], comme de [**Haendel*] et de [**Mendelssohn*], il avait déjà composé un Oratorio de Noël en 1858. Mais son librettiste, [**Ferdinand Lemaire*] le convainquit de faire plutôt un opéra.

Saint-Saëns a raconté lui-même dans une lettre à [**Henri Collet,*] compositeur et critique musical, comment il a d’abord écrit, sans savoir pourquoi, le grand air de Dalila, Mon cœur s’ouvre à ta voix, au second acte. Son manuscrit porte alors comme titre provisoire de son opéra, le nom de l’héroïne. Dès l’origine, il a pensé confier ce rôle à une amie proche, la célèbre [**Pauline Viardot*]. Fille de Manuel Garcia, chanteur et grand pédagogue, et sœur de la [**Malibran*], sa voix très longue lui permettait de chanter les rôles de contralto, de mezzo comme de soprano. Preuve que le personnage est au cœur de l’action : l’acte I se termine sur l’invite amoureuse que Dalila lance à Samson, Printemps qui commence ; le II s’ouvre directement sur l’expression de la haine qu’elle éprouve pour celui qui l’a dédaignée. On la retrouve triomphante au IIIe et dernier acte, humiliant à plaisir l’homme qu’elle a trahi, désormais privé de sa force légendaire, enchaîné et aveugle. L’héroïne de l’opéra, contrairement à ce que rapporte le Livre des Juges au chapitre 16, dédaigne les offres de richesse du Grand Prêtre pour qu’elle arrache à Samson le secret de sa force. Elle le fera pour ses dieux et son peuple et par vengeance personnelle. Elle apparaît pleinement comme un être maléfique, conforme à une certaine idée de la femme véhiculée par la littérature et les arts du dernier tiers du XIXe siècle : voir les Salomé et Dalila vénéneuses à souhait peintes par [**Gustave Moreau*] ou l’héroïne du « Bonheur dans le crime », une des nouvelles des Diaboliques de [**Barbey d’Aurevilly,*] décrite face à une panthère noire qu’elle fait reculer par la seule force de son regard. Or Saint-Saëns, parlant de Dalila, emploie l’expression de « femme panthère » et la traite d’hystérique : nous sommes justement dans les années où le docteur [**Jean-Martin Charcot*], et avant lui [**Paul Briquet*], se consacrent à l’étude de l’hystérie qui caractériserait le comportement féminin. Femme redoutable, Dalila incarne la femme castratrice qui, en privant Samson de ses cheveux, lui ôte sa virilité, terreur ancestrale de l’Homme face au sexe de la Femme.|left>

Jessye Norman. Mon coeur s’ouvre à ta voix. Jane Glover (dir). Orchestra of St. Luke’s, Lincoln Center, 1994.


Est-ce pour exorciser ses propres fantasmes que Saint-Saëns gratifie son héroïne des plus beaux airs jamais écrits pour un contralto ? Ils laisseront pourtant dubitatif l’« auditoire d’élite »,» que le compositeur réunit chez lui en 1868, pour une audition privée de second acte. Saint-Saëns abandonne sa partition après un nouvel échec quelques mois plus tard. Après la guerre de 1870, Pauline Viardot renouvelle l’expérience dans l’espoir de séduire le directeur du Palais Garnier qui allait bientôt être inauguré. En vain. Cependant [**Liszt*] avait promis, sans rien connaître de la partition, de faire jouer cet opéra au Théâtre Grand-Ducal de Weimar dont il était le directeur.

Parti pour Alger, en 1873, pour soigner ses problèmes pulmonaires (il y retournera dix-huit autres fois et y mourra en décembre 1921), Saint-Saëns retrouve l’inspiration pour composer l’acte III de Samson. Habitué à se déplacer avec un calepin pour noter des idées, il y reporte la musique entendue un soir dans un café maure de la Casbah. Il réutilisera cette ouverture « zidane », avec les instruments orientaux idoines, dans la fameuse bacchanale du IIIe acte, qu’il fond merveilleusement dans sa propre partition. Il esquisse également le premier acte qu’il achève en France et dirige aux Concerts Colonne du Châtelet en 1875. La réception est encore désastreuse. Le début de l’œuvre peut déconcerter : alternent des chœurs de peuples oppressés (d’abord celui des Hébreux) et l’exhortation à la révolte de leur chef Samson, auxquels vont répondre les plaintes des Philistins battus à leur tour et les imprécations de leur Grand Prêtre contre les ennemis. Suit l’entrée des prêtresses philistines (ballet rajouté en 1892 pour l’entrée de l’œuvre au Palais Garnier) pour accueillir les vainqueurs, précédant l’entrée de Dalila chantant son amour pour Samson. La narration très elliptique et l’alternance chœurs/solistes, rappellent la structure de l’oratorio. D’entrée le chœur est traité comme un acteur de l’action à part entière quand, par exemple, [**Verdi*] n’en fait qu’un simple écrin pour la voix des solistes. Le second acte est plus conforme, avec son complot et son duo d’amour, à l’attente du public de l’époque. Enfin, le dernier acte, appartient au grand opéra à la française avec ballet et catastrophe finale spectaculaire.

Les rôles masculins ne sont pas particulièrement privilégiés : le Grand-Prêtre, baryton, intervient à chaque acte, seul à l’acte I, en duo avec Dalila aux actes II et III, toujours véhément. Le rôle du ténor, Samson, n’est guère plus long et son face à face avec le baryton, au dernier acte, ne donne lieu à aucun des grands duos chers à Verdi. Mais le héros exige une voix à l’aise dans l’aigu, vaillante et puissante pour galvaniser les Hébreux. Mais il doit aussi exprimer la lutte déchirante entre son amour pour Dalila et la fidélité à sa qualité de « nazir » (élu de Dieu), la douleur de la déchéance (très belle scène de la meule en ouverture du IIIe acte), du remords et de la culpabilité envers son peuple emprisonné à cause de lui. Il faut donc une voix brillante et capable de douceur, menée avec intelligence pour traduire toutes ces mutations. C’est une erreur de confier ce rôle à des ténors wagnériens, aux voix certes puissantes mais manquant trop souvent de nuances et de séduction.|left>

C’est finalement à Weimar, en 1877, en allemand, que l’œuvre affronte le public et c’est un triomphe. Il faudra pourtant attendre 1890 pour la création française au Théâtre des Arts de Rouen, puis au Théâtre Lyrique à Paris, avec un grand succès. Le Palais Garnier ne lui ouvrira ses portes qu’en 1892. Désormais le succès est mondial. La province restera fidèle à cette œuvre, même si l’Opéra de Paris, où elle a frôlé les mille représentations, la boude dans le dernier quart du XXe siècle, avant une reprise récente.

L’immense culture musicale de Saint-Saëns lui a permis d’opérer une synthèse entre la noblesse de la tragédie lyrique et le spectaculaire du grand opéra. La technique wagnérienne du leitmotiv (un bref motif du duo d’amour réapparaît dans la scène de la meule comme une réminiscence douloureuse dans l’esprit de Samson), la maîtrise orchestrale qui crée l’atmosphère sombre du I, la menace de l’orage au II, la tension entre désespoir et exubérance orientale au III, sont d’un grand maître. [**Debussy*] le reconnaissait : « M. Saint-Saëns est l’homme du monde entier qui connaît le mieux la musique. Cette science l’a d’ailleurs conduit à ne jamais consentir à la soumettre à des désirs trop personnels. » In cauda venenum. Les deux hommes ne s’appréciaient guère. L’accuser implicitement de manquer d’originalité et de sensibilité, c’est oublier que Saint-Saëns, fidèle aux principes classiques, ne cherche pas à innover et refuse l’épanchement personnel du romantique. Pour lui, « l’art c’est la forme ». De sa perfection naîtra l’émotion. C’est pourquoi, et contrairement à Wagner, il n’accorde qu’un rôle secondaire au livret : seule la musique fait sens. Il ne fait pas davantage passer un message. Samson ne manque ni de sensualité, ni d’invention mélodique. L’orientalisme tapageur du finale ouvre sur un imaginaire plus vaste.

Danielle Pister|right>


Illustration de l’entête: Samson et Dalila. Peinture italienne du 17è siècle, école du nord Huile sur toile 116/ 151 cm. Wolverhampton Art Gallery. UK.


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WUKALI 03/06/2018)]

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