Two statues, Roman art masterpieces


La compréhension de la sculpture antique a profondément évolué au cours des siècles, au gré des découvertes et des modes artistiques. Aujourd’hui il est de bon ton de négliger les travaux considérés comme appartenant à une «  basse époque » : celle du triomphe de Rome en est l’exemple. L’idée ridicule de décadence n’est pas loin… En étudiant les deux oeuvres suivantes, le [**Torse du Belvédère*] et le [**Faune Barberini*], nous verrons à quel point cette idée est fausse.

Le [**Torse du Belvédère*] est une des rares œuvres de l’antiquité gréco-romaine parvenues jusqu’à nous dont la renommée n’ait jamais connu d’éclipse. Il doit son nom à la cour du Belvédère, sise au Vatican, où il est conservé.

C’est un torse en marbre, mutilé, où n’apparaissent plus, à peu près complets, que l’abdomen, la musculature du dos, les cuisses et une partie du sexe masculin. Il est assis sur une base de marbre travaillée en forme de rocher qui lui sert de support, l’ensemble mesure 159 cm de haut et est constitué d’un seul bloc. Il est signé : « œuvre d’Apollonios, fils de Nestor, d’Athènes ». Le sculpteur nous est inconnu mais on considère, de nos jours, qu’il était talentueux et éclectique et qu’il vivait au premier siècle avant notre ère ; la statue reflétant des conceptions plus anciennes remontant au règne d'[**Alexandre le Grand*] ( mort en -323).

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A noter que, pour le célèbre historien [**Winckelmann*]*, la forme des lettres de la signature impliquait que la statue datait de l’époque hellénistique. Et le non moins célèbre historien [**Visconti*] posait cette question, non résolue jusqu’à la mise en place des sculptures du Parthénon attribuées à [**Phidias*] : « Si Apollonios, un anonyme, avait pu produire une telle œuvre, alors que devaient être les chefs d’œuvre d’artistes dont le nom est passé à la postérité comme [**Praxitèle*], [**Lysippe*] ou [**Scopas*] ?  »

La puissante musculature est impressionnante, bien que la peau soit très érodée. Les cuisses, phénoménales, ne peuvent appartenir qu’à un lutteur ou à un haltérophile. Pourtant, se distingue une peau d’animal en surface du rocher. Serions-nous face à un Bacchus ( peau de panthère) ou, plus probablement, à un Hercule ( peau de lion) ? |left>

En tout état de cause, l’œuvre est d’une virilité assumée et dégage une force intérieure dont l’onde de choc est immédiatement perceptible à la rétine du spectateur. Du torse, fragmentaire, émane une solennité idéale qui s’empare de son environnement, pour en faire son complément visuel aux yeux éberlués de tous. Car tous, profanes comme initiés, ressentent ce phénomène étonnant, caractéristique du chef d’œuvre. Sa proximité avec [**Michel-Ange*] ne doit rien au hasard : le Florentin admirait cette sculpture. Pour s’en convaincre, il suffit de voir des photos des personnages du plafond de la Chapelle Sixtine ou des statues des esclaves conservés au Louvre et à la galerie de l’Académie à Florence.

Comme l’écrivit, avec une acuité intellectuelle exacerbée, le très perspicace peintre et graveur [**William Hogarth*] : « Michel-Ange a découvert, en ce torse, un certain principe qui donne à ses travaux une majesté et une saveur égales aux meilleurs antiques ».

Ajoutons ce commentaire de [**Joshua Reynolds*], peintre de talent et conférencier hors-pair : « Un esprit élevé à contempler l’excellence perçoit dans ces fragments dispersés et brisés les traces d’un génie supérieur, les reliques d’une œuvre que les générations postérieures ne peuvent regarder qu’avec admiration ».
On ne peut qu’être étonné de ce côté prémonitoire du torse, d’autant plus que [**Rodin*], lui aussi, s’en souviendra : le penseur et nombre d’éléments de la Porte de l’Enfer marque l’admiration du maître de Meudon pour cette statue.

Cette descendance surprenante, ce voisinage inattendu avec des sculpteurs aussi exceptionnels que ces deux là, expliquent bien la fascination et le ressenti des historiens et du grand public au regard de la statue : la permanence du génie y imprime sa marque.

Johann Joachim Winckelmann* (1717-1768) : archéologue, antiquaire, historien et théoricien de l’Art allemand dont les écrits fondèrent la critique moderne et eurent une influence incommensurable sur le développement du néoclassicisme occidental .

[**Le Faune Barberini*]

Le [**Faune Barberini*] est une illustre sculpture en marbre représentant un faune endormi, conservée à la glyptothèque de Munich. Elle mesure 215 cm de hauteur. Elle fut découverte au château Saint-Ange, à Rome, vers 1630. Elle devint, immédiatement, possession de la [**famille Barberini*] dont le Pape du temps était un membre.

Le château Saint-Ange fut construit sur, et avec, les ruines du mausolée de l’Empereur Hadrien : le Faune Barberini faisait donc partie du décor du lieu, mais nous ignorons quel était son emplacement exact. Le modèle doit remonter à des temps beaucoup plus ancien car un bronze proche, trouvé dans la villa des papyrus d’Herculanum, est datable, au moins, du deuxième siècle avant notre ère.

[**Winckelmann*], encore lui, fut le premier à remarquer un passage des écrits de [**Procope de Césarée*], qui vivait au sixième siècle de notre ère, dans lequel l’historien, et écrivain, affirme que, durant le siège de Rome par les goths, en 537, les habitants avaient jeté sur les assaillants les statues du mausolée d’Hadrien. L’état de la statue et l’endroit de la découverte (au sol juste devant les murs) ne laissent aucun doute : la sculpture a servi de projectile.

Le personnage représenté est un satyre endormi : les oreilles pointues, la queue peu visible, la couronne de lierre et la peau de panthère le prouvent mais elles sont assez bien cachées. Jusqu’à présent, personne n’a tiré toutes les conséquences qu’implique cette dissimulation car le fait est si peu courant, dans la sculpture gréco-romaine connue, qu’il en devient quasiment unique.

Il est donc parfaitement évident que la statue, individualisée au-delà de ce que propose habituellement l’art romain, est une commande d’un personnage important ( l'[**Empereur Hadrien*] lui-même), pour un monument précieux ( son tombeau), passé à un sculpteur, ou à un atelier de sculpture, reconnu et admiré : le meilleur du temps.|center>

Au coup d’œil, l’impression première dégagée par l’œuvre est plutôt mitigée : le personnage semble cuver son vin sur un rocher, son sommeil est d’une lourdeur incroyable et certains observateurs ont même le sentiment qu’il ronfle. Ses jambes largement écartées pour laisser paraître un sexe amolli ne l’idéalisent vraiment pas. Sa tête est renversée vers l’arrière tandis que son bras droit replié lui sert d’oreiller.
Sa pose, bien plus que sa position, est très inhabituelle et très difficile à réaliser en sculpture, preuve supplémentaire que son auteur était expérimenté, doué pour la pratique du marbre et possédait un talent établi. Rajoutons que la jambe droite, dès le niveau de la cuisse, est une restauration.

Mais son corps montre une magnifique musculature, idéale et non idéalisée, qui ne peut appartenir qu’à un athlète. Le nombril est vif, bien détaché, les plis de la peau d’un naturel sidérant, surtout les poignées d’amour. La toison pubienne, les bouts des seins et les côtes saillantes sont finement rendues. Quant au visage, il est d’une précision tellement inattendue qu’il en devient d’un réalisme inespéré, un peu idéalisé bien entendu, avec sa bouche entrouverte ( le praticien doit utiliser un crochet en métal pour réussir ce genre d’exploit) aux lèvres bien marquées ; avec ses cheveux ébouriffés, avec son nez droit, aux narines partiellement creusées, qui donne la sensation de la respiration. Sa masculinité franche, revendiquée, est en totale opposition avec les tendances innées, et bien connues, de l’Empereur Hadrien.

Toutes ses qualités, et tous ses défauts, font l’authenticité d’un travail hors-du-commun dans son époque. La maîtrise de l’artiste créateur, ici démiurge, est telle que la puissance expressive de la sculpture n’a d’égale que la capacité du sculpteur à la représenter en trois dimensions, ces deux aspects étant parfaitement contrôlés.

L’œuvre devint rapidement célèbre et nombreux furent les artistes passant par la Ville éternelle qui en firent des copies. La meilleure est, sans conteste, celle réalisée par [**Edme Bouchardon*] lors de son passage à la Villa Médicis( 1726). Elle est conservée au musée du Louvre.

Le Faune est toujours apprécié, même en notre temps. Il s’inspire probablement d’un bronze de Pergame du troisième siècle avant notre ère, mais il n’y a aucun doute qu’il s’agit d’une création originale du temps d’Hadrien, qui régna de 117 à 138.

Ces deux sculptures, de qualité, sont la preuve que la sculpture romaine, dans sa plus haute expression, peut se hisser au niveau de la sculpture grecque.

[**Jacques Tcharny*]|right>


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WUKALI 27/03/2018)]

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