Le 2 avril 2020 dernier, il y a plus d’un mois déjà, le journal Le Monde publiait un article effrayant :«La pandémie liée au coronavirus amène le monde devant une montagne de dettes», par Eric Albert.
Depuis, les banques occidentales ont publié leurs résultats trimestriels qui sont en baisse significative. Les entreprises -quant à elles- les accusent de ne pas faire suffisamment d’efforts et de ne pas consentir les crédits dont elles ont besoin pour se sortir de la crise où elles sont plongées.
Alors que l’on accuse les banques de ne pas en faire assez, n’est-il pas temps de ré-ouvrir un dossier fantasmagorique, c’est-à-dire celui de la distribution du crédit par les banques ?
Tranchons une bonne fois pour toutes une question qui agite souvent les esprits : puisque les états vont ouvrir grand les vannes et puisque les Banques centrales vont créer des tombereaux de monnaie, ne peut-on pas demander aux banques commerciales de distribuer des crédits sans limites ?
En quelque sorte, la question est : les banques commerciales peuvent-elles, elles aussi, créer de la monnaie ?
La réponse à cette question est : oui et non, ou si l’on préfère, non et oui.
NON ! Une banque commerciale vous dira qu’elle ne crée pas de monnaie. La raison en est simple : elle ne crée pas de monnaie, point barre. Elle ne fait que prêter l’argent dont elle dispose.
Une banque, c’est un bilan constitué d’un passif et d’un actif.
Un bilan, c’est comme les deux ailes d’un avion qui doivent être absolument équilibrées : si un avion penche de plus en plus à droite ou de plus en plus à gauche, il n’est pas besoin d’être pilote pour comprendre que l’avion va partir en vrille. Un bilan, c’est pareil.
Au passif du bilan d’une banque, disons la banque A, il y a, pour simplifier, tout ce qu’elle doit :
– son capital, c’est-à-dire l’argent investi par ses actionnaires,
– les dépôts de ses clients.
– Le capital sert d’amortisseur : si le ou les clients d’une banque ne remboursent pas leurs crédits, ce sont d’abord les profits de l’année qui sont utilisés pour absorber la perte, puis c’est le capital qui est diminué en conséquence. En cas de pertes systémiques, si les pertes sont très importantes, le capital est entamé jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus et la banque est alors en faillite. D’où l’intérêt d’avoir un capital (ou plus précisément des « fonds propres » qui incluent le capital plus d’autres éléments) aussi important que possible.
Les réglementations de Bâle III fixent des règles strictes à cet égard, établissant des ratios de fonds propres par rapport au total du bilan, limitant ainsi les risques. Ceci explique évidemment la prudence et le conservatisme des banques dans la distribution du crédit.
– Les dépôts peuvent être ceux effectués par le public (vous et moi), ou prêtés par d’autres banques via le marché monétaire, ou déposés par une Banque centrale.
Il faut savoir qu’au moment de la crise de 2008/2009, les banques, s’interrogeant sur la santé de leurs confrères, ne se prêtèrent plus entre elles et le marché monétaire se retrouva à sec. Les Banques centrales se substituèrent alors au marché monétaire défaillant, prêtant temporairement aux banques des sommes gigantesques qui furent d’ailleurs intégralement remboursées, avec intérêt.
A l’actif du bilan de la banque, il y a ce que les agents économiques doivent à la banque, pour faire simple, les crédits. Donc, il est facile de comprendre -puisque passif et actif doivent être absolument égaux- qu’une banque ne peut prêter que de l’argent qu’elle a obtenu sous forme de dépôts de la part de ses clients, du marché monétaire ou d’une Banque centrale.
Conclusion : une banque, la banque A, ne crée pas de monnaie. Tout ce qu’elle prête, elle l’a déjà et au passage, entre le coût des dépôts et le taux du crédit, elle prend une marge (ou un « spread») qui constitue sa rémunération. Voilà qui résout le problème une bonne fois pour toutes.
OUI ! Seulement voilà. Les choses se compliquent un peu parce que les crédits consentis par la banque A se retrouvent dans les circuits économiques.
Par exemple, la banque A consent un crédit à une entreprise qui s’en sert pour payer des salaires, lesquels se retrouvent déposés dans la banque B. La banque B dispose donc de dépôts supplémentaires qui peuvent lui servir à consentir de nouveaux crédits. Du point de vue de la banque B, il n’y a eu aucune création monétaire du fait de son activité, et c’est vrai, puisqu’elle n’aura fait qu’utiliser un nouveau dépôt pour consentir un nouveau crédit. Mais du point de vue macro-économique, le crédit consenti par A se retrouvera sous forme de dépôt chez B, qui consentira un nouveau crédit. Et le processus pourra continuer, avec de nouveaux dépôts dans une banque C, et de nouveaux crédits, etc…etc… Ainsi, si chaque banque prise individuellement n’a en rien créé de la monnaie, le système dans son ensemble l’aura fait. Jusqu’où le processus pourra-t-il continuer?
Ainsi les Banques centrales imposent aux banques commerciales de procéder à des réserves obligatoires, c’est-à-dire de déposer chez elles une partie de leurs dépôts. Ainsi, si les réserves obligatoires sont de 5% (elles ne sont que de 1% dans la Zone Euro, et encore, pour les dépôts d’une durée inférieure à 2 ans), le processus perdra de sa vigueur à chaque dépôt effectué dans une banque, jusqu’à disparaître. En augmentant ou en diminuant les réserves obligatoires, les Banques centrales peuvent ainsi réguler la quantité de crédits bancaires distribués dans l’économie. Mais, notons-le, les Banques centrales, pour réguler le crédit, se servent -de nos jours- de leur politique de taux d’intérêts plutôt que des réserves obligatoires.
En conséquence, nous voilà donc revenus à la case départ : les banques créent-elles de la monnaie ? Non et oui. Une banque individuelle ne le peut pas, mais le système bancaire le fait, surtout si la Banque centrale lui donne un petit coup de pouce.