Il n’y a pas une étude portant sur la Régence ou sur le Régent qui ne fasse référence dans la biographie aux Mémoires de Madame de Staal-Delaunay que la collection Le temps retrouvé du Mercure de France vient de republier. Mémoires incomplètes, de par la volonté de son auteur, puisqu’elle n’écrit pas sur les dernières années de sa vie.
Le moins que nous puissions dire, c’est que Rose de Launay, née Marguerite Cordier (de Launay puis Delaunay, nom de famille de sa mère) épouse de Staal, est une parfaite inconnue. Seuls quelques vieux historiens chenus savent que ce n’est pas un personnage de fiction, mais une de nos ancêtres qui, à leur place, ont participé, dans l’ombre, à l’histoire de France. C’est sa position privilégiée comme dame de compagnie auprès d’Anne-Louise, duchesse du Maine, qui lui a permis de sortir de l’anonymat le plus complet.
Rose est née en 1683 à Paris de parents obscurs. Elle ne connut pas son père, peintre français installé en Angleterre, qui décède alors qu’elle était toute petite, cependant elle eut une enfance choyée.
Sa mère, pour pouvoir survivre réside dans un couvent où la petite fille devint le centre d’intérêt de toute la communauté dominée par les dames de Grieux qui se chargèrent de son éducation, éducation marquée par des lectures pieuses, mais qui ne s’arrêtent pas qu’à cela. Avec son amie, Mademoiselle de Silly, elles discourent sur l’œuvre de Descartes. On est très loin de l’image de l’éducation de la femme soumise, éduquée pour servir son futur mari, son seigneur et maître, ne sachant que coudre et gérer la bonne marche de la maison. Adolescente, elle connait les premiers émois amoureux avec le frère de son amie.
Après bien des déconvenues quand elle s’aperçoit qu ‘elle n’est pas le centre du monde, elle finit par entrer comme femme de chambre dans la maison de la duchesse du Maine, l’épouse du fils légitimé de Louis XIV et de madame de Montespan. Sa culture, ses facilités à l’écrit, son don pour l’organisation des fêtes (les célèbres nuits de Sceaux), la font progresser dans la hiérarchie de la maison ducale. C’est elle qui fait la lecture à la Duchesse, qui écrit bien de ses lettres.
Quand Louis XIV décède, le Régent fait casser immédiatement le testament du monarque, et progressivement retire bien des privilèges aux enfants légitimés. La Duchesse se montre bien plus vindicative et acharnée que son mari pour défendre ses droits. Et c’est la conspiration dite de Cellamare contre le Régent, complot que l’on pourrait qualifier « d’opérette » tant le secret était connu de toute la Cour et le déroulement suivi quotidiennement par l’abbé Dubois, qui vaut l’arrestation de tous les protagonistes et l’enfermement à la Bastille, dont la demoiselle Delaunay.
Selon ses dires, elle n’était au courant de rien. Ce qui est certain, c’est qu’elle fait preuve d’une totale fidélité à sa maîtresse, ce qui lui valut d’être parmi les derniers conjurés libérés. En prison, elle tombe amoureuse d’un autre détenu, mais prend vite conscience que, derrière les mots enchanteurs, les sentiments étaient inexistants.
A sa sortie de prison, elle retourne auprès de la Duchesse du Maine et reprend auprès d’elle son travail. Elle retombe amoureuse, est courtisée par plus d’un homme, connait quelques moments de dépression et finit par se marier avec Monsieur de Staal, pour avoir une « situation stable ». Ses mémoires s’achève par l ‘éloge au duc de Maine à son décès en 1736.
Plus du tiers de ses Mémoires relate sa captivité à la Bastille, les intrigues qui s’y nouent, le quotidien d’une prisonnière qui même si elle ne fait pas partie du peuple n’a pas tous les avantages des élites de l’époque. Ceux qui critiquent les cellules VIP dans nos prisons actuelles feraient bien de lire Madame de Staal-Delaunay, pour s’apercevoir qu’elles sont vraiment très dures.
Surtout Madame de Staal-Delaunay, tout en montrant une loyauté sans faille pour la duchesse du Maine, en esquisse un portrait, peu flatteur à nos yeux : égoïste, certaine de sa supériorité de par son rang, jalouse, n’écoutant pas les autres, voulant tout régenter, surtout sa lectrice à qui elle dénie toute idée de liberté, alors qu’elle n’aspire qu’à ça.
Ces Mémoires recréent l’atmosphère qui régnait à Sceaux au temps de la Régence, les intrigues, mais aussi les joies, les peines, les interrogations de Madame de Staal-Delaunay qui ressemblent à peu de choses près à nos joies, à nos peines, à nos interrogations, ce qui la rend très proche de nous.
Mémoires sur la société française au temps de la Régence
Madame de Staal-Delaunay
éditions le Temps Retrouvé. Le Mercure de France. 9€80
Illustration de l’entête: La Déclaration d’amour (1731). J-F de Troy (1679-1752). Collection Stiftung Preussische Schlösser und Gärten. Berlin