Encore un livre d’histoire (pas un roman) sur les sorcières. Un de plus, soit mais le sujet, tant de fois étudié et si vaste que de nouvelles recherches devraient encore et encore aboutir à de nouvelles publications.
L’approche de Dominique Labarrière sans être nouvelle n’est pas moins originale par la clarté de sa démonstration.
La sorcière n’est pas un sorcier au féminin, mais un être, un concept d’une autre nature, tel est le constat qu’établit l’auteur de ce livre et d’où tout découle. La sorcière est un concept inventé par les hommes, concept d’une totale misogynie ne faisant que refléter l’incompréhension des hommes aux arcanes, aux subtilités du sexe féminin Et de fait, si le concept de sorcières est connu dans l’antiquité romaine, son contenu va évoluer avec le christianisme et les premières Pères de l’Église qui ne sont pas passés dans l’histoire pour leurs positions fermes sur l’égalité des sexes. C’est plutôt l’inverse. On pense à Saint-Augustin ou à Saint-Jean Chrysostome dont les écrits font partie de la théologie chrétienne. Et de fait, à la lecture des Pères de l’Église, l’image de la femme, sans être dépréciée fait l’objet de plus d’interrogations que de certitudes. Ne serait-ce que dans ce monde binaire où le Bien s’oppose au Mal, la femme est pleine d’ambiguïtés : elle donne la vie, mais à un être qui va mourir. Donc elle connaît les mystères de la conception, mais aussi de la mort. Il n’y a qu’une exception, bien sûr, la Vierge Marie. De plus, la sexualité féminine en général et son orgasme en particulier sont sources d’insondables mystères pour ces hommes.
Mais s’il existe des sorcières, encore faut-il savoir à quoi elles ressemblent et comment les combattre. Pour les combattre, la bulle d’Innocent VIII du 5 décembre 1454 apporte la réponse : ce sera le rôle de l’Inquisition, car la sorcellerie est assimilée à une forme d’hérésie. Les moyens des inquisiteurs sont connus, codifiés, interprétés comme le célèbre Manuel des inquisiteurs (Directorium Inquisitorum) de Nicolau Eymerich de 1376. En 1486 paraît le Marteau des sorcières, véritable guide pour tout bon inquisiteur voulant combattre la sorcellerie et les sorcières. Grâce aux moyens de l’Inquisition (torture, etc.) et au fait que quoique dise ou fasse l’accusée on trouve toujours un argument pour démontrer son alliance avec le diable, les XVIè et XVIIè siècles vont voir des dizaines de milliers de bûchers allumés dans toute l’Europe, car la répression contre les sorcières touche aussi bien les pays catholiques que protestants.
Là où il me semble « manquer » une explication est le passage d’un problème purement théologique à un problème étatique puisque se sont avant tout des tribunaux civils qui vont prononcer ces condamnations à mort et non des ecclésiastiques. De fait Jeanne d’Arc est une exception à ce niveau.
Fort à propos, Dominique Labarrière, remarque que si 1486 est l’année de la publication du Marteau des sorcières, c’est aussi et surtout, celle des Neuf cents conclusions de Pic de la Mirandole, premier vrai « manifeste » de la Renaissance et du début des Lumières. Et pourtant c’est à partir de cette époque que « la chasse aux sorcières » est la plus importante, menée par des hommes instruits, curieux, qui font avancer la pensée occidentale vers une vraie tolérance, vers l’acceptation d’autrui, qui vont combattre la mainmise du religieux dans la vie quotidienne de l’État et de ses membres. On pense, par exemple à Jean Bodin, qui n’a pas fait preuve de la même clairvoyance, d’ouverture d’esprit quand il s’est agi de condamner une pauvre femme au bûcher que quand il agit pour que cessent les horreurs des guerres de religion, où quand il décrit les fondations de ce qui va être l’État nation. Mais Bodin et tous les autres juges, aussi instruits soient-ils, sont des hommes, des hommes qui voient leurs modes de pensée remis en cause par les sciences, par les découvertes d’autres mondes. Seul résiste une énigme : la femme !
La seconde partie de ce livre porte sur quelques faits divers relatifs à la sorcellerie et qui sont significatifs des mentalités des époques où ils eurent lieu. De brefs résumés laissant de côté bien des interrogations que se posent entre les historiens, mais qui nous remettent en mémoire des histoires connues : Urbain Grandier à Loudun, l’Affaire des poisons, les Sorcières de Salem ou encore la suissesse Anna Göldin, certainement la dernière femme exécutée pour sorcellerie (bon moyen pour ne pas faire accuser de viol un notable puritain de la ville).
On aura compris que Le bûcher des sorcières, nous offre une vision plus anthropologique, plus psychanalytique que celles que nous avons l’habitude de lire sur ce sujet.
Le bûcher des sorcières
Les plus grands procès de sorcellerie de l’histoire décryptés
Dominique Labarrière
éditions Pygmalion. 19€90