Rarement n’ai-je été autant bouleversé à la lecture d’un livre et Les mensonges du Sewol de l’écrivain sud-coréen Kim Takhwan, fait partie de cette catégorie.
Il est parfois dommage que des retards arrivent en ce qui concerne la réception de certains livres. Peu importe la cause : la pandémie de covid-19, la poste, un retard à l’envoi, ce qui est certain c’est que je n’ai reçu qu’en début d’année ce livre, alors qu’il a, théoriquement paru au mois de juin de l’année passée. Tout ce que j’espère, c’est qu’il est encore disponible dans toutes les bonnes librairies, car il faut le lire !
Kim Takhwan est un écrivain sud coréen, hélas peu connu dans l’hexagone, il faut dire que la littérature actuelle de ce pays est peu représentée. Soulignons donc les mérites et les qualités de la maison d’édition L’ Asiathèque qui contribue à faire connaitre et publier nombre de ces romanciers des pays d’Extrême-Orient. Kim Takhwan donc est un écrivain renommé dans son pays, un écrivain « engagé » qui se dresse contre les abus, les malversations du pouvoir en place. Et dans Les mensonges du Sewol, il ne déroge pas à sa réputation.
En France, le naufrage du Sewol (세월) n’a suscité que quelques brèves rapidement traitées dans l’actualité, alors que c’était (et c’est toujours) un vrai drame national en Corée du Sud. C’est un événement tragique qui a fait l’objet de plusieurs reportages, enquêtes et films dont un présenté au festival de Cannes. Les répercussions furent telles que ce désastre accéléra la procédure de déchéance de la présidente de l’époque Park Geun-hye (il y avait d’autres causes pour aboutir à cette décision).
Le 16 avril 2014, le Ferry Sewol chavire. Il transportait 476 personnes. Seules 172 ont pu être sauvées (pour la petite histoire, au soir de la catastrophe, officiellement, tout le monde avait été sauvé).
Parmi les 304 disparus, la majorité était constituée d’ écoliers de classes de seconde en voyage de découverte. Voilà le fond, le fait générateur. A partir de là Kim Takhwan va produire un pamphlet d’une grande humanité contre l’organisation des secours et plus généralement contre le pouvoir sud-coréen et au-delà, bien au-delà, contre la mentalité, la petitesse, l’individualisme de ses compatriotes.
Chaque chapitre est divisé en deux parties : la première est constituée du témoignage de Na Kyong-su face à un juge, la seconde, des interviews, des dépositions, une lettre de l’au-delà d’une immense beauté, etc.
Car Na Kyong-su est un plongeur civil qui avec ses collègues entre dans l’épave dans des conditions de plongée extrêmes (les plongeurs de la police maritime ne sont là que pour les aider). Il raconte sa démarche, pourquoi il s’est porté volontaire (une évidence pour lui, il ne pouvait laisser ces corps sans funérailles).
Il narre ses conditions de travail luttant pendant ses plongées contre des courants violents, aucune visibilité, le risque de se blesser à tout moment. Mais aussi on découvre le quotidien sur la barge, sans rien, pas de médecin, la nourriture apportée avant tout par les familles des victimes. Et puis aussi l’accident de plongée qui fait un mort et qui vaut la mise en examen du coordonnateur (bénévole) des plongeurs. Et puis les maladies, les accidents de santé dus aux plongées « extrêmes », à un rythme que le corps ne peut supporter. Kim Takhwan pointe la mesquinerie de l’état qui refuse de prendre en charge les soins médicaux parfois lourds des plongeurs.
À cette égard le passage du livre où il fait la description du rond de cuir qui explique que la loi est la loi est extraordinaire par sa mesquinerie, sa bêtise crasse, son inhumanité. Il met à jour le contrat léonin que les plongeurs ont eu à signer sans l’avoir même lu, tout comme le rejet d’une population persuadée que les plongeurs n’étaient mus que par l’argent et qu’ils ont fait fortune, etc.
Mais surtout, Kim Takhwan raconte le lien que Na Kyong-su a créé avec toutes les victimes qu’il a sorties de la coque : il les voit, communique avec elles.
Le lecteur plonge avec Na Kyong-su, se faufile dans les coursives, et part avec lui à la recherche de chaque victime, pleure avec lui, souffre avec lui.
Le lecteur n’a qu’une envie, crier, hurler contre ce pouvoir menteur qui essaie de faire reporter sur ceux qui font preuve d’humanité au risque de leur vie et de leur santé, toute leur incurie, leurs incompétences.
C’est beau, c’est magnifique, un plaisir de lecture rarement atteint.
Les mensonges du Sewol
Kim Takhwan
Traduit du coréen par François Blocquaux et Lee KI-jung
Éditions L’ Asiathèque. 19€50