Nous avions déjà dans WUKALI, et à plusieurs reprises (et cela dès novembre 2017), traité de la question de l’attribution contesté du Salvaltor Mundi à Léonard de Vinci. Du prix de vente tout bonnement stupéfiant pour un tableau qui n’était pas inconnu (450,3 millions $ qu’en même !), infiniment remanié, et dont le parcours depuis des siècles est parfaitement documenté. Nous l’avions fait librement, en conscience, sans n’accepter nulle pression, avec rigueur et avec nos connaissances de l’oeuvre de Léonard et notre regard. Nous avons été parmi les seuls à contester cette attribution quand d’autres alors opinaient à cette découverte, probablement inhibés par le prix astronomique qui les médusait.
Ainsi sur ce sujet se trouvent rassemblés, monde de l’art, big money et économie planétaire, sans oublier loin de là la diplomatie. C’est à dire quasiment tous les ingrédients réunis pour faire de cette histoire un récit troublant où les plus grandes autorités de la conservation ( celles du musée du Louvre en l’occurence) se voient opposées un aréopage disparate aux intérêts si loin de leurs préoccupations scientifiques et culturelles.
Il suffit de citer le nom de Léonard de Vinci, avancer une attribution nouvelle et alors la foule médiatique frétille, les journaux en font leurs choux-gras, le grand public écarquille les yeux, et le monde de l’art, experts ou marchands, a du grain à moudre. Si d’aventure d’aucuns s’aventurent à affirmer urbi et orbi avoir fait la découverte du siècle, identifier une peinture comme étant originale et de la main même du génie de la Renaissance, c’est alors un tonnerre de commentaires pour et contre aux 4 coins de la planète!
Les experts affutent leurs arguments avec conviction, avancent les preuves qu’ils reconnaissent pour affirmer leurs expertises quelles qu’en soient leurs conclusions. Ils arrivent même qu’ils s’opposent entre eux !
C’est de bonne guerre et plutôt sain, parfaitement académique, conforme à l’éthique, sans dogme, et laissant le doute intellectuel gouverner la réflexion scientifique dans le respect de l’histoire de l’art. Ainsi on a pu voir dans le passé des attributions nouvelles de paternité d’une oeuvre, tel L’orage de Giorgione, longtemps attribué au Titien ( et ce ne sont pas les seules).
Il suffit même de convoquer Léonard dans un roman ou dans le titre d’un film, et c’est tout d’un coup une hypnose frénétique généralisée. Rappelez-vous le fumeux Da Vinci’s code du demeurant singulier et spécieux Dan Brown. Un best seller planétaire ! « Plus le mensonge est gros, plus il a de chance d’être cru* »disait naguère un sinistre personnage en uniforme.
Sur la question de l’attribution nous avons publiés dans WUKALI deux articles sous les plumes respectives de Pierre-Alain Lévy et de Jacques Tcharny. Nous les remettons en ligne pour
Aujourd’hui même qui croire (bien qu’il ne s’agisse pas de croyance, mais de preuves avancées) ? Quelles expertises, existe-t-il des pressions et de quel ordre? Diplomatiques, financières ? Derrière les institutions ( et des plus respectables nous tenons à le préciser) une guerre sourde d’expertises contradictoires.
Pour donner un peu de lumière et de perspective à tout cette affaire, nous republions, les articles que nous avions consacré dans WUKALI à ce sujet et dont les titres étaient Controverse sur un Léonard de Vinci vendu 450,3 millions de dollars par Pierre-Alain Lévy, l’autre signé par Jacques Tcharny : Le Salvator Mundi attribué à Léonard de Vinci, réalité ou colossale escroquerie financière ?
Dont acte…
Controverse sur un Léonard de Vinci vendu 450,3 millions de dollars
Par Pierre-Alain Lévy /
Christie’s en mettant en vente aux enchères mercredi 15 novembre (2017) l’oeuvre dite: Salvator Mundi, attribuée à Léonard de Vinci parmi des oeuvres d’art contemporain, Mark Rothko, Jean-Michel Basquiat, Keith Haring, Cy Twombly et Andy Warhol a réussi son coup !
– Médiatique pour sûr, et cette intrusion d’une oeuvre classique dans une vente très médiatisée à New-York, au milieu de celles de peintres modernes a fait jaser pour le moins !
– Tactique, assurément, car ce Salvator Mundi dont on connait l’existence depuis bien longtemps a toujours laissé derrière lui comme l’ impression de ( choisissons bien les mots…) d’être une oeuvre d’atelier, celle d’un élève doué certes, mais en tous cas pas comme étant de la main même de Léonard.
– Et financière indubitablement, et cela d’autant plus quand on découvre le prix astronomique atteint lors de cette vente, un record absolu soit 450,3 millions de dollars…
Ce Salvator Mundi, n ‘est pas un astéroïde mystérieux tombé tout d’un coup au milieu d’un cénacle d’experts, d’historiens d’art, de conservateurs de musées et nous n’oublierons point aussi de marchands avisés.
Son histoire est célèbre depuis bien longtemps et il a connu pour le moins un certain nombre de vicissitudes. Il est vrai que lorsque l’on roule les épaules pour s’affirmer et vouloir partager les destins patrimoniaux de ceux que l’on considère comme ses pairs et auquel on aspire, il faut s’attendre à des résistances, pour de pas dire de l’hostilité. Lorsque l’enfant parait, n’en déplaise à Hugo, le cercle de famille n’applaudit pas toujours à grands cris ! Il fait un peu penser (et sans vouloir être méchant), à ces starlettes passées sous les mains ou le bistouri d’un chirurgien esthétique pour se faire refaire qui le nez, la bouche… Car oui il a été bien retouché et a vouloir sauver le monde on perd parfois son âme.
Revenons aux fondamentaux et à l’histoire
Les Guerres d’Italie conduisent les rois de France à étendre leur royaume de l’autre côté des Alpes vers le royaume de Naples et le duché de Milan, ils s’affrontent aux Espagnols dûment installés dans leurs possessions et aux seigneurs italiens. Ces guerres débutent avec Charles VIII, et la «furia francese» impressionne, puis se poursuiveront avec Louis XII ( ultérieurement avec François Ier et Henri II).
Un sacré personnage Louis XII (1462-1515), qui sera aussi au demeurant l’époux d »Anne de Bretagne, et c’est lui qui achètera ce Salvator Mundi.
Les commentateurs sur ce tableau attribué à Léonard se partagent en deux camps; pour les uns il aurait été peint pendant la période milanaise de Léonard, celle qui suivit son départ (sa fuite) de Rome dans les années 1490, pour les autres il appartient à sa période florentine (1500) et ce faisant serait donc contemporain de la Joconde.
On retrouve ce tableau à la Cour d’Angleterre en 1625 , il a été apporté dans ses bagages par Henriette Marie de France l’épouse du roi Charles Ier, elle apporte d’ailleurs à Hampton court puis dans son palais de Greenwich nombre d’objets précieux. La guerre civile anglaise l’obligera à retourner vivre en exil en France.
Les années 1650
Il est fait mention dans un inventaire royal d’une oeuvre de Léonard avalisée par un acte du Parlement en date du 23 mars 1649. Dans le même temps un imprimeur célèbre du temps, Wenceslaus Hollar, publie une gravure représentant ce Salvator Mundi avec la mention «Leonardus da Vinci pinxit». La gravure est publiée à Anvers et des copies sont adressées à Paris à la reine Henriette Marie
Les années 1660
La guerre civile anglaise est terminée, l’épisode Cromwell est du passé, le roi Charles II retrouve son trône. Le dernier acheteur du tableau, un certain architecte du nom de John Stone, le restitue à la Couronne. En 1666 un inventaire royal le liste parmi les oeuvres appartenant au Cabinet royal.
Pas de mention de l’oeuvre dans les temps qui suivent. Elle devient ultérieurement la propriété de la maîtresse du roi Jacques II, Catherine Sedley, comtesse de Dorchester (1657-1717).
Au XXème siècle
En 1900 elle rentre dans la collection Cook, (Doughty House, Londres) et est attribuée à Bernardino Luini (1481-1532), élève de Léonard de Vinci. La peinture subit des «restaurations» qui altèrent sa qualité, le visage du Christ et ses cheveux ont été repeints.
En 1913, elle apparait dans un catalogue consacré à la collection Cook. L’historien d’art Tancred Carl Borenius, attribue cette peinture à Giovanni Antonio Boltraffio qui travailla dans l’atelier de Léonard.
En 1958, lors de la dispersion en ventes aux enchères de la collection Cook, la peinture alors recouverte de couches de surpeints est vendue 45 £.
Tandis que le temps passe, après maintes tribulations, la peinture se retrouve dans une vente aux enchères de seconde zone aux USA. Elle est présentée comme étant une copie. Le nouvel acquéreur entreprend de restaurer le tableau. En 2007 elle est restaurée par Dianne Dwyer Modestini de l’Institut des beaux-arts de l’université de New-York. L’oeuvre fait alors l’objet d »analyses spectrographiques qui révèlent notamment des empreintes de mains sur le front du Christ. Elle est soumise à l’appréciation d’experts internationaux et jusqu’à Martin Kemp spécialiste reconnu et respecté de l’oeuvre de Léonard et de la Renaissance, qui la reconnait comme authentique et de la main du grand maître. Puis en 2008 elle est étudiée au Met à New York et ensuite par la National Gallery et mise en comparaison avec la Vierge aux rochers. Les spécialistes sont sollicités des deux côtés de l’Atlantique et les conservateurs des grands musées donnent leurs avis.
En 2011 Salvator Mundi est accroché parmi les toiles de l’exposition Léonard de Vinci, peintre à la Cour de Milan à la National Gallery à Londres
Éléments de controverse
De nombreux détails nous portent à considérer que ce Salvator Mundi n ‘est pas de la main de Léonard, n ‘en déplaise à cette agora de spécialistes qui aujourd’hui célèbrent la revenante. Trop de détails, et pour certains d’entre eux ils sont impressionnants ( le globe, nous y reviendrons), nous incitent à estimer que cette oeuvre avec toutes ses qualités que nous reconnaissons bien volontiers mais aussi ses défauts criants n’a pas pu être peinte par Léonard de Vinci.
– Absence totale de profondeur et d’épaisseur donc pas de densité volumétrique
– Visage lourd, sans expression, un œil plus petit que l’autre, c est tout bonnement impensable
– Pas de réfraction du vêtement derrière la sphère transparente que tient le sujet: inimaginable chez Léonard. Martin Kemp nous le savons, pense sur ce point différemment et considère que Vinci connaissait bien le cristal de roche et est louangeur quant au traitement pictural. Notre point de vue considère qu’il est strictement impossible que Léonard de Vinci en personne ait peint ce globe de cristal et n’eût point alors tenu compte de la distorsion des formes induite par le cristal, par l’optique, par l’effet de loupe. Il était au demeurant un si parfait scientifique, et en son temps tout particulièrement, pour ne point rendre compte de cette déformation.
– Main levée avec des doigts rabougris sans vie, sans expression
– Poignet et bras qui sortent de la manche lourds et inhabituels chez Léonard
– Chevelure bouclée inerte: pas de vent qui la fasse bouger: ne jamais oublier l’équivalence du mot biblique rouah ( roua’h ha-kodèch) signifiant en hébreu à la fois vent et esprit saint, ce que Léonard savait très bien
– Quant au traitement du menton on ne peut être qu’étonné qu’on ait un seul instant estimé que Léonard de Vinci ait pu le peindre avec tant de maladresse !
– Pour terminer, nous ignorons, faut-il le souligner, si des études ont été entreprises pour déterminer si la peinture est l’oeuvre d’un gaucher, d’autant plus que nous savons que Léonard de Vinci était le seul gaucher de son atelier, cela eût pu contribuer grandement à étayer la thèse de l’authenticité.
Nous restons … dubitatifs ( c’est le mot ?)
450,3 millions de dollars…, et au téléphone, c’est pas mal non, c’est même un record absolu !
Mais où donc est passé mon portable ?
Lire en complément l’article intitulé : Marchandages et tripotages autour du Salvator Mundi attribué à Léonard de Vinci