César Baldaccini dit César(1921-1998) est un sculpteur né à Marseille dans une famille d’immigrés toscans. Autodidacte, il se il se tourne vers l’art statuaire très jeune. Dès 1947 il travaille le plâtre et le fer. En 1952 il découvre la soudure dont il percera tous les secrets, par manque d’argent, en utilisant tous les ferrailles possibles. En 1961 il rejoint le groupe des « nouveaux réalistes », mouvement fondé par le critique d’art Pierre Restany. Il y retrouve Arman, Tinguely, Raysse, Niki de Saint-Phalle*…
Compressions, expansions, empreintes humaines mais surtout ses fers et son bestiaire (insectes, oiseaux) lui procurent la reconnaissance internationale. Individu doué d’une grande simplicité dans sa faconde méridionale et d’une grande complexité dans sa réflexion créatrice, il a toujours montré une image d’artisan, de soudeur et de créateur de formes plus étranges les unes que les autres.
Comme chacun sait, un Centaure est un personnage mythique à buste humain et au corps de cheval. Celui de l’artiste est une sculpture monumentale en bronze de 480 cm de hauteur, conçue entre 1983 et 1985. Elle est installée à Paris, dans le sixième arrondissement, à proximité du métro Sèvres-Babylone, sur un piédestal en béton.
Cette œuvre capitale fut créée en hommage à Picasso dont il était proche. Elle rappelle la fascination de l’Espagnol pour les êtres fantastiques mi-homme, mi-bête comme le Minotaure dont le Centaure est une sorte de réplique inversée : tête humaine sur corps d’animal en lieu et place d’une tête animale sur un corps humain. Le visage est un autoportrait de César.
Ayant créé des maquettes, l’artiste passa à leur agrandissement à la taille réelle en vue de la fonte du bronze. Des problèmes inattendus apparurent alors : il lui fallut changer les pinceaux formant la queue par pelle et râteau. Trouvant une jambe trop courte à son goût, César recommença tout. L’artiste était fasciné par les chevaux, disant que : « le vingtième siècle est le premier siècle non-équestre de l’Histoire de l’humanité ».
Cette œuvre imposante, puissante, est constituée d’assemblages de modelages d’objets de la vie courante coulés dans le bronze et de plaques métalliques. Les plans discontinus formés par les différentes parties du corps s’articulent parfaitement pour rendre une vision unitaire de ce mythe issu de la préhistoire. Les détails des mains, des pieds, du visage restent parfaitement classiques. Cette figure-autoportrait évoque « les vanités » de l’ère baroque.
Le masque au-dessus du front est le visage de Picasso. Une colombe de la paix va prendre son envol de la main gauche de la bête. Une statue de la Liberté réduite se cache dans la cuirasse. Une coquille Saint-Jacques placé au-dessus de l’oreille fait référence à des ailes traditionnelles. La barbe , les moustaches, la chevelure clairsemée, le nez et les arcades sourcilières sont très purs, très nettes. Le cou formé de pièces métalliques et mécaniques paraît un peu allongé, ce qui permet à l’artiste de mieux faire « ressortir » la tête.
La statue développe sa silhouette imposante dans l’espace environnant, en prend possession. Ici, le Centaure symbolise la force sauvage primitive, la rapidité et porte en lui l’idée de conquête.
Cet aspect est accentué par les éléments élémentaires, brutaux, composant cette sculpture : ferrailles, écrous, boulons, pelle, râteau, tiges…La marche saccadée de ce centaure-char d’assaut évoque la peur de la guerre. Apparaît alors, au-delà du Centaure, une machine-outil humaine qui angoisse le spectateur attentif : le « Rock-Drill », cauchemar des artistes qui connurent le second conflit mondial et son cortège d’horreurs, mais inventé dès 1913 par le sculpteur Jacob Epstein.
C’est là, dans les profondeurs de l’inconscient collectif, qu’il faut chercher le succès de cette sculpture, redoutable quand on l’observe de près.
Le Centaure, cette création délirante issue du plus profond de la terreur ancestrale de l’inconnu qui caractérisait l’âge de pierre, a été policée par le premier peuple moderne : les Grecs qui tentèrent de l’apprivoiser. Ces êtres monstrueux habitaient avec leurs femelles, les centauresses, au fin fond des forêts et dans les montagnes. Ils se nourrissaient de chair crue, ils ne pouvaient boire du vin sans s’enivrer. Auquel cas, devenant extrêmement violents, ils violaient les femmes : que l’on se remémore le mythe des Centaures et des Lapythes. Ils apparaissaient en groupe. La vérité ? Ils étaient ce qui restait de l’animalité en l’humain : « ils sont la bête en l’homme »(DIES, 134).
Avec le temps la nécessité se fit sentir, pour les Grecs, d’attribuer un côté plus positif aux « Centaures innombrables ». Les fils d’Ixion et d’une nuée symbolisent la force brutale, aveugle, folle. Au contraire les fils de Philyra et de Chronos, dont Chiron est le plus connu, sont la force débonnaire au service des bonnes causes. Ami d’Héraclès, Chiron combat avec lui contre les mauvais Centaures. Le demi-dieu le blessa par accident, il offrit son privilège d’immortalité à Prométhée pour pouvoir enfin mourir. Existe-t-il un autre mythe aussi clair sur le conflit entre l’intelligence et l’instinct ?
Leur représentation physique, pendant l’Antiquité, évoluera de symbole du désir charnel élémentaire à celui, modéré, d’élévation par les forces spirituelles. Qu’est-ce à-dire ? Ils sont le reflet de la double polarité de l’homme : bestiale et divine. Pour la période médiévale, ils sont l’antithèse des forces qui animent le « preux Chevalier » des romans de Chrétien de Troyes, de ceux qui entouraient le roi Arthur à la Table ronde.
Aujourd’hui encore, si l’on accepte de faire preuve d’honnêteté, le centaure est assimilé à l’inconscient, aux forces obscures que toute personne porte en elle, cet inconscient abolissant son libre arbitre. Ajoutons une courte analyse psychanalytique de la figure du Centaure : il provoque la panique car il EST la fusion de l’humain et de l’animal, lié au démon dans toutes les civilisations évoluées.
A cet égard, il est l’archétype d’une primitivité originelle que nous refusons, parfois encore, de reconnaître. Il existait aux origines de l’espèce humaine. Nous le portons toujours en nous mais nous voulons l’exclure de notre pensée comme de notre inconscient. Nous combattons ce qu’il est mais nous cédons parfois à son appel, à son chant de sirène maudite. Nous devrions le savoir : le diable ne meurt jamais !
Les monstrueuses atrocités du siècle précédent comme celles de celui-ci qui débute devraient nous le faire comprendre : on ne peut pas lutter victorieusement contre nos plus bas instincts dont le Centaure est une expression mais on peut les dépasser, quitter le cloaque originel dont nous sommes issus par une instruction impartiale, par une éducation épanouissante, par l’acquisition d’une culture universelle non-pervertie, par l’épanouissement de la personnalité en-dehors de tout carcan. Voila ce que SIGNIFIE l’image du Centaure dans une psychanalyse élargie.
Pour finir, permettez à l’auteur de ces lignes de citer un quatrain d’Omar Kayyam (1048-1131), le plus grand mathématicien et le plus grand poète de la Perse séfévide ( la période médiévale)
Article précédemment publié en exclusivité dans WUKALI le 25/11/2016; dernier opus d’une série consacrée à la statue équestre)
Récapitulatif général de tous les articles parus dans cette étude de Wukali consacrés à la Statuaire équestre. À retrouver prochainement sur nos colonnes
Marc-Aurèle
Les Chevaux de Saint-Marc
Donatello: Le Gattamelata
Verrochio: Le Colleone
Léonard de Vinci: Le cheval Sforza et le monument Trivulzio
Pietro Tacca: La statue équestre de Philippe IV
Bernin. Louis XIV en Marcus Curtius
Girardon. Louis XIV à cheval
Coysevox. La Renommé et Mercure sur Pégase
Guillaume IerCoustou. Les Chevaux de Marly
Edme Bouchardon. Louis XV à cheval
Jacques Saly. La statue équestre de Frédéric V
Falconet. La statue équestre de Pierre-le-Grand à Saint Pétersbourg
Louis XIV par F.J Bosio
Dupaty et Cortot Louis XIII à cheval
Louis et Charles Rochet. Charlemagne
Bourdelle. Le général Alvéar