Ne vous est-il jamais arrivé de vous demander ce qu’aurait été votre vie si vous étiez né avec le sexe opposé : une femme qui rêve de sa vie eût-elle été un homme, ou vice-versa ? Et pensons à une des hypothèses (et il en a beaucoup) de la théorie des cordes : dans des univers parallèles au nôtre, nous existons, mais pas avec exactement la même vie, alors pourquoi pas avec un sexe différent que celui que nous avons dans ce monde là. Notre vie ne serait pas la même, mais les similitudes seraient très nombreuses.
C’est en quelque sorte la démarche voulue de Julie Cohen auteur de ce livre : une histoire qui commence exactement le 8 septembre 1978 à Casablanca, non au Maroc mais dans l’état du Maine aux États-Unis d’Amérique.
On suit l’histoire de Louise, professeur d’anglais à New-York qui revient dans cette ville pour s’occuper de sa mère en train de mourir du cancer. Elle arrive avec sa fille dont elle refuse de dire le nom du père. Et parallèlement aussi, on suit aussi l’histoire de Louis, qui revient dans la même ville pour le même motif, mais lui est un écrivain qui vient de se séparer de son épouse.
Ils sont les derniers rejetons de l’ancienne dynastie propriétaire de l’usine de pâte à papier qui a fait faillite il y a bien longtemps. Ils ont tous les deux fui cette ville après un drame, autour de leurs amis d’enfance Allie et Benny.
Benny est devenu un alcoolique fini depuis qu’une balle de base-ball lui a causé des dommages neurologiques irréparables, quant à Allie, elle est devenue un docteur en médecine à l’hôpital local créé par son frère. Dans un autre monde, Benny est mort (un suicide?), Allie est devenue infirmière.
De fait, c’est Allie qui est le pivot, le personnage le plus important dans la vie et de Louise et de Louis. Pour lui, c’est l’amour inaccessible depuis leur enfance à qui il doit dire la vérité de ce qui c’est passé il y a bien des années lors de la mort de son frère, un secret bien difficile à formuler. Allie c’était la meilleure amie de Louise à qui elle n’a jamais rien caché, sauf ce qui lui est arrivé et qui est la cause de sa fuite de Casablanca. Mais Allie, elle aussi marquée par la vie, est arrivée à un âge où elle peut recevoir et surtout comprendre la vérité, même si elle est douloureuse pour elle.
Roman sur la résilience, oui, effectivement, Louise et Louis l’est aussi. Les deux, plus exactement les trois personnages principaux, face à la mort de leurs mères (celle des jumeaux est décédée il y a quelques années d’un cancer) sont devenus assez « adultes », « ouverts », « marqués par la vie » pour affronter la vérité, pour accepter ce qu’à fait Benny, pour comprendre que ce dernier ne doit pas les détruire, qu’ils ont droit d’être heureux malgré les traumatismes du passé.
La même histoire avec des constantes (que ce soit Louise ou Louis, les deux, par exemple on un rapport assez tendu avec leur mère (mais pas pour les mêmes raisons), les deux sont bisexuels, etc.), mais avec une histoire différente, essentiellement liée à leur sexe.
Julie Cohen signe ici un roman alerte, original à partir d’une histoire somme toute banale, mais traitée avec un brio évident qui rend ce livre assez unique.
Louise et Louis
Julie Cohen
traduction de l’anglais par Jean-Luc Piningre
éditions Mercure de France. 23€80