Il y a Betty, la nymphomane, toujours en manque de cigarettes, il y a Alice, la petite fille avec son doudou, il y a Jasmine, l’infirmière psychiatrique très professionnelle et empathique, il y a Émile, le vieux, aux portes de la mort qui vit dans le déni. Et il y a madame Morin, marié avec Guy, toujours aussi amoureux et leurs trois enfants. Alice Morin abandonnée par sa mère (qui meurt jeune d’une overdose), confiée à ses grand-parents : lui très affectueux, elle une taiseuse, vivant dans le déni.
Mais Alice Morin, est tout à la fois Betty, Alice, Jasmine et Émile, elle est atteinte de trouble dissociatif depuis son adolescence, souvent sans prévenir, elle est en proie avec une autre personnalité qui contrôle son quotidien. La « crise » finit, elle ne se souvient de rien et redevient la mère de famille à la routine dans laquelle elle s’épanouit.
Depuis sa première crise, elle fait régulièrement des séjours en clinique psychiatrique. Son thérapeute est fasciné par son cas, un vrai trouble dissociatif de l’identité, ce qui est exceptionnel. Il fait tout ce qu’il pense être utile pour la guérir. Mais il lui est impossible de parler, de mettre des mots sur le traumatisme à la base de sa maladie. Son mari fait tout ce qui est possible pour l’aider, pour la préserver de ses démons et préserver sa famille. Vraiment tout. Et toujours par amour.
Vinciane Moeschler écrit sur la folie, la vraie, celle qui ravage certaines personnes par intermittence. Car son héroïne mène une vie somme toute « normale ». Soit, elle a des angoisses, des doutes, des moments de bonheur, mais elle est, non en régression, mais autre quand elle a une « crise ». D’ailleurs qu’est-ce qu’une crise, si ce n’est le moyen de se protéger du mal qui la ronge en sortant de la réalité pour aller… ailleurs. Et elle, de fait à quatre autres ailleurs, quatre autres personnalités, toutes en lien directe avec le traumatisme premier.
Ce roman est envoûtant, quasi addictif dès la première page. C’est dû à un « montage » de l’histoire, à un style d’une totale maîtrise. Des phrases courtes qui représentent à chaque fois un paragraphe, ce qui donne une lecture hachée entraînant le lecteur dans une spirale qui n’est pas loin d’être l’exacte réplique de celle dans laquelle est prise l’héroïne.
On passe comme chapitres de Je, et les autres, le mari (la vision de Guy vis-à-vis de celle qu’il adule), les fils pour finir par Lou, la fille aînée. Là, on est plus du tout dans le même découpage : c’est un témoignage, clair, sans affect (pas comme ceux de ses deux frères qui la précédent). Lou est la seule qui n’est pas atteinte par la folie (car l’amour de Guy confine à une sorte de folie), elle est lucide, a tout compris. Bien sûr, elle souffre, mais elle accepte, elle assume, regarde vers l’avenir et non sur le passé, évolue dans la réalité et non dans un monde imaginaire ou artificiel. Elle est Elle, quatre pages, quatre petites pages qui concluent ce roman avec un optimisme et une foi dans la vie absente avant.
Vinciane Moeschler aborde la folie humaine à partir d’un cas exceptionnel, ce qui lui permet d’aborder bien des facettes de la folie, folie qui est en nous mais que nous arrivons à endiguer. Folie destructive, pour nous et notre entourage, quand nos traumatismes sont trop lourds à porter.
Alice et les autres
Vinciane Moeschler
éditions Mercure de France. 18€