Les éditions Autrement dans la collection les grands romans viennent de rééditer le Journal de l’année du désastre de Kressmann Taylor, texte datant de 1967.
On connaît tous Kressmann Taylor, ne serait-ce que grâce à son magnifique, superbe, génial et j’en passe : Inconnu à cette adresse.
Ce que l’on sait moins c’est que cette écrivaine américaine était aussi professeur de journalisme et grande amoureuse de Florence. Or elle était dans une pension dans un ancien palais le très tristement célèbre 4 novembre 1966. Son journal de fait, ne dure pas une année mais 4 mois du 4 novembre au 4 mars. Quatre mois du désastre à la résurrection.
Car nous ne nous en souvenons plus, le 4 novembre 1966, Florence a faillit disparaître sous une crue que la ville, et la Toscane, n’avait jamais connu, la plus importante avant datait du XIV siècle, c’est dire que personne n’imaginait le désastre qui se produisit ce jour là.
Kressmann Taylor était présente et a mis son talent pour raconter ce qu’elle a vu, vécu. Comme d’habitude, elle sait peindre en peu de mots les émotions, les personnalités de toutes les personnes qu’elle rencontre parfois furtivement. Elle est un témoin privilégié, au cœur de la catastrophe et sait faire œuvre de journalisme, c’est à dire en restant la plus objective possible. Elle arrive parfaitement à dire ce qu’elle ressent, le cri d’amour pour Florence qui part du fond de son âme, sa réelle compassion pour les dizaines de milliers de victimes, tout en décrivant avec une certaine distance tout ce qu’elle voit sans porter le moindre jugement. Si, un peu quand même quand elle constate la totale désorganisation de l’état italien, en général et de manque d’organisation et de rationalité des Italiens. Mais quels artistes de génie, quelle force en eux, quelle dignité ils ont face à leur malheur !
La ville est ravagées, défigurée, elle est pleine de boue, de fuel provenant de toutes les chaudières qui ont explosées sous la pression de l’eau, de monceaux de gravats, de débris de toute sorte.
Des milliers de personnes ont tout perdu, il ne leur reste que les vêtements (essentiellement des chemises de nuit ou des pyjamas) qu’ils portaient quand ils furent réveillés par l’inondation. L’Arno avec des courant de plus de 60 kilomètres heures a tout ravagé, montait de plus d’un mètre par heure. Et comme personne, surtout les pouvoirs publics, n’avait prévu cela, c’est une ville endormie qui s’est réveillée à cause de la crue.
Le centre ville est méconnaissable, les neufs dixièmes des artisans et des commerçants ont tout perdu, et aucun n’était assuré pour une inondation inimaginable. Les plaques en bronze des portes du Duomo ont été descellées, la basilique Santa Croce, le panthéon florentin, s’est remplie de boue jusqu’à cinq mètres de hauteur. Les dégâts dans les bibliothèques sont incalculables (et plus de 50 ans après la restauration des volumes n’est pas achevée), il faut dire que chez elles comme dans les musées, les fonds se trouvaient dans les sous-sols. Et que dire des milliers d’œuvres touchées, les fresques qui risquent de se détériorer à jamais avec les murs humides où elles se trouvent.
Kressmann Taylor nous décrit la crue, mais aussi et surtout, l’énergie déployée par tous pour essayer de réparer les dégâts. Soit, au début les Florentins sont seuls, mais petit à petit, toute l’Italie puis le monde (elle insiste beaucoup, et c’est normal, sur l’aide américaine) font montre de solidarité pour sauver ce qui est un patrimoine commun de l’humanité. Elle loue l’énergie déployée par le maire, le rôle des étudiants qui, spontanément ont permis de sauver des livres rarissimes et des milliers d’œuvre. Elle nous décrit tous ces anonymes qui munient d’une pelle, d’un balai, avec le peu d’eau disponible se mettent au travail pour pouvoir recommencer à vivre. Ils ont tout perdu, mais il leur reste une volonté de vivre, sans se plaindre, sans pleurer, que nous ne pouvons qu’être comme Kressmann Taylor : admiratifs.
A la lecture de ce livre, au delà de nous rappeler combien la beauté et notre environnement est fragile, reste surtout la croyance dans la ténacité et la dignité des humains. C’est plus, bien plus qu’un livre sur la résilience, c’est un cri d’amour, après un hurlement d’effroi, pour une des plus belles ville du monde.
Dans le maquis des livres de la rentrée et, comment dire son nombrilisme ou sa médiocrité, c’est selon, comme cela fait du bien de lire le Journal de l’année du désastre. Et oui, il faut savoir lire et relire des écrits qui ont quelques années, voire quelques siècles.
Je ne suis pas passéiste, loin de là, mais je n’y peux rien si un des meilleurs livres que j’ai lus ces neuf premiers mois de l’année (soit un peu plus de 120), est bel et bien le Journal de l’année du désastre.
Le Journal du désastre
Kressmann Taylor
éditions Autrement. 10€
Illustration de l’entête. Santa Croce inondée