Frances Gies (1915-2013) et son mari Joseph, furent des médiévistes américains qui connurent de grand succès de librairie tant aux USA qu’en Grande-Bretagne. Certains de leurs ouvrages ont été traduits en français comme La vie dans un château médiéval ou La vie dans un village médiéval. En France, voilà que les éditions des Belles lettres viennent de publier Le chevalier dans l’histoire.
L’autrice démonte le mythe du chevalier de sa naissance à son déclin. Bien des différences existent entre le rustre des début au riche noble de la fin. On assiste a un glissement progressif d’une sorte de mercenaire avide de terre et de butin pour, progressivement, avec l’apparition du système féodal, arriver à un militaire récupéré par l’Église qui va lui confier l’étendard de la défense de la chrétienté, pour finir par un soldat parmi tant d’autres au service de leurs rois quand ceux-ci affirment leurs volonté de pouvoirs et de centralisation.
Cette évolution est due en grande part à l’action de l’Église. D’abord, très vite, par la Paix de Dieu qui prescrit des interdictions de plus en plus importantes à la guerre, puis en intervenant dans la cérémonie de l’adoubement qui d’origine est une sorte de contrat interpersonnel entre un seigneur et son vassal, pour devenir au fil du temps une vraie cérémonie religieuse.
Mais c’est avec la réforme grégorienne que l’évolution théologique va faire évoluer la chevalerie. En effet, de l’interdiction absolue de tuer un homme sous peine de damnation éternelle, on passe à la permission à condition qu’il s’agisse d’un ennemi de l’Église. Qui plus est, avec Urbain II, c’est le paradis assuré si on est tué dans cette sorte de guerre.
C’est l’époque des croisades qui permettent à bien des chevaliers d’espérer avoir un avenir, de fonder une famille. Car si au début du Moyen-Âge, le droit germanique s’appliquait (les biens étaient divisés à part égale entre les héritiers), le principe de la progéniture mâle finit par s’imposer (seul l’aîné héritait, ses frères restaient sous sa coupe, et ne pouvaient fonder de famille). S’ils en avaient les moyens, ils achetaient des armes et des chevaux et servaient un seigneur au titre de chevalier. C’est à cette époque que furent créés les ordres monastiques de chevaliers : les Templiers, les Hospitaliers et les Teutoniques.
Cette évolution est due, d’autre part, à l’évolution de l’armement : la protection du chevalier évolue, s’améliore et donc représente un coût de plus en plus important que beaucoup ne peuvent supporter. Pour autant, de plus en plus conscient de faire partie d’un ordre « privilégié », la chevalerie va intégrer la noblesse héréditaire, ce qui fait que les « nouveaux riches » (commerçants, gros paysans) ne peuvent y accéder.
Comme l’armement évolue, les techniques de guerre aussi. L’apparition des canons finit par marquer la fin de la chevalerie. Les désastres d’Azincourt ou de Poitiers ont montré la fin d’une certaine idée de faire la guerre. Et que dire de la bataille de Castillon où les canons de Jean Bureau décimèrent les Anglais et un de leur plus grand chef de guerre John Talbot. Et de fait, d’abord chez les Anglais, puis chez les Français ensuite, les rois préfèrent que ceux qui doivent l’ost, paient et ne viennent pas à la guerre pour acquérir des troupes de mercenaires puis une armée « régulière ».
Toute une partie de cet ouvrage porte sur l’importance, et l’évolution de la littérature de l’époque sur les chevaliers. Que de différences entre les textes relatifs à l’amour courtois des troubadours de langue d’oc, au cycle des «romans arthuriens » ! Que de différences, entre l’amour pour une belle dame et la quête du Graal ! Entre Arnaut Daniel et Chrétien de Troyes, la vision de la chevalerie est bien différente.
Cette évolution est aussi particulièrement frappante dans les portraits des trois chevaliers dont l’autrice, Frances Gies, nous compte la vie : Guillaume le Maréchal au XIIè siècle, Bertrand Du Guesclin, le siècle suivant et Sir John Fastolf (que le génial Shakespeare transforme en Falstaff) à la fin de la Guerre de Cent ans.
La chevalerie devient une sorte de mythe, entretenue par les puissants comme Henri VIII en Angleterre ou François Ier en France. Que l’on pense qu‘Henri II est mortellement blessé lors d’un tournoi. Le tournoi, qui lui aussi a énormément évolué dans le temps, est resté un symbole de la chevalerie.
Bon, bien sûr il y a quelques inexactitudes : ce n’est pas Saint Bernard (même s’il a fait beaucoup pour son rayonnement) qui a fondé l’ordre de Cîteaux, mais Robert de Molesne. Mais cela n’altére en rien la qualité du travail de Frances Gies.
Force est de constater, à la fin de cet ouvrage, que l’idéal de la chevalerie basé sur le fait militaire, la courtoisie et la défense de la religion, tient plus du mythe (merci Chrétien de Troyes) comme le montre avec son génie Cervantes avec son Don Quichotte, que de la réalité. De fait, sauf rares exceptions, les chevaliers se battaient pour leurs profits, volaient, violaient ceux qu’ils avaient promis de défendre.
Le chevalier dans l’histoire
Frances Gies
Traduction Christophe Jaquet.
éditions des Belles Lettres. 16€90
Illustration de l’entête: détail du tombeau à pleurants de Philippe Pot (1480-1483). © Musée du Louvre, dist. RMN / Raphaël Chipault