Attention, derniers jours…
De l’émotion, de la sensibilité, de la douleur, de la poésie, l’esprit de résistance tout à la fois dans cette belle exposition de photographies d’artistes afghans en exil. L’exposition Le Rire des Amants, une épopée afghane qui se tient actuellement à Paris au Pavillon Carré de Baudouin * à Ménilmontant, présente le regard singulier sur l’Afghanistan et le peuple afghan de six photographes (trois femmes et trois hommes), en exil de leur pays, autour de l’oeuvre du plus grand poète et écrivain afghan Sayd Bahodine Majrouh.
Une exposition qui se présente comme un manifeste de la beauté, à la fois grave, frémissante et élégante, seule réponse à la barbarie. Certains de ces artistes vivent l’exil depuis longtemps, d’autres viennent juste d’être exfiltrés d’Afghanistan et cherchent un nouveau souffle.
Roshanak Bahramlou
Photographe et peintre née à Téhéran, Roshanak vit en France depuis 1991. Le courage des femmes face aux difficultés de la vie est au coeur de son travail d’artiste. En 2001, dans un pays libéré des talibans, elle s’installe en Afghanistan. Elle lance Parvaz un magazine pour enfants au sein de l’association Aina et développe une approche artistique inédite, empreinte de poésie et d’espoir, qui souligne la détermination des Afghanes à participer à la reconstruction de leur pays. Ses photographies noir et blanc, peintes à la main, s’animent de couleurs vives, éblouissantes, par petites touches. Scènes d’intérieurs, traditions, famille, bonheurs et chagrins… Une mosaïque d’instants uniques saisis au vif, métaphore subtile de la condition de ces femmes qui surgissent des ténèbres pour redécouvrir peu à peu les couleurs de la vie.
Roya Heydari
Roya Heydari, est tout à la fois, photographe, cinéaste et écrivaine. Après un exil de plusieurs années en Iran elle retourne dans son pays natal lors de son adolescence pour suivre des études en sciences politiques. Elle se spécialisera dans les arts visuels, un moyen de montrer la réalité de son pays. Elle cherche à partager un regard neuf, engagée et sensible sur l’amère condition des femmes en Afghanistan.
Le dimanche 15 aout 2021, Kaboul tombe aux mains des talibans. Une guerre prend fin dans la panique et la confusion. Les Américains quittent la capitale afghane en catastrophe, abandonnant derrière eux tout un peuple dans l’effroi. Les images de avions gros porteurs de l’US Air Force tentant de décoller avec des grappes d’Afghans terrorisés par l’entrée des talibans dans la capitale afghane, et plaqués pour s’enfuir sur la carlingue des avions en train de rouler sur la piste de l’aéroport, hantent à tout jamais l’histoire. La guerre américaine commencée vingt ans plus tôt s’achève dans le chaos.
Dans Kaboul, c ‘est sauve-qui-peut. Les légations diplomatiques étrangères ont déserté la ville. La France est la seule ambassade occidentale à demeurer ouverte. Ce 15 août 2021, tôt le matin les services de l’ambassade de France appellent de nombreux afghans. La jeune photographe alors âgée de 28ans est contactée, elle décroche l’appareil. Une voix au bout du fil en français lui dit: « Vous avez deux heures si vous voulez quitter le pays, nous organisons votre évacuation« . Sa décision est immédiate, sa valise est bouclée en un tour de main. L’ambassade de France est devenue un havre fragile où se retrouvent réunis près de 400 afghans venus chercher protection. L’ambassadeur de France David Martinon, dirige l’évacuation, chaque minute qui passe est une minute de gagnée. Des bus blindés viennent chercher les Afghans, ils seront exfiltrés par les agents français de la DGSE. Roya Heydari est sauve, en route vers la France.
Fatima Hossaini
Fatima Hossaini est une artiste afghane née en Iran à Téhéran, elle fait partie de la minorité hazara pourchassée par les talibans. Elle avait fondé l’ONG Mastooraat, qui milite en faveur des femmes, de l’art, de la jeunesse et la paix, cible de choix pour les fondamentalistes.
Diplômée en photographie et génie industriel, elle a enseigné à la faculté d’art de l’Université de Kaboul a défendu les droits des femmes et des réfugiés par ses actions. Elle raconte par la photographie des histoires puissantes d’identité et de féminité mises en scène en Afghanistan. Elle a été exfiltrée en France en août 2021.
Reza
Photographe, en exil de son Iran natal depuis 1981, correspondant de guerre et de paix depuis 40 ans, fidèle de l’Afghanistan et de son peuple, proche du commandant Massoud dont il a saisi le célèbre portrait. Ses témoignages sont diffusés dans les médias internationaux et sous la forme de livres, d’expositions, de documentaires. Engagé bénévolement dès 1983, pour la formation des populations de sociétés fragilisées aux métiers du journalisme.
Depuis 40 ans, il partage sa vision à travers des expositions en France et dans le monde. Auteur, avec Rachel Deghati, de 33 livres, il est primé de nombreuses fois au cours de sa carrière.
“Je viens d’Iran, un pays où l’on raconte des histoires. Voilà pourquoi, je suis moi aussi un conteur. ” raconte -t-il dans la revue Polka. « Très tôt, il fait preuve d’un esprit contestataire. A 16 ans, il est repéré par la police politique pour la publication d’un journal lycéen. A 22 ans, il placarde ses photographies sur les grilles de l’université de Téhéran, ce qui lui vaut d’être emprisonné pendant trois ans et d’être torturé, trois mois durant. En 1979, il s’exile définitivement, à New York puis à Paris, après avoir couvert la révolution islamique pour “Newsweek”.
Depuis, appareil au cou, il se bat pour la liberté d’écrire, de parler et de photographier.
Tantôt proche du commandant Massoud, tantôt conseiller de l’ONU en Afghanistan, le photographe est aussi militant. De cet engagement naît en 2001, à Kaboul, Aïna, une ONG destinée à former des journalistes et des médias indépendants dont le département photo sera, un temps, dirigé par Dimitri Beck (aujourd’hui directeur de la photographie de Polka).
Massoud Hossaini
Photo-journaliste afghan né à Kaboul, il est formé à la photographie au sein de l’association Aina en Afghanistan, fondée par Reza. Il travaille pour l’Agence France-Presse depuis 2007. Le 6 décembre 2011 à Kaboul, il photographie une scène d’attentat qui fait 80 morts et au cours de laquelle il est lui-même blessé. Sa photographie de Tarana, une fillette afghane en pleurs après cet attentat, obtient le Prix Pulitzer de la photographie d’actualité en 2012.
Le 15 août 2021, alors que les talibans investissent Kaboul, Massoud Hossaini embarque dans l’un des derniers vols réguliers pour fuir une mort certaine car devenu une cible prioritaire. Il est aujourd’hui réfugié. Son compte Instagram est un carnet intime, une quête, un appel à surmonter l’horreur par la beauté des choses simples.
Naseer Turkmani
Photographe afghan, il débute tandis qu’il était étudiant à Quetta au Pakistan.
Depuis, il documente le quotidien des gens qui l’entourent. Après avoir obtenu son diplôme, il revient dans son pays d’origine, l’Afghanistan, où il rejoint le 3rd Eye Photojournalism Center (Cheshm-e Sevum) à Kaboul en 2010. Il est membre de l’Association des photographes afghans. Il est contraint à l’exil en France fin août 2021.
Illustration de l’entête: Petite fille afghane. Afghanistan 2004. ©photo Reza/ Webistan
Exposition: Le temps des amants, une épopée afghane.
jusqu’au 2 avril 2002
Pavillon Carré de Baudouin
121, rue de Ménilmontant – 75020 Paris