La leçon de mon mélèze
J’avais un très beau mélèze dans mon jardin. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé, l’année dernière, il a commencé à montrer quelques signes de fatigue. Le bout de ses branches se desséchait. Il n’avait plus l’air très vaillant. Alors, contre toute attente, il s’est mis à produire une extraordinaire multitude de cônes. Du jamais vu. À la moindre bourrasque hivernale, on aurait pu les ramasser à la pelle, comme les feuilles de Monsieur Prévert. Et, ce printemps, hélas ! il n’a pas reverdi. Mort.
N’est-ce pas un phénomène étonnant qu’un arbre en péril se mette à fabriquer des fruits au point de s’épuiser définitivement peut-être, mais en sorte de favoriser la continuation de son espèce ? Quand je dis « en sorte de », je me rends bien compte que je prête des intentions à un végétal. Mais, après tout, ne s’attendrait-on pas qu’un arbre malade se laisse périr sans autre forme de dispositions ? D’accord, on ne peut pas lui attribuer une volonté personnelle. Cela n’empêche cependant qu’il fait partie d’un ensemble plus vaste – la nature, la vie –manifestement mû par une force qui fait tout ce qu’elle peut pour assurer la conservation et la propagation du système.
Les philosophes et nous-mêmes, modestement, nous nous posons tous un jour ou l’autre la question de l’apparition de la vie et même de l’univers. Comme Leibniz, nous nous demandons : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Effectivement, « rien » aurait été plus simple que « quelque chose ». Mais ce qui est plus étonnant encore que le surgissement du « quelque chose », me semble-t-il, c’est que l’univers à peine débarqué n’a cessé de se transformer. On aurait pu escompter l’apparition d’un grand machin complètement fini, livré clé sur porte, un bloc immuable comme l’imaginaient les Grecs. Eh bien, non, l’univers, à peine né, a tout de suite jeté feu et flammes, il a éclaté dans toutes les directions et il n’a cessé de s’agiter comme un beau diable.
De même, la vie aurait pu montrer le bout de son nez, faire un petit tour d’horizon des conditions épouvantables dans lesquelles elle émergeait, puis plier bagage, tout simplement. Or elle affiche un dynamisme à toute épreuve pour exister et se diffuser. Elle se relève des pires catastrophes. La terre reçoit-elle une météorite en pleine poire, les dinosaures et une foule d’autres espèces animales et végétales sont-ils rayés de sa surface ? La vie s’obstine vaillamment envers et contre tout, et se requinque avec une nouvelle vigueur. Selon une étude toute récente effectuée à l’aide de drones par l’Université de Bristol, trente-six ans après la catastrophe, une partie de la radioactivité a disparu sur le site de la centrale de Tchernobyl, certains niveaux ont même chuté de façon significative. « C’est Mère nature qui fait son travail », explique le Pr Scott.
Il n’y a donc aucun doute que la vie opposera toute son inventivité aux épreuves que nous lui infligeons aujourd’hui. En dépit des ravages subis, elle s’adaptera toujours et reprendra son expansion millénaire. Mais, ne nous berçons pas d’illusions : ce sera peut-être sans nous, ses prédateurs. La vie a existé avant les humains. S’ils sont assez fous pour provoquer leur propre perte, elle pourrait très bien se passer d’eux dans le futur, comme elle s’est passée des dinosaures.
Dernier roman d’Armel Job
Un père à soi
éditions Robert Laffont
Lire critique dans WUKALI (cliquer)