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Artemisia Gentileschi, femme artiste du 17eme siècle qui rebat les cartes du cadre social

par Pierre-Alain Lévy

C’est un fait de société et d’une grande banalité que de le dire, la recherche historique, dans toute la diversité de ses déclinaisons, répercute dans ses profondeurs les mouvements tectoniques qui bouleversent la société. L’histoire de l’art dans ce domaine n’y échappe pas et c’est ainsi que depuis peu, des études diverses, des livres comme des expositions révèlent (ou plus exactement remettent en lumière), non seulement la place des femmes dans la création artistique mais « les chemins de la liberté » ( en d’autres termes plus crus et moins métaphoriques: les luttes) qui furent les leurs dans des sociétés machistes et d’oppression masculine, quels que fussent les pays d’ailleurs, les temps et les siècles et les types de culture et de civilisation dont ils relevaient.

Cette approche que d’aucuns qualifieraient de structuraliste, est certes plus facile pour la période récente, c’est ainsi qu’une exposition consacrée à Suzanne Valadon et les femmes peintres fut ainsi présentée à au monastère royal de Brou ( voir article dans WUKALI ). Actuellement une exposition est consacrée au musée de la Libération à Paris aux Femmes photographes de Guerre, voila quelques mois, en 2019 plus précisément, une remarquable étude sous le titre de Davidiennes par Yaelle Arasa était sortie sur Les femmes peintres dans l’atelier de David (éditions de l’Harmattan), l’on pourrait continuer de longues listes tant le sujet est devenu porteur.

De la même manière, l’analyse portée à la description systémique des tableaux, tant sur le plan global du déroulé de l’histoire proprement dit et des découvertes biographiques sur les artistes devient plus précise et s’enrichît. Certains artistes, certaines personnalités émergent et leurs oeuvres notamment sont héraldiques des fractions des sociétés dans lesquelles elles vivaient, mais incarnent parfois leur propre histoire. Tel est le cas d’Artemisia Gentileschi (1593-1656), son histoire nous bouleverse, le drame de sa vie nous apostrophe, son talent et son oeuvre nous émeuvent, en plus, s’il est dur, dur, dur, d’être « fils de« , « fille de« , n’en parlons même pas !`

Une société d’hommes, les eaux glauques d’une sexualité honteuse, prédatrice, criminelle, sans foi ni loi. Une société d’hommes au sein d’une religion de l’autorité et des messes basses. Des affaires qui commencent par le sang qui coulent des victimes, les femmes, violées, sacrifiées au désir bestial de l’homme, et se terminent quelquefois par le sang des bourreaux et des assassins qui subissent (parfois) le châtiment.

Olécio partenaire de Wukali
Artemisia Gentileschi femme peintre
Judith décapitant Holophernes, Artemisia Gentileschi.
musée des Offices (199 × 162,5 cm).

Le sang oui, sang rouge ou sang noir qui coagulent en ruisselant du cou des mis à mort. Le sang qui sidère et tétanise, oui le sang qui coule comme torrents après l’orage et que ne serait l’histoire de l’art occidental l’oblitérerait on des sacrifices des martyrs du christianisme dont certains artistes se firent les propagandistes. Corps suppliciés, chairs déchiquetées, meurtries, tailladées, écartelées, mises en lambeaux et dont la vie se retire. Les plus grands chefs d’oeuvre ont été peints par les plus sublimes artistes, pensons à Rubens, à Caravage et maints autres. La plupart du temps, il s’agit de commandes, il convient de le préciser. Mais sang qui bouleverse et dont l’essence tragique s’inscrit dans un inconscient qui se dérobe.

Regards aussi de celui qui voit et qui est témoin, ce regard en mise en abîme trouble de celui là même qui est spectateur du tableau, parfois d’une sculpture. Intemporalité de la vision, immanence d’une impuissance jouissive malsaine, car c’est bien de cela dont il s’agit. Freud aujourd’hui nous permet une justesse d’analyse à défaut de sérénité devant ces spectacles atroces rendus visibles et mortifèrement beaux sous la magie sorcière des pinceaux ou le burin des artistes.

Pierre-Alain Lévy

Voir en bas de l’article la biographie exhaustive de Michele Nicolaci sur Artemisia Gentileschi publiée en 2012 à l’occasion de l’exposition au musée Maillol qui lui était consacrée

Le soleil noir des juristes

Dans l’expression « histoire de l’art« , il y a « histoire » et celle ci ne peut pas se définir sinon aussi comme un rapport de forces entre différentes fractions des sociétés politiques quelques soient leurs références temporelles. Ainsi l’on arrive très vite à la conception du droit. Parfois il arrive que droit, histoire de l’art et histoire proprement dite se télescopent.
C’est le sens de l’article paru dans The New York Law Journal au sujet d’Artemisia Gentileschi et sous la plume de David Lenefsky et que nous avons traduit et illustré pour WUKALI .
P-A L

Casser le plafond de verre, voilà maintenant 400 ans

The New York Law Journal. Compte tenu des restrictions culturelles et juridiques auxquelles les femmes étaient confrontées, l’exubérance et les excès d’Artemisia Gentileschi sont compréhensibles, voire admirables.

La Renaissance a été une transformation, un catapultage de l’époque médiévale vers la modernité. La Renaissance défend l’idée que la joie dans ce monde remplace la fixation sur le monde suivant. Elle représente la proposition selon laquelle notre épanouissement a lieu dans cette seule vie, et non dans une vie après la vie. La Renaissance a été la découverte et le développement de l’individu. C’était la prise de conscience qu’il existe un droit d’avoir des droits.

Mais pas pour les femmes !

Artemisia Gentileschi femme peintre
Artemisia Gentileschi, Autoportrait en sainte Catherine d’Alexandie, 1615-1617, National Gallery de Londres

Malgré les obstacles juridiques et culturels, les femmes artistes ont parfois réussi à s’élever et à briser le plafond de verre. Artemisia Gentileschi (1593-c.1654) l’a fait voler en éclats. Elle était d’un talent exaltant, d’une passion pure, d’une ambition sans équivoque – et d’une grande beauté (malgré sa célébrité, il existe des incertitudes quant à nombre de ses activités, attributions et dates, notamment l’année de sa mort).

Elle a peint pour lesMédicis à Florence, les ducs de Parme, de Modène, de Bavière et autres, les cardinaux Francesco et Antonio Barberini à Rome, le roi d’Espagne Philippe IV et sa sœur, la reine d’Angleterre Henrietta Maria, et de nombreux grands collectionneurs.

Elle a probablement été la première femme admise à l’Academia delle Arti del Disegno de Florence, à l’âge de 23 ans ! Les poètes contemporains et les historiens de l’art l’ont encensée. Elle était un acteur de l’âge d’or, de la haute société.

La vie à Rome, cependant, n’a pas bien commencé. Sa mère meurt alors qu’elle a environ 12 ans et si son père, Orazio, un peintre réputé, reconnaît et encourage le talent de sa jeune fille, il ne s’agit que de lui, pas d’elle. Il se concentre sur le prestige et les revenus qu’il tire des tableaux d’Artemisia. Il négligeait par ailleurs son éducation – elle était analphabète.

Puis, à l’âge de 19 ans, Orazio, sans en informer Artemisia, porte plainte contre Agostino Tassi, un peintre, censé être l’un de ses rares amis et probablement le professeur de perspective d’Artemisia, au motif qu’il l’aurait violée. Pour une raison quelconque, peut-être parce que le complice de Tassi était employé par le Vatican, Orazio a adressé sa plainte au pape Paul V, ce qui a fait que c’est le droit canonique plutôt que le droit civil qui s’applique.

Une partie du dossier original du procès a été découverte en 1876, révélant beaucoup de choses sur le droit procédural et substantiel de l’époque. Le procès se déroulait sous la forme d’un juge déposant des témoins sous serment (le juge était appelé « Magnifique, ou Illustre, et Excellent Seigneur » .

Plusieurs témoins, sans aucune explication, ont été arrêtés et incarcérés un jour ou deux avant leur déposition et libérés dès la fin de celle-ci.

À plusieurs reprises, le Magnifique ou l’Illustre a déclaré qu’il ne croyait pas un témoin. Dans un cas, il a ordonné qu’un témoin soit torturé, puis placé en isolement, et interrogé une seconde fois. Le dossier ne précise pas pour qui le témoin a témoigné, mais il est clair qu’il n’a pas changé son témoignage. Avec un autre témoin, qui a témoigné contre Artemisia, le Magnifique ou l’Illustre a demandé si elle était prête à confirmer son témoignage sous la torture. Elle a accepté – puis a réaffirmé son témoignage antérieur.

La loi de la découverte incluait la torture de la prétendue victime féminine, ce qui était particulièrement dur pour un peintre, car elle comprenait des coups de pouce qui blessaient manifestement les mains d’Artemisia. Artemisia a également été sommée de témoigner en présence de Tassi, et de répondre oralement à 24 questions écrites qu’il lui a soumises. Dans tous les cas, elle a déclaré sans équivoque que Tassi l’avait violée – et il a nié sans équivoque.

Le Magnifique ou l’Illustre a d’ailleurs ordonné à deux sages-femmes d’examiner Artemisia pour vérifier qu’elle n’était pas vierge, mais au même moment la loi exigeait qu’une femme prouve qu’elle était vierge pour obtenir une condamnation pour viol ! Tassi, encouragé par une telle loi, a produit des témoins qui ont attesté du comportement immoral d’Artemisia. Il va sans dire que le procès fait parler de lui.

L’élément le plus préjudiciable pour Tassi est sans aucun doute le témoignage d’un témoin de la Curie qui a déclaré que Tassi lui avait dit qu’il devait épouser Artemisia parce qu’elle était vierge, mais qu’il ne pouvait pas le faire parce qu’il était déjà marié.

Le Magnifique ou l’Illustre n’a manifestement pas cru Tassi, l’avertissant à plusieurs reprises de dire la vérité. La transcription du procès est incomplète et n’inclut pas le verdict ou la sentence du tribunal, le cas échéant. On peut supposer que Tassi a été déclaré coupable car nous savons qu’Orazio a intenté un procès contre six des témoins de Tassi pour faux témoignage.

Artemisia Gentileschi femme peintre
Susanne et les vieillards circa. 1610. Artemisia Gentileschi
Huile sur toile, 170cm/119cm. Palais de Schloss Weißenstein. Allemagne

Artemisia a peint sa biographie. Ses sujets étaient évidemment révélateurs sur le plan psychologique. Elle a peint, par exemple, des femmes de la Bible ou mythologiques vulnérables aux abus sexuels. Son premier tableau signé est Susanne et les vieillards, 1610 (Kunstsammlungen Graf von Schonborn, Pommersfelden, Allemagne), une histoire tirée du Livre de Daniel dans laquelle Susanne, alors qu’elle se baigne, est confrontée à deux hommes qui exigent sa soumission, menaçant de l’accuser d’adultère, punissable de mort, si elle refuse. Elle est arrêtée, mais le contre-interrogatoire et l’expertise juridique de Daniel la sauve.

Artemisia Gentileschi femme peintre
Judith et sa servante, Artemisia Gentileschi peindra ce tableau un an après son viol.
C’est elle-même qu’elle représente portant fièrement l’épée sur l’épaule après avoir décapité Holofernes dont la tête gît dans un panier.
Huile sur toile, 114cm/93,5cm,Galerie palatine, Palais Pitti, Florence..

Artemisia revient sur le sujet, ce qui témoigne de son importance pour elle, en 1622 (The Burghley House Collection, Stamford, Lincolnshire, Angleterre), et une troisième fois, sa dernière œuvre datée connue, en 1652 (Collezioni della Pinacoteca Nazionale, Bologne).

Elle a également peint des héros féminins. L’histoire de Judith, une veuve juive, telle que racontée dans les Apocryphes, qui décapita le général assyrien Holopherne, ce qui mena à la victoire de l’armée israélite, est le sujet de cinq tableaux : vers 1608 (The National Museum of Art, Oslo) ; vers 1612-13 (Museo Real Bosco di Capodimonte, Naples) ; vers 1613-14 (Galerie des Offices Florence) ; vers 1614-15 (Offices) ; et vers 1623-25 (Detroit Institute of Arts).

Le Metropolitan Museum of Art abrite un autre exemple de cette œuvre, et l’une de ses plus grandes peintures : Esther devant Assuérus, vers 1628-30, une histoire tirée du Livre apocryphe d’Esther. Pénétrer sans autorisation dans l’enceinte du roi de Perse était passible de mort, même pour sa femme. Esther s’y est néanmoins rendue, après avoir jeûné pendant trois jours, ce qui lui a fait perdre connaissance. Elle a ensuite plaidé, avec succès, auprès de son roi de mari pour qu’il abroge une ordonnance ordonnant que tous les Juifs soient tués.

Artemisia Gentileschi femme peintre
Esther devant Assuérus (1628-1635) Artemisia GentileschI.
Huile sur toile, 208cm/273,7 cm. Metropolitan Museum of Arts

Une troisième catégorie importante de sujets était les autoportraits, dont beaucoup apparaissent comme Susannah et Judith dans les tableaux mentionnés ci-dessus, mais aussi seuls, comme l’Autoportrait en joueur de luth, vers 1615-17 (Wadsworth Atheneum Museum of Art, Hartford, Conn.). Artemisia a appris à chanter et à jouer des instruments de musique, ainsi qu’à lire et à écrire, lorsqu’elle s’est installée à Florence immédiatement après le procès. Son message est clair : je suis une femme, une femme cultivée, une musicienne et une peintre.

Dans toute son œuvre, on retrouve le nu féminin érotique, un sujet évidemment surprenant à l’époque pour une artiste féminine. Les peintures d’Artémisia sont puissamment naturalistes, manifestement influencées par le Caravage. (Voir David Lenefsky, Caravaggio et Bernini : Two Giant Geniuses, Two Violent Criminals, NYLJ (18 janvier 2022). Ses personnages sont modelés de façon convaincante ; les femmes, même bibliques et mythologiques, sont habillées de riches costumes contemporains (comme Artemisia l’a toujours été) ; et, tout est coloré de façon vibrante.

Artemisia Gentileschi femme peintre
Judith et sa servante (1623-1625). Artemisia Gentileschi
Huile sur toile, 184cm/141,6cm. Detroit Museum of Arts

Artemisia était, sans surprise, psychologiquement compliquée. Elle dépensait plus d’argent que ses revenus considérables, étant presque toujours très endettée ; pourtant, elle n’a pas réussi à quelques reprises à terminer des commandes pour des personnes importantes, ce qui lui a valu au moins un procès, en 1620, pour défaut d’exécution. De plus, son ambition, selon ses amis, se transformait souvent en opportunisme et en combativité peu recommandables ; alors qu’elle était mariée, elle vivait ouvertement avec un autre homme ; et elle faisait souvent des choses totalement inattendues, comme se rendre à Londres sans être accompagnée. Et pour une raison inconnue, lorsqu’elle vivait à Naples, elle demandait, à son retour d’Angleterre, l’autorisation légale pour un employé de maison de posséder une arme à feu pour sa protection.

Compte tenu des restrictions culturelles et juridiques auxquelles les femmes sont confrontées, son exubérance et ses excès sont compréhensibles, voire admirables.

« Vous trouverez l’esprit de César dans l’âme d’une femme« , a-t-elle écrit à un important collectionneur. A un autre : « Je vais montrer à votre illustre Seigneurie ce qu’une femme peut faire. » Eh bien, elle l’a certainement fait !

Référence : Actes d’un procès pour viol en 1612, suivis des lettres de Artemisia Gentileschi, éditions des femmes, 1983


Biographie exhaustive d’Artemisia Gentileschi

Biographie établie par Michele Nicolaci

Extrait de l’article publié dans WUKALI en juillet 2012 et consacré à l’exposition Artemisia Gentileschi au musée Maillol à Paris

Rome 1593-1611. L’enfance et la formation dans l’atelier d’Orazio

1593, 8 juilletArtemisia naît à Rome. C’est la fille aînée du peintre, Orazio Lomi, né à Pise le même jour( 8 juillet) de 1563, et de Prudenzia Montoni, de famille romaine. A Rome, son père se fait appelerGentileschi, reprenant ainsi son nom de famille complet : Gentileschi de Lomis. Cet illustre nom de famille florentine des Lomi, partagé avec son cousin Aurelio, peintre de l’archevêque de Pise, sera repris par Artemisia durant son séjour en Toscane.

1597-1610 • De 1597 à 1600, la famille Gentileschi habite près de la Place d’Espagne puis, de 1601 à 1610, via Paolina, l’actuelle via del Babuino, du côté de la via Margutta. Orzio et Prudence auront cinq autres fils : Francesco(1597), Giulio (1599), Marco (1604), et deux autres enfants, tous deux nommés Giovanni Batista, qui moururent prématurément.

1605, 12 Juin • Artemisia reçoit la Confirmation à Saint-Jean-du-Latran.

1605, 26 décembre • Sa mère , Prudence, meurt en couches à seulement trente ans. Le 26 décembre, elle est enterrée à Santa Maria del Popolo.

1608-1610 • La critique fait remonter à cette période les premières peintures autonomes d’Artemisia, sous la conduite de son père, comme en témoigne une lettre d’Orazio à la Grande-duchesse de Toscane, datée du 3 juillet 1612. Il est cependant vraisemblable que la jeune femme ait reçu les rudiments de l’art dès son plus jeune âge. Dans l’angle, en bas à gauche, de la Suzanne et les Vieillards actuellement conservée à Pommersfelden, on peut lire «ARTEMITIA./GENTILESCHI. F/»

ROME 1611-1613. LA VIOLENCE ET LE PROCÈS

1611-1612 • Durant cet arc de temps, la famille d’Orazio déménage à plusieurs reprises. À partir du 16 février elle est documentée via Magutta, puis la famille se transfère via della Croce où elle demeure d’avril à juillet.

Orazio Gentileschi par Lucas Emil Vosterman d’après Van Dyck pour « L’iconographie », 1630

1611, 6 mai • Artemisia, qui n’a pas encore dix-huit ans, est violée par Agostino Tassi, collègue et collaborateur d’Orazio sur les chantiers de la salle du Consistoire et de l’appartement du cardinal Lanfranco Margotti (1558-1611) au Quirinal, achevés après la mort du prélat au début de l’année suivante. Tassi dirige Gentileschi dans la décoration du Casino delle Muse du cardinal Scipione Borghese, terminée au courant de l’automne 1612. Après le viol, Tassi promet d’épouser la jeune fille et la conviant de continuer leur relation pour encore neuf mois.

1612, mars-avril • Pour des raisons d’ordre moral, mais certainement aussi par intérêt, Orazio Gentileschi décide de dénoncer Tassi et de rendre publique la violence subie par sa fille. Il envoie une supplique au pape Paul V où il rapporte comment Artémisia a été «dépucelée et connue charnellement de nombreuses fois par Agostino Tasso, peintre et ami intime et compagnon de l’orateur». L’action du père implique publiquement la jeune fille, victime de la violence subite, mais également du scandale devenu public (Bertolotti1876, p.200-2004)

Le 2 mars s’ouvre officiellement le procès pour viol contre Agostino Tassi : il dure sept mois, jusqu’au 29 octobre. Outre Tassi et Gentileschi, de nombreux représentants de la communauté artistique romaine sont appelés à témoigner, dont Carlo Saraceni et Orazio Borgianni.

Selon le témoignage fourni par tassi durant le procès, Artemisia vit dans la maison de son père avec ses frères, Borgi Santo Spirito, près de l’hôpital du même nom.

1612,27 Novembre • Le toscan Orazion Gentileschi, sujet des Médicis, écrit à la Grande-duchesse Christine de Lorraine, à Florence. Il la supplie d’intervenir afin d’éviter le risuqe que Agostino Tassi ne retrouve sa liberté, mais il est certain que «dans ce procès la justice sera rendue avec droiture et celui qui a fauté sera puni, ainsi je vous assure que vous ferez une action méritoire, appréciée par Dieu, car quand vous verrez à l’oeuvre ma pauvre fille unique dans cette profession, je suis sûr que vous ressentirez une profonde douleur face à un crime aussi grand». Orazio propose également d’envoyer une peinture de sa fille afin d’en démontrer l’habileté. Il affirme qu’à cette date, Artemisia peignait depuis déjà trois ans.

Danae (1621). Orazio Gentileschi (1563-1639). Huile sur toile, 161,3cm/226,7cm. J;Paul Getty Museum

1612, 27 novembre • La sentence du jugement est émise : Agostino Tassi est condamné à cinq années d’exil de Rome « sub pena triremium » dans les galères pontificales. Par la suite, cette peine sera jugée injuste et Agostino ne purgera jamais la punition infligée.

1612, 29 novembre • Artemisia épouse le Florentin Pierantonio Stiattesi, frère de Giovan Battista et ami d’Orazio (Lapierre 1998, p.444ç. Pierantonio, né en 1584 à Florence, est le fils d’un cordonnier.

FLORENCE 1613-1620. À LA COUR DU GRAND-DUC DE TOSCANE

1613, 21septembre • Artemisia et Pierantonio déménagent à Florence dès les premiers mois de 1613, mais ils ne sont documentés dans la ville qu’à partir de cette date, lors du baptême de leur fils aîné, Giovan Battista, en l’église de Santa Maria Novella de Florence, en présence du parrain, Lorenzo di Vincenzo Cavalcanti.

1614, novembre 1615 • janvier (AF 1614). Artemisia achète à crédit une série d’instruments pour meubler son atelier florentin. Le charpentier de l’Accademia del Disegno de Florence dénonce le non paiement de ces objets. L’affaire de cette dette se prolonge jusqu’en 1618.

1615, 16 mars • Le secrétaire d’état du Grand-duc Côme de Médicis, Andrea Coli, écrit à Piero Guicciardini, ambassadeur florentin à Rome, pour lui demander des informations sur Orazio Gentileschi. Il note que sa fille Artemisia jouissait déjà d’une certaine renommée à Florence. La réponse de l’ambassadeur est très critique sur les capacités graphiques d’Orazio.

1615, 10 juillet • «Artemisia d’ Oratio Lomi» participe en qualité de marraine , au baptême de la fille d’Annibale di Niccolo Carotti et Ottavia di Marcantonio Coralli, à qui elle donnera son prénom, en l’église de San Pier Maggiore. Le parrain est le peintre Cristofano Allori.

1615, 9 novembre • Le second fils d’Artemisia est baptisé en l’église de Sant’ Ambrogio. Il prend le prénom de son parrain, le peintre Cristofano Allori. La requête d’Artemisia est exaucée le 13 novembre : Michelangelo le Jeune lui verse 3 florins alors qu’elle est encore alitée des suites de l’accouchement.

1616 • Du 3 février au 20 août, Artemisia reçoit successivement quatre paiements pour un total de 16 florins. Deux d’entre eux se rapportent encore à l’Allégorie de l’Inclination pour Michelangelo Buonarotti le Jeune. Le déménagement de la famille dans la maison de la piazza Frescobaldi, au pont de la Carraia, louée par Matteo Frescobaldi, banquier, propriétaire terrien et marchand, remonte certainement aux premiers mois de 1616.

1616, 19 juillet • Artemisia est inscrite à l‘Accademia del Designo de Florence comme en témoignent deux documents qui font référence à Orazio. C’est probablement durant ces années, grâce à Buonarotti et Matteo Frescobaldi, que la peintre se lie d’amitié avec Galileo Galilei, membre de l’Accademia del Designo depuis 1613 et son futur correspondant.

1617, 2 août • Prudenzia, troisième fille d’Artemisia et Pierantonio, est baptisé en la paroisse San Salvatore de Florence. Le parrain est le cavalier Silvio Piccolomini d’Aragon. D’après les documents il semble évident que la jeune fille répondait également au nom de Palmira.

Artemisia Gentileschi femme peintre
Marie-Madeleine en extase (1611 ou 1613-1620). Artemisia GentileschI
Huile sur toile, 81cm/105cm. Collection privée

1617-1619 • La rencontre à Florence, entre Artemisia et le noble Francesco Maria Maringhi (Florence1593-Naples, après 1653), agent et associé en affaires du cavalier Matteo Frescobaldi, propriétaire de la maison de la peintre, remonte à cette période. Maringhi était ami de Michelangelo Buonarotti le Jeune et faisait partie du cercle le plus fermé des brillants intellectuels et artistes réunis par le Grand-duc Côme II de Médicis, comme l’atteste sa correspondance avec Buonarotti. Des lettres non datées figurent dans la correspondance inédite entre la peintre et le gentilhomme florentin, mais elles sont toutes antérieures au mois de février 1620, date de la fugue d’Artemisia et de son mari à Prato.

1618, 3 mars • (AF 1617). « Artemisia Pitturessa » est payée par le Grand-duc de Toscane pour certaines oeuvres déjà réalisées ou à réaliser.

1618, 13 octobre • Naissance de Lisabella, dernière fille d’Artemisia et Pierantonio. Le baptême a lieu le jour suivant en l’église Santa Lucia sul Prato. La marraine, dont le bébé porte le prénom, est l’épouse de l’homme de lettres Jacopo Cicognini; le parrain est Jacopo di Bernardo Soldani, ami de Michelangelo le Jeune.

1619, 5 juin • Artemisia présente à l’Accademia del Disegno une supplique adressée au Grand-dûc Côme II de Médicis et contresignée par Curzio : la peintre prie le Grand-duc de bloquer l’injonction que lui a intimée l’Accademia de payer les dettes contractées par son mari Pierantonio auprès dudit Michele, boutiquier. Artemisia soutient qu’elle est étrangère à l’affaire  » car une femme ne peut contracter de dettes alors que le mari est avec la dite femme« , elle ajoute qu’en outre, Pierantonio a déjà dépensé l’argent de sa dot.

1619, 9 juin • Mort de la petite Lisabella.

1620 • La date de 1620 est reportée sur Jaël et Sisara, actuellement conservé à Budapest, Szépmüvézeti Mùzeum.

1620, 13 janvier(AF1619) • Côme II de Médicis ordonne que l’on donne une once et demi d’azur outremer à Artemisia pour terminer une peinture qui lui avait été commandée. Trois jours après, le 16 janvier, un autre document précise ‘il s’agit d’un Hercule. Artemisia réalise cette grande toile à son retour à Rome, à la fin du printemps 1620, puis Stiattesi la livre à l’automne de la même année à l’agent grand-ducal Francesco Maria Maringhi, amant de la peintre.

1620, 10 février(AF1619) • Artemisia écrit à Côme II, annonçant son intention de passer quelques mois à Rome « entre amis » à cause  » de mes nombreuses indispositions passées auxquelles se sont ajoutées d’assez importantes difficultés au sein de ma maison et de ma famille« .

1620, 12 février (AF1619) • Artemisia et Pierantonio fuient soudainement Florence,peut-être à cause des lourdes dettes contractées par le couple et d’une accusation injustifiée de vol. Leurs enfants demeurent à Florence sous la tutelle de Francesco Maria Maringhi.

1620, 13 février (AF 1619) • De Prato, Artemisia demande à Marnghi de lui envoyer de toute urgence les enfants et les tableaux laissés à Florence. Elle fait allusion aux malheureuses circonstances de sa fuite et à sa volonté de ne pas retourner à Florence.

ROME 1620-1626

1620, 2 mars • Artemisia et Pierantonio arrivent à Rome et s’installent dans la Chiesa Nova (Lettere di Atemisia 2011,11). Après quelques semaines , le couple emménage dans un logement voisin, appartenant au noble florentin Luigi Vettori, futur ambassadeur du Grand-duc à Vienne, et ami de Matteo Frescobaldi. Dans sa correspondance avec Frescobaldi, Vettori se lamente de la conduite d’Artemisia, Après huit and d’absence, Agostino Tassi refait surface dans leurs vies : Pierantonio craint qu’il ne soit libre et non aux galères.

1620, 11 avril • Dans une déchirante lettre d’amour, Artemisia annonce à Francesco Maria la mort de son fils Cristofano (cf Lettere di Artemisia 2011,20). Pierantonio insiste pour l’expédition des « choses » nécessaires pour meubler la nouvelle habitation avec décorum: il demande l’azur, indispensable à Artemisia pour terminer le tableau

1620, 9 juillet • Artemisia promet que le tableau pour le Grand-duc sera terminé dans un mois et annonce une commande du duc de Bavière. Elle attend l’arrivée de son amant à Rome et l’invite dans sa nouvelle maison au Palazzo al Vantaggio, près de la Piazza del Populo, « digne d’un gentilhomme« .

1621, 10 février (AF 1620) • Francesco Maria Maringhi acquiert le mobilier et les instruments professionnels dans la maison florentine d’Artemisia pour un total de 165 ducats. L’inventaire des « choses » rédigé au moment de la vente : il y figure différentes peintures, certaines non achevées.

Artemisia Gentileschi femme peintre
Portrait du gonfalonier. Artemisia Gentileschi
Huile sur toile. Palazzo d’Accursio (Palazzo Comunale), Bologne, 

1621, Carême • D’après le Status animarum de la paroisse de Santa Maria del Popolo, Artemisia habite avec Pierantonio son mari, sa fille de trois ans Palmira et ses serviteurs, le Florentin Domenicho Boschi et Fulvia de Viterbe. A cette date, les autres enfants du couple, qui ne sont pas enregistrés, étaient déjà décédés.

1621, novembre • Artemisia loue un petit appartement via della Croce, près de la maison qui fut le théâtre de l’affaire orageuse avec Tassi, dix ans auparavant.

1622 • Le revers du portrait dit du Gonfalonier conservé à Bologne, est signé « ARTEMISIA; GENTILESCA. FA-/CIEBAT ROMAE 1622 ».

1622, Carême • Artemisia habite dans la via del Corso. Sa famille est complétée par Giulio et Francesco Gentileschi, jeunes frères de la peintre et par ses serviteurs Dianora et Giambattista.

1622, juin • Pierantonio Stiattesi est accusé d’avoir blessé au visage un Espagnol qu’il avait trouvé sous ses fenêtres, probablement alors qu’il chantait une sérénade pour Artemisia.

1623, Carême • A partir de cette date, Pierantonio n’habite plus avec Artemisia et l’on perd dès lors sa trace. Les frères Giulio et Francesco Gentileschi, la fille Palmira et les serviteurs Dianora et Giambattista habitent avec «madame Artemisia Lomi peintre romaine».

Artemisia Gentileschi femme peintre
Artemisia peinte par Simon Vouet (1625)
©Property of Fondazione Pisa / photo Gronchi Fotoarte

1623, printemps • A son retour à Rome après un voyage dans le Nord de l’Italie, le peintre Simon Vouet (1590-1649) fait le portrait d’Artemisia avec un médaillon d’or représentant un mausolée ainsi qu’un pinceau et une palette à la main.

1624, Carême • Palmira, âgée de six ans, et deux serviteurs, le Siennois Pietro Paolo et la Florentine Leonora habitent dans la maison de la via del Corso avec la «Signora Artemisia Florentine Peintre» .

1625, 20 juin • Artemisia loue un autre appartement à via Rassella, dans le quartier de Suburre.

1625, décembre • Un dessin de la main droite d’Artemisia, réalisé par l’artiste français Pierre Dumonstier, porte l’inscription «Faict à Rome par Pierre Du Monstier Parisien, Ce dernier de Decemb. 1625. / aprèz la digne main de l’excellente et sçavante Artemise gentil done Romaine!», et sur le recto, la dédicace « Les mains de l’Aurore sont louées pour leur rare beauté. Mais celle cy plus judicieux. S.».

1626, carême • Le recensement du Carême de 1626 est le dernier registre qui cite la présence d’Artemisia à Rome dans la maison de la via del Corso, avec sa fille et sa servante Domenica.

VENISE 1627 – 1630 ENVIRON

1627-1628 • De nombreux témoignages certifient la présence d’Artemisia Gentileschi à Venise. En 1627, Andrea Muschio, typographe de l’Accademia Veneta en 1593, édite quelques vers en honneur de la peintre. La relation avec l’homme de lettres Gianfrancesco Loredan (1606-1661) est confirmée par deux lettres que le noble vénitien envoie à la peintre entre 1627 et 1628.

On date de 1627 une gravure que Jérôme David, artiste parisien actif à Rome depuis 1623, réalisa d’après un portrait de la peintre : elle représente Antoine de la Ville ingénieur militaire au service du Duc de Savoie.

1627-1630 • Durant son séjour à Rome en tant qu’ambassadeur de Philippe IV d’Espagne (1626-1628), Iñigo Vélez de Guevara y Tassis, Conde d’Oñate, acquiert au moins un Hercule et Omphale peint par Artemisia. L’artiste, qui séjourne encore à Venise, est payée 1.467 giulii et 4 baiocchi. La grande toile, actuellement perdue, figure dans le Salón Nuevo dell’Alcázar de Madrid en 1636.

Artemisia Gentileschi femme peintre
Hercule et Omphale. Artemisia Gentileschi
Tableau retrouvé à Beyrouth et endommagé lors de l’explosion du silo du port en 2020

1629, 19 janvier • Artemisia est encore à Venise, identifiée comme la femme de Pierantonio Stiattesi.

1629-1630 • Lors de son mandat de vice-roi de Naples (juillet 1629-mai 1631), le duc d’Alcalá, déjà admirateur et collectionneur des peintures d’Artemisia à Rome (supra 1625-1626), acquiert trois nouveaux tableaux, actuellement perdus ou non identifiés: un Saint Jean-Baptiste et deux «Portraits d’Artemisia», représentant probablement le duc et sa femme, ou deux autoportraits de l’artiste. Les œuvres figurent dans l’inventaire de la «Casa de Pilatos» de Madrid.

NAPLES 1630-1638 ENVIRON. À LA COUR DU VICE-ROI

1630 • Cette date figure sur la toile de l’Annonciation actuellement conservée au musée de Capodimonte à Naples. Il s’agit certainement de la première commande publique d’Artemisia à Naples, bien que l’on en ignore la destination originale.

1630, 24 août • Le premier document qui témoigne du séjour napolitain d’Artemisia est la lettre écrite à Cassiano dal Pozzo le 24 août 1630. La peintre, depuis peu arrivée à Naples au service du vice-roi don Fernando Enríquez Afán de Ribera duc d’Alcalà, fait référence à «quelques tableaux faits pour l’Impératrice», qui retardent l’exécution des œuvres commandées par le célèbre érudit. Sa familiarité envers dal Pozzo démontre une longue et amicale bonhomie (infra 1630, 31 août, 21 décembre; 1635, 21 janvier; 1637, 24 octobre, 24 novembre). Artemisia lui demande d’envoyer «six paires de gants, des plus beaux […] à offrir à certaines dames».

Artemisia Gentileschi femme peintre
Autoportrait d’Artemisia Gentileschi (1638-1639)
Huile sur toile, 98,6cm/75,2cm. Collection royale. Château de Windsor

1630, 31 août • Dans sa deuxième lettre à Dal Pozzo, Artemisia promet l’envoi de son autoportrait, qu’il lui avait demandé avant son départ de Rome. Elle le réalisera à peine « avoir achevé certains tableaux pour l’Impératrice». Dans la même lettre elle annonce un probable voyage à Rome «alla rinfrescata», c’est-à-dire dès que le climat serait moins torride.

1630, 2 octobre • Un reçu du Banco dei Poveri de Naples atteste d’un paiement à Artemisia pour «un tableau de Sainte Elisabeth peint par la susdite pour le service d’une chapelle d’Oratio di Paula qui fit un legs dans son dernier testament afin qu’elle soit construite sur les terres de Pisticcio».

Artemisia Gentileschi femme peintre
Saint Sébastien soutenu par Sainte Irène. Artemisa Gentileschi
Huille sur toile, 101cm/127cm. Collection privée

1631, 21 août • A Naples, Giovanni d’Afflitto verse 12 ducats à Artemisia et solde ainsi les 20 ducats convenus pour un Saint Sébastien. En 1700, la peinture se retrouve dans la collection de son héritier, le prince Ferrant d’Afflitto.

1631, automne • Artemisia reçoit la visite de l’artiste et écrivain allemand Joachim von Sandrart. Il se rappelle avoir vu dans son atelier un tableau représentant David avec la tête de Goliath, qui n’a pas encore été identifié.

1632 • La date de 1632 figure sur la Clio, Muse de l’histoire. La dédicace, qui se trouve sur le livre ouvert («Artemisia / [F]aciebat / All […] illustrmo sg[nore] tr[…]osier!»), peut être interprétée de différentes manières et ne permet pas d’identifier avec certitude le commanditaire Charles Ier de Lorraine, IV duc de Guise; ou un membre de son entourage. La peintre fait probablement référence à ce tableau dans une lettre du 9 octobre 1635 adressée à Galileo Galilei.

1634 • Le Public Record Office de Londres conserve une facture pour les cadres de certains tableaux attribués à Orazio Gentileschi et d’un Tarquin et Lucrèce qui figure sous le nom d’Artemisia dans l’inventaires des collections royales de 1637-1639.

1634, 15 et 18 mars • Artemisia reçoit la visite du voyageur anglais Bullen Reymes, homme du duc de Buckingham. Il porte des lettres de recommandation signées par Orazio Gentileschi. Prudenzia/Palmira est présentée comme peintre, elle serait particulièrement douée pour jouer de l’épinette.

1635, 21 janvier • Artemisia écrit à Cassiano dal Pozzo pour l’avertir de l’arrivée prochaine à Rome de son frère Francesco: il apportera une peinture à présenter au cardinal Antonio Barberini.

1635, 25 janvier • Artemisia écrit à Francesco Ier d’Este duc de Modène, pour lui annoncer la venue de son frère. Après son voyage à Rome, il se rendra à Modène pour présenter quelques peintures à offrir au duc. De plus, Charles I d’Angleterre charge Francesco Gentileschi d’amener Artemisia Outre-mer, bien que la peintre préfère servir la cour de Modène.

1635, 7 mars • Le duc de Modène répond à la peintre en la remerciant de ses dons.

1635, 22 mai • Artemisia écrit au duc de Modène pour lui annoncer son intention de prolonger jusqu’à Modène un voyage initialement prévu à Florence.

1635, 20 juillet • L’autopromotion entreprise par Artemisia pendant ces années s’articule sur différents fronts. Florence n’en est pas l’un des moindres : à cette date, elle écrit au Grand-duc Ferdinand II de Médicis, âgé de 18 ans, pour lui annoncer l’arrivée en ville de son frère Francesco portant deux toiles qu’elle a peintes avec le consentement du nouveau vice-roi de Naples, Manuel de Acevedo y Zúñiga, comte de Monterrey (1631-1637). Dans la même lettre, elle informe le Grand-duc des directives reçues par son père Orazio, lui imposant de le rejoindre en Angleterre auprès du roi Charles Ier. Artemisia laisse entendre à Ferdinando II que, sans des nouvelles commandes, elle sera contrainte de partir pour Londres, escortée par son frère Francesco et munie d’un laissez-passer de la duchesse de Savoie pour traverser la France.

1635, 9 octobre • Artemisia écrit à Galilée, déjà en exil à Arcetri, pour lui demander d’intervenir auprès du Grand-duc Ferdinand II de Médicis à propos des deux peintures envoyées pour lesquelles elle n’avait eu aucun retour, don ou paiement. Artemisia fait amicalement référence à l’aide que le scientifique lui avait déjà apportée pour la Judith peinte pour Côme II. Elle oppose le silence du Grand-duc à la libéralité des autres souverains à son égard et rappelle les honneurs et les récompenses reçus par les puissants de toute l’Europe et particulièrement par le «Duc de Guise [qui] en récompense d’un de mes tableaux que lui présenta mon frère, lui donna pour moi 200 piastres, que j’ai reçues pour ne pas n’avoir pas pris un autre chemin». Cette œuvre peut être identifiée à la Clio actuellement conservée à Pise .

Artemisia Gentileschi femme peintre
Clio, la Musa della Storia (La fama). Artemisa Gentileschi
Huile sur toile, 127,6cm/97,2cm

Dans la conclusion de la lettre, Artemisia prie Galilée d’envoyer sa réponse par le biais de Francesco Maria Maringhi, gentilhomme florentin son amant qui venait sans doute de Naples.

1635, 20 novembre (signée par erreur comme «! li 20 di 7bre 1635! ») • Artemisia écrit à Andrea Cioli, secrétaire du Grand-duc de Toscane, pour la troisième fois et lui demande à nouveau l’avis du Grand-duc (et probablement une récompense) sur ses deux grands tableaux qu’elle lui a parvenir par son frère Francesco.

1635, 11 décembre • Artemisia exprime à Cioli sa gratitude pour les services reçus et déclare vouloir envoyer en don une Sainte Catherine de sa main et un tableau réalisé par sa fille Palmira. Elle espère également se rendre à Florence « en mars, si le comte [di Monterrey] s’en va et si je suis digne de servir mon prince naturel ».

1636-1637 • En 1640, un rapport de l’évêque Martino de León y Cárdenas fait état de trois tableaux d’Artemisia conservés dans la cathédrale de Pozzuoli (1636-1637 environ) : Saint Procule et Nicée, Saint Janvier dans l’Amphithéâtre et L’Adoration des mages.

1636, 11 février, et 1er avril • Artemisia insiste encore auprès de Cioli pour obtenir une invitation à Florence. Elle réitère sa tentative le 1er avril: elle planifie un voyage à Pise pour «vendre quelques biens» à l’occasion de «l’emménagement» de sa fille et entend aussi se rendre à Florence.

1636, 5 mai • Des paiements enregistrés auprès du Banco dello Spirito Santo de Naples témoignent de différentes commandes à Artemisia. Elle reçoit 250 ducats des banquiers Lorenzo Cambi et Simone Verzone pour le compte du prince Karl Eusebius von Liechtenstein comme solde d’un paiement de 600 ducats : Artemisia doit rendre une Bethsabée, une Lucrèce, et une Suzanne.

1636, 19 décembre • Artemisia reçoit un nouveau paiement de 20 ducats par Bernardino Belprato, comte d’Anvers, qui possède deux de ces tableaux, comme l’indique son inventaire post mortem de 1667.

1637, 24 octobre • Artemisia écrit à Cassiano dal Pozzo à Rome pour lui proposer certains tableaux de grandes dimensions («onze sur douze palmes chacun») qu’elle voudrait présenter aux cardinaux Francesco et Antonio Barberini, ainsi qu’un tableau déjà prêt pour Monseigneur Ascanio Filomarino et son fameux autoportrait, qui ne figurait encore pas dans les collections de Cassiano. Artemisia termine sa lettre en espérant un proche retour à Rome. Enfin, elle demande des nouvelles de Pierantonio avec qui elle n’a plus de rapports depuis longtemps: « Je vous saurais gré de me donner des nouvelles de la vie ou de la mort de mon mari ».

1637, 24 novembre • Dans la lettre suivante, la peintre fournit de plus amples informations sur l’« histoire » des quatre tableaux mentionnés précédemment#: une « Samaritaine avec le Messie , et ses douze Apôtres, avec des paysages lointains et proches», récemment identifiée par Luciano Arcangeli.
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1638 • La seconde édition des Odes, recueil poétique de Girolamo Fontanella, membre de l’Accademia degli Oziosi, paraît à Naples: il contient un poème dédié à Artemisia et composé entre 1633 et 1638.

LONDRES 1638-1640 ENVIRON. À LA COUR DE CHARLES Ier

D’octobre 1637, date de la dernière lettre napolitaine envoyée au Chevalier dal Pozzo, jusqu’au 16 décembre 1639, date de la première lettre envoyée de Londres, un vide documentaire persiste. Après avoir marié sa fille et tenté en vain de s’établir à Modène, Florence ou Rome, Artemisia rejoint son père à Londres dès l’automne 1626. Le long laps de temps qui sépare les deux témoignages permet de dater le voyage en France, pour arriver jusqu’en Angleterre, entre le printemps et l’été de 1638. Bien que la présence d’Artemisia ne soit pas documentée à Londres avant le 16 décembre 1639, une grande partie de la critique reconnaît sa main dans les toiles du plafond de la Queen’s House de Greenwich, réalisées avant la mort d’Orazio.

1639, 7 février • Orazio Gentileschi meurt à Londres «bien regretté par sa Majesté et tous les amateurs de sa vertu ». Le 2 juillet suivant, Francesco Gentileschi, écrit son testament. Artemisia n’apparaît pas parmi les héritiers (seuls sont cités ses frères Francesco, Giulio et Marco), exclue par le versement de sa dot des années auparavant.

1639, 16 décembre • Dans la première lettre envoyée de Londres à Francesco d’Este, Artemisia annonce l’arrivée de son frère à Modène pour lui présenter en don une de ses « petites fatigues ». La peintre, tout en se conformant au cadre très formel de la lettre, se déclare « peu satisfaite d’être parvenue au service de cette Couronne d’Angleterre », bien qu’elle semble recevoir des « honneurs, et grâces remarquables ». Elle tente ainsi une nouvelle fois d’obtenir la faveur et la protection de Francesco d’Este.

1640 • Cette date apparaît sur Enfant dormant à côté d’un crâne, gravure de Jean Ganière réalisée d’après une peinture perdue d’Artemisia, dont on connaît également d’autres versions gravées.

1640, 16 mars • Francesco d’Este répond à Artemisia: il la remercie des « peintures » et des sentiments exprimés.

NAPLES 1640 ENVIRON – APRÈS JANVIER 1654. LES DERNIÈRES ANNÉES

1642 • Le prêtre Luca Stiattesi, neveu de Pierantonio, écrit à Matteo Frescobaldi depuis Calcinaia. Il fait référence aux considérables dépenses qu’il a engagées pour aider Artemisia et son mari ainsi qu’aux relations entre Maringhi et le couple. La lettre permet de déduire qu’à cette date Pierantonio n’est plus vivant.

1648, 5 septembre • Fabrizio Ruffo, prieur de Bagnara paye 30 ducats à Artemisia pour un tableau «qu’elle est en train de lui réaliser » .

1648, 5 janvier • Le prieur de Bagnara verse à Artemisia 160 ducats pour une Galathée, pour le compte de son oncle don Antonio, sénateur de Messine et fondateur de la maison des Princes della Floresta et della Scaletta. Une seconde mention, relative à la période 1644-1655, précise les dimensions et l’iconographie de l’œuvre : « un tableau de 8 palmes sur 10 – de la fable de Galathée, avec 5 tritons faits de la main d’Artemisia envoyé de Naples par le Prieur de la Bagnara mon neveu ».

1649, 30 janvier • Artemisia écrit à don Antonio pour lui annoncer l’envoi du tableau et justifier son prix de 160 ducats car « où que j’ai vécu, aussi bien à Florence qu’à Venise, Rome ou Naples, on m’a toujours payée 100 scudi à figure ». A cette occasion, Artemisia offre également d’envoyer à Messine son autoportrait, afin que son commanditaire puisse le conserver dans la galerie « comme le font tous les autres Princes ».

Artemisia Gentileschi femme peintre
Diane au bain (ou Bethsabée) 1640-1645. Artemisia Gentileschi
Rome (collection privée)

1649, 13 mars • L’aristocrate sicilien avait envoyé à la peintre une lettre de change de 100 ducats pour une nouvelle grande toile, sans doute une Diane au bain comme le révèle leur correspondance postérieure. Ruffo donne des nouvelles des dégâts subis par la Galathée pendant son voyage en mer. Artemisia l’invite à lui écrire par la suite à l’adresse de Tommaso Guaragna, non sans avoir cherché à susciter de nouvelles commandes.

1649, 5 juin • Artemisia justifie le retard d’un nouveau tableau commandé par Antonio Ruffo « à cause de l’indisposition de la personne qui me sert de modèle ». Elle parle à nouveau de son autoportrait qu’elle reprendra et enverra dès qu’elle aura terminé la Diane. La peintre fait également référence à la commande de trois autres peintures par son neveu Fabrizio Ruffo, prieur de Bagnara.

1649, 12 juin • Artemisia demande à Ruffo une avance de 50 ducats pour pourvoir aux grandes dépenses liées aux coûts des modèles. Elle affirme avoir besoin de plus d’une jeune fille, à cause de la présence de huit figures dans la toile commissionnée. Le 22 juin, deux accomptes en faveur d’Artemisia, la première de 100 ducats, la seconde de 50 ducats, figurent dans le livre de comptes de Ruffo : il est spécifié que ces sommes aient été versées à Artemisia à Naples par les banquiers Giovanni Battista Tasca et Andrea Maffetti.

1649, 24 juillet • Artemisia écrit à Ruffo pour le remercier de sa lettre de change, mais également pour reporter encore une fois l’envoi de la Diane. Elle justifie son retard car « dans ce tableau, il faut faire trois fois plus que dans la Galathée ». Artemisia promet à nouveau d’envoyer son autoportrait et affirme qu’il « sera joint au tableau » .

1649, 5 août • Don Antonio Ruffo enregistre les dépenses engagées à Naples par son neveu Fabrizio pour la caisse de transport de la Galathée et pour le cadre sculpté par Sebastiano Gallone .

1649, 7 août • Artemisia remercie Ruffo pour le nouvel accompte et lui promet de terminer la Diane au bain avant la fin du mois. Elle ajoute que la toile se compose de « huit figures, deux chiens que j’estime plus encore que les figures, et je ferai voir à Votre Très Illustre Seigneurie ce que sait faire une femme ». Malgré cela, exactement un mois plus tard, la peintre est obligée de se justifier à nouveau dans une lettre : « Votre Très Illustre Seigneurie, le retard de la toile vous paraîtra étrange, mais pour vous servir au mieux comme je le dois, j’ai dû refaire deux figures lorsque j’ai fait le village qui prolonge le point de fuite de la perspective. Je suis certaine qu’elles plairont à Votre Très Illustre Seigneurie et lui donneront entière satisfaction. Je vous prie de m’excuser car, comme il règne ici des chaleurs excessives et de nombreuses maladies, j’essaye de me préserver et je travaille peu à peu, mais je vous assure que le retard sera un grand bien pour le tableau » .

1649, 23 octobre • Ruffo réagit à cet énième retard dans une lettre datée du 12 octobre (perdue). Il menace la peintre de réduire d’un tiers la somme convenue pour la grande Diane. Le 23 du même mois, Artemisia se dépêche de répondre : elle se déclare meurtrie et insiste sur le fait que le prix qu’ils avaient établi était déjà inférieur de 115 ducats à celui du tableau réalisé pour le marquis del Vasto qui avait pourtant deux personnages en moins (Ruffo 1916, p. 50-51; Lettere di Artemisia 2011, 59).

Artemisia Gentileschi femme peintre
Triomphe de Galatée (1650). Artemisia Gentileschi
Huile sur toile 152cm/205cm. National Art Gallery. Washington

1649, 13 novembre • Le sénateur semble vouloir rassurer la peintre et lui commande une nouvelle œuvre. Il lui procure également un travail pour le compte d’un anonyme Chevalier de Messine : un Jugement de Pâris et une Galathée. La peintre exprime son désappointement face à la requête explicite de Ruffo de varier la composition de la Galathée afin d’éviter une trop grande ressemblance avec celle qu’il possède déjà : «  il n’était pas nécessaire de m’exhorter à cela car, par la grâce de Dieu et de la Très Glorieuse Vierge, une femme qui regorge de ce mérite, c’est-à-dire de varier les sujets de ma peinture, peut parvenir à cette idée ; et jamais il n’y a eu dans mes tableaux d’analogie d’invention bien qu’ils soient de la même main ». En outre, elle est contraire à l’envoi d’une esquisse et rappelle qu’une fois un de ses dessins pour « des âmes du purgatoire » a été mis entre les mains d’un autre peintre. Enfin, en ce qui concerne le paiement, la peintre rappelle avec orgueil son origine romaine et explique : « J’avise Votre Très Illustre Seigneurie que lorsque je demande un prix, je ne fais pas l’usage de Naples où l’on demande trente pour donner ensuite quatre […] moi, je suis romaine et pour cela, je veux toujours procéder à la romaine ».

1650, 13 août • Artemisia remercie Ruffo pour les lettres de change qu’elle a reçues. Elle espère obtenir encore de nouvelles commandes et cite une « petite Madone de format réduit ».

1651, 1er janvier • Artemisia écrit à Ruffo la dernière lettre qui nous soit parvenue. Elle fait référence à la maladie et aux « nombreuses incommodités et labeurs » qui l’ont obligée à garder le lit durant les fêtes de Noël. La peintre demande 100 ducats au gentilhomme, comme avance pour une paire de tableaux «  de la même dimension que la Galathée » (Andromède et Joseph et la femme de Putiphar, perdus) qu’elle entend lui vendre à un prix avantageux (90 écus). Par ailleurs le «petit cuivre », vraisemblablement Petite Madone précédemment citée « est plus qu’à moitié réalisé ».

Artemisia Gentileschi femme peintre
Vénus et Adonis (dite aussi Vénus et Cupidon) Artemisia Gentileschi
Huile sur toile, 93,5cm/143,8cm. Virginia Museum of Fine Arts, Richmond, USA

1651, 26 avril • Fabio Gentile lui paye 48 ducats pour solder les 150 ducats convenus pour l’exécution de trois grandes toiles («  l’une du bain de Diane de 12 palmes, une autre de Vénus et Adonis, de dix palmes conforme à l’histoire et l’une de neuf palmes accompagnée d’une figure nue ») livrées avant le 20 juillet suivant. Les trois tableaux étaient destinés à la « Maestà Cesarea!», soit Ferdinand II d’Habsbourg ou son épouse Marie.

1652 • Cette date paraît sur la Suzanne et les vieillards de la collection de Averardo de Médicis à Florence, récemment retrouvé.

1653, 3 janvier • Durant les dernières années de sa vie, Artemisia semble collaborer étroitement avec le peintre napolitain Onofrio Palumbo, comme en témoignent deux reçus retrouvés dans les archives de Naples.

1653, 22 avril • Artemisia paye 10 ducats à Scipione et Giovanni Bernardino delle Castelle « en vertu du mandat de la Grande Cour de l’archevêché » .

1653, 13 mai • Artemisia reçoit 4 ducats et 50 grana de Vittoria Correnti pour le compte du noble Ettore Capecelatro, propriétaire d’une Madone, à laquelle le versement pourrait se référer.

1654, 31 janvier • Presqu’un an après le premier reçu, le rapport de collaboration entre Artemisia et Palumbo se précise. Il s’agit du dernier document utile pour avoir une limite post quem pour la date de la mort de la peintre, peut-être décédée cette même année.
Selon des sources du XVIIe – XIXe siècles, Artemisia fut enterrée en l’église San Giovanni dei Fiorentini de Naples. L’identification de sa pierre tombale demeure problématique: elle avait déjà disparu lors des travaux de restauration de 1785 et présentait simplement l’inscription « Heic Artemisia ».

Michele Nicolaci

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