Créé en partenariat avec le Ballet de l’Opéra de Bordeaux, Mythologies d’Angelin Preljocaj nous invite à nous immerger dans le récit fabuleux des héros de l’antiquité qui nourrissent les mythes des temps modernes et nos aspirations les plus profondes. Voici un joli terrain de « jeu » pour Angelin Preljocaj, qui a travaillé dans le passé sur Médée, Casanova, et bien d’autres figures mythiques et mythologiques. Ici, notre chorégraphe aixois s’offre la musique d’un compositeur inattendu, Thomas Bangalter.
Quand, en 2017, Éric Quilleré a pris la tête du Ballet de l’Opéra de Bordeaux, l’un des grands axes de travail était d’enrichir son ballet à travers une collaboration avec Angelin Preljocaj. Plusieurs projets ont ainsi vu le jour dont la reprise de quelques joyaux du chorégraphe aixois dans le répertoire de l’Opéra. C’est ainsi que Bordeaux accueillait la première mondiale du 1er au 10 juillet 2022 au Grand-Théâtre de Bordeaux (avec orchestre). Succès confirmé pour la première création issue de cette alliance. De quoi rassurer, si besoin était, Angelin Preljocaj, les ballets des deux villes, l’Orchestre national de Bordeaux Aquitaine, tous ces artistes parmi lesquels Thomas Bangalter, qui ont travaillé à ce projet ambitieux. Belle surprise déjà de découvrir, dans l’ex-musicien de Daft Punk, un brillant compositeur symphonique.
Sur les 4 jours de la programmation au GTP, le public s’est laissé séduire. De l’électro à la musique symphonique, il n’y a qu’un pas… de danse. Un sacré challenge a été relevé, un « parcours d’endurance » si l’on peut dire pour ces dix danseurs du Ballet Preljocaj et dix autres du Ballet de l’Opéra National de Bordeaux : du beau monde sur le plateau. La musique est superbe, souvent nerveuse, saccadée, truffée de ruptures. Musique également lyrique, dans ses séquences cinématographiques notamment. Et si elle est nourrie de diverses influences, d’aucuns dans l’assistance auraient aimé écouter davantage d’électro comme dans Zeus, pour apporter plus de puissance au Dieu des dieux, ou encore dans les pages « de catch » pour cette même raison. Déjà parce que la musique de Daft Punk offre un univers essentiellement visuel que l’on aurait bien aimé retrouver dans quelques tableaux. Mais qu’importe, ce fut une jolie carte jouée par le chorégraphe. Angelin Preljocaj expliquait que lui aussi « imaginait un mélange de classique et d’électronique, » mais il avait bien compris que « Thomas Bangalter voulait rompre avec l’électro, préférant composer pour l’orchestre avec son côté organique. »
Le chorégraphe nous disait encore, lors de la présentation presse de la saison, qu’il avait écrit un livret dans lequel il décrivait plusieurs séquences de différentes mythologies, et lorsque Thomas Bangalter lui a envoyé la musique, la partition l’a « emmené encore ailleurs ; c’était comme un palimpseste ! » Et on imagine fort bien notre chorégraphe aixois reprendre l’écriture initiale pour glisser vers d’autres chemins. Comment partir d’une chose, pour arriver ailleurs ? C’est comme un voyage où il se perdrait, et Angelin Preljocaj nous dit aimer cela. Dans une chorégraphie aussi dense et riche que celle-ci, il nous perd un peu en cours de route. Il faut dire que les tableaux se succèdent rapidement, et on confond parfois les mythologies. Forcément, on ne peut pas lire le déroulé du programme dans le noir, aussi, suivre les 25 thèmes est compliqué. Toutefois, on reconnait la mythologie des Amazones, ou encore celle du Minotaure, ou encore Icare et les Mayas, mais qu’importe du reste si on ne « maitrise » pas tout ? On révisera !
Dans l’instant, on suit les danseurs dans leurs figures très rythmiques, enlevées, brillantes, faites de jolies lignes aériennes, ou d’autres, davantage ancrées au sol dans des attitudes quasi animales. Cette fois-ci encore on s’étonne de ces bras mis en scène, de cette gestuelle précise, que ce soit dans les ports, d’une élégance rare, ou encore dans les trouvailles scénographiques, où bras et jambes rivalisent de souplesse et de précision. Que de costumes par ailleurs ! Ils se détachent dans ce décor très sobre, dans des jeux de voiles transparents ; féminité, masculinité, ambiguïté, corps et costumes ne font plus qu’un. On est parfois bousculés, mais ne le sommes-nous pas dans ces temps de tourmentes ? La réalité, surtout dans les derniers tableaux, nous rattrape.
Ingénieuse trouvaille, dans une méga vidéo, on découvre, l’un après l’autre, en plan serré, les visages des vingt danseurs et danseuses. On est proche d’eux. Proche d’Angelin Preljocaj qui nous surprend encore et toujours. Certes, il soulève les mêmes questions, sur la vie, sur la mort, le pouvoir, la soumission, la guerre, l’amour, la haine, la peur… Peur qui change de camp parfois, comme ce viol où la femme victime renverse les rôles, ou encore le rôle d’Icare, endossé par une danseuse…
Angelin Preljocaj ne choisit pas le confort dans ces thématiques. C’est un chercheur. Il est dans son laboratoire, à la recherche la meilleure alchimie possible, avec les ingrédients qui sont les siens, dans cette quête d’humanité qui l’anime depuis toujours. On reconnait son travail. Pourtant, il construit, déconstruit, brouille les pistes et les codes. On le disait du reste, il part le plus souvent « ailleurs ». Là où on ne l’attend pas, là où lui-même ne pensait pas aller.
MYTHOLOGIES
Création 2022
Pièce pour 20 danseurs
Chorégraphie Angelin Preljocaj
Création pour Ballet Preljocaj / Ballet de l’Opéra National de Bordeaux
Musique originale Thomas Bangalter
Interprétation Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Direction musicale Romain Dumas
Scénographie Adrien Chalgard
Crédit photo © DR / Jean-Claude Carbonne
Souhaiteriez-vous réagir à cet article, ou nous proposer des sujets, des textes pour WUKALI, nous les recevrons et les étudierons bien volontiers, nos coordonnées : redaction@wukali.com