Noir c’est noir, reste-t-il un espoir ? Oui … et non
La compagnie de danse contemporaine japonaise Sankai Juku, fondée en 1975 par le danseur et chorégraphe Ushio Amagatsu 天児牛大, était invitée au Pavillon Noir d’Aix-en-Provence pour présenter sa dernière création 2022 : Kōsa, entre deux miroirs.
Kōsa entre deux miroirs nous décrit un monde terrifié par l’incertitude. En 8 tableaux, on assiste à un chassé-croisé entre violence et douceur.
Des inconditionnels de la troupe sont venus parfois de très de loin pour découvrir le spectacle. Une pièce incroyable qui bouscule, ne laisse pas indifférent, et fait que l’on s’interroge à chaque tableau présenté. Nous n’avons pas toujours les réponses à nos questions, mais ce n’est pas très grave. Il s’agit d’une pièce puissante, profonde, qui reprend la trame des anciennes créations du Maître, pour se propulser plus loin encore. Elle pourrait résumer toute l’œuvre de Ushio Amagatsu qui, depuis plus de 40 ans, chamboule le panorama chorégraphique mondial. Pourrions-nous dire bouscule, au même titre que les grands Kazuo Ono ou Tatsumi Hijikata les pères fondateurs de la danse Buto ?
Lew Bogdan, dans le livre « le Festival Mondial du théâtre de Nancy, 1963 1983 » décrit déjà le phénomène. Il était directeur du Festival et avait suivi le jeune artiste japonais Amagatsu à la fin des années 70 avant qu’il ne démarre une carrière internationale (voir article paru dans WUKALI). « A l’époque, on parlait du spectacle « Graine de kumquat – le rêve d’un jeune garçon sur les origines de la vie et de la mort, comme d’un électrochoc. Le bouche à oreille fonctionnait à tel point, que l’on frisait l’émeute à l’entrée du théâtre. » Le public s’est calmé, fort heureusement, mais cette façon que l’artiste a de repenser le monde interpelle toujours autant.
On voyage au Japon, le dépaysement est total. Sankai Juku 山海塾 signifie « l’atelier de la montagne et de la mer » Certes, on voyage au pays du Soleil-Levant, mais on va plus loin encore. Le chorégraphe a trouvé matière à décrire son cosmos, tout un monde entre les vivants et les morts. Et même s’il regarde vers l’avenir, l’horizon reste obscur. La lumière est tout de même présente, tantôt fugace, fragmentée ou encore crue et violente. C’est du reste le seul élément du décor que Ushio Amagatsu s’autorise.
Avec quelques écrans géants qui descendent et se colorent. Un plus esthétique ? Toujours est-il que seule la danse est là pour évoquer l’essentiel. Elle permet de livrer, non pas un message, mais quelque chose qui va au-delà. Au-delà des images et de la philosophie qu’elles véhiculent. Comment matérialiser l’infini, l’incommensurable, l’éternité, la spiritualité ? On est dans un espace de contemplation, de méditation, et Ushio Amagatsu possède les clefs de ce Cosmos.
Et nous, nous « recevons Kōsa telle qu’elle nous arrive dans sa perfection esthétique presque effrayante, sa violence contenue, sa beauté sauvage. Ces danseurs (il n’y a pas de femme) nous envoutent et nous entraînent vers des contrées émotionnelles mystérieuses. Le crâne rasé, blancs de la tête au pied, ils soulèvent dans leur arabesques un nuage de poussière, qui pourrait être la poussière du cosmos. (en fait c’est juste de la poudre de riz, mais nous élucubrons volontiers.
Nous les avons vus après le spectacle. Impossible de reconnaitre ces Sankais sans leur maquillage !) Six hommes, six « créatures » habillées le plus souvent de longues jupes, parfois torse nu ou drapés de bas en haut dans des costumes fabuleux merveilleusement brodés. Leurs gestes, leurs expressions, leurs grimaces, leurs pas, leurs savants déhanchés, sont tirés au cordeau. Assurément Il vaut mieux être dans les premiers rangs pour tout voir. On a l’impression de partager la scène avec les danseurs.
Chaque détail est à notre portée. Comme ces boucles d’oreilles qui soudain scintillent dans la lumière, le bruissement des étoffes, le glissement des pas, les gestes lents comme suspendus dans le temps, les touches de noir ou de rouge sang qu’ils épinglent du bout du doigt sur leur visage et leur front, comme autant de balafres qui racontent la guerre, les sourires, rires ou cris, toujours muets, ce qui les rend parfois assourdissants.
On admire encore ces tableaux où les têtes des danseurs frisent la dislocation, se renversent et se contorsionnent pour regarder plus haut, plus loin. Oui, on peut être déroutés, parfois troublés par la musique (étudiée pour, bien évidemment !) et désorientés par les tableaux, mais Kosa, entre deux miroirs est une expérience unique à vivre. Une aventure incomparable.
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