Être, voir, comprendre, s’interroger, douter, savoir s’arrêter, se remettre en cause et prendre du recul, tenter de dénouer des écheveaux que l’actualité politique nous jette en pâture et les analyser avec des sagesses d’aujourd’hui, une exigence pour le moins indispensable pour tout « honnête homme ». Les bouleversements de notre actualité tragique jamais ne doivent nous faire oublier et ce qui nous fonde, et ce qui rassemble les hommes, ce que d’aucuns à juste titre appellent le sens tragique de l’histoire. Qui plus est la recherche scientifique et anthropologique1 ( sans tomber dans un éloge scientiste inadéquate) est précisément là pour nous démontrer ( et elle n’est pas, bien évidemment, la seule) le constant travail d’étude de nos sociétés et des civilisations du monde tel qu’il est.
Les relents, pire les remugles nationalistes, qui flottent entre les interstices de certains commentaires politiques agissent comme des poisons, des toxines qui s’attaquent à notre corps social et remettent en cause les bienfaits de la démocratie, et nous le constatons hélas aujourd’hui, de la paix. Les ferments de division du monde, les hégémonismes et les impérialismes qui comme le lait sur le feu clapotent et bouillonnent à l’est de notre continent en Russie et plus encore plus loin en Chine, sont annonciateurs de mortifères dangers.
« Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme perverse, écrivait Charles Péguy c’est d’avoir une âme habituée« .
Voila une dizaine d’années, une étude initiée par Microsoft ou Apple (je ne sais plus) au Canada, avait révélé que le temps de latence, de capacité de concentration et d’attention des collégiens était de neuf secondes, soit moins que la mémoire des poissons rouges ! L’informatique aujourd’hui qui est notre pain blanc, nous a accoutumé dans l’utilisation de nos ordinateurs au fait de mémoires (la RAM et la ROM, mémoire courte et mémoire longue)..
Serions-nous donc allergiques à l’installation pérenne de nos expériences cognitives qu’il nous faille les éjecter cycliquement de nos raisonnements, Sisyphe toujours recommencé. Les mêmes batailles intellectuelles et politiques, les mêmes droits à reprendre, à défendre nos libertés ?
L’impensable et l’ineptie, nous avions oublié que nous étions mortels, mascarade grotesque, le Covid a ravivé nos peurs primitives !
Nous avions tout autant oublié l’histoire de ce XXème siècle sanglant et de ses conflits. Questions générationnelles ?
Ainsi des crimes du communisme en Russie, du Goulag, des procès iniques et de l’élimination des opposants, et en Chine de tous ces massacres, de ces famines provoquées, de ces manipulations à grande échelle. Puis la peste absolue, l’horreur monstrueuse du nazisme, du nationalisme et de l’antisémitisme érigé en doctrine d’asservissement, de la guerre, de l’occupation, du mensonge absolu.
Nous avions oublié tout simplement l’Histoire, celle de cette Europe groggy après la Guerre, après les Guerres, et que l’idée alors utopiste d’une union européenne et de la réconciliation entre la France et l’Allemagne permettra de relever..
Oui, Péguy avait raison, » Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme perverse, c’est d’avoir une âme habituée« .
Une attitude en quelque sorte aveugle, et émolliente, et parcellaire, et une incapacité à se projeter.
C’est à cet égard le mauvais procès que nous fait Poutine. Ce casuisme, cette théologie aujourd’hui politique, reprise par les propagandes russes ou chinoises. En France, l’extrême-droite indifférenciée des Le Pen et autre Zemmour, tout comme l’ultra-gauche parlementaire qui ne rêve que du chaos de l’état, sont les portes voix de ce prosélytisme. Cet état de fait, cette farce de pacifisme, c’est celui de Munich et on le rencontre à quelque pays que l’on appartienne.
De Moscou à Pékin, un endoctrinement, une propagande qui se nourrissent dans leurs différences d’un nationalisme qui fait la part belle au mythe irénique de la pureté. Le concept même de guerre est banalisé mais le mot identifiant est lui-même interdit d’usage, un comble ! Poutine envoie son armée envahir l’Ukraine. Elle tue, bombarde et détruit un pays frère et voisin au prétexte de pseudo néo-nazis à combattre. Cependant à la grande surprise de tous les observateurs, face à l’effondrement inattendu de l’armée russe, ce cher Vladimir demande à ses sbires tchétchènes ou aux mercenaires Wagner de donner le coup de main assassin. Impensable, il menace de ses foudres nucléaires et suggère une guerre chimique.
En Chine, Xi Jinping, prône ouvertement la guerre contre Taiwan (à souligner que les discours du leader chinois à destination de ses propres concitoyens et non des média occidentaux, sont d’ailleurs bien plus belliqueux !).
Faut-il rappeler que dans le Xinjiang, à l’ouest de la Chine et depuis des années, les Chinois ont opéré de massifs transferts de population pour noyer la population autochtone ouighour, de culture turcophone et de religion musulmane (c’est à dire de façon plus explicite, non chinoise), sous une masse Han aux ordres de Pékin. Un Orwell à la façon mandarin !
Faut-il indiquer que le sous-sol du Xinjiang est très riche en ressources d’énergie fossiles et qu’un gazoduc de 3 340 kilomètres de long est actuellement en construction, indispensable pour assurer le développement industriel et économique de l’est de la Chine, c’est à dire là même où se trouve l’activité du pays ?
Les discours de propagande sur les minorités en Chine, faits surtout de folklore, ne peuvent que plaire aux amateurs de jolies photographies d’hommes et de femmes costumés pour des jours de fêtes. Cache-sexe commode pour celui qui accepte dans son for intérieur de se compromettre.
Cette direction donnée à le stratégie chinoise, cette volonté largement répétée d’intégration par la force, conquérante et expéditionnaire de Taiwan à la Chine, cet impérialisme guerrier ( et les risques colossaux qu’ils ne manqueraient pas de provoquer pour la paix du monde), ne font pas moins ciller un Mélenchon, nourri au gruau de l’anti-américanisme le plus primaire et arrogant. Mélenchon, héritier politique des Néo-socialistes2 d’avant-guerre, on connait hélas ce qu’il en adviendra !
Désormais, le monde n’est plus le même. Dans quelle langue s’exprimer, quels mots utiliser sans donner l’impression d’être d’un autre temps?
Les hommes de bonne volonté, la formulation en a déjà été faite et c’est le titre d’un grand cycle romanesque3 de la littérature française, et pourtant !
Des coopérations scientifiques, des projets sont actuellement suspendus comme chacun d’entre nous au regard des événements.
L’ armée russe doit se retirer d’Ukraine et les dirigeants du Kremlin trouver des accommodements et des choix décisifs seuls capables d’envisager un retour à la Paix… Inutile d’en dire plus !
1 Lire article (cliquer). Une famille du Neandertal révélée grâce à son ADN
2 Les Néo-socialistes au tournant de la Seconde Guerre mondiale, le plus souvent nommés sous le diminutifs « Néos », étaient constitués d’hommes politiques marqués à gauche et venant du Parti communiste ou de la SFIO. On y trouve des élus comme Marcel Déat venu du Parti socialiste ou de Jacques Doriot venu du Parti communiste, député et maire de St Denis, qui finira dans la Collaboration et sera le fondateur de la LVF.
3 Les hommes de bonne volonté (1932-1946), cycle romanesque de Jules Romains
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