Le musée Granet à Aix-en-Provence propose « David Hockney, collection de la Tate », jusqu’au 28 mai 2023. Une remarquable exposition consacrée à l’artiste britannique, en partenariat avec la Tate Gallery de Londres.
Cette exposition itinérante était programmée pendant l’été 2021. Elle a été repoussée à cause du Covid. « Nous voulions qu’elle ait le retentissement qu’elle mérite. Nous ne pouvions pas, fin 2020-début 2021, prendre le risque de faire une exposition qui n’aurait pas son public » nous confie Bruno Ely, conservateur et directeur du Musée Granet. C’est ainsi qu’au lieu d’être les premiers de l’itinérance, après Bruxelles, Vienne, Lucerne, la boucle est bouclée avec Aix-en-Provence qui profitera par ailleurs d’une longue période d’exposition de 4 mois.
Tout art est contemporain s’il est vivant, et s’il n’est pas vivant, alors à quoi bon ?
David Hockney
La Tate, depuis les années 50 jusqu’à aujourd’hui, a constitué une collection par des acquisitions, des dons, parmi lesquels ceux de l’artiste lui-même. On apprend que dans les années 70, les relations entre la Tate et David Hockney n’étaient pas très bonnes. « L’artiste a contesté les choix du Musée, pensant qu’ils étaient trop portés sur les œuvres non figuratives. Il considérait que son travail, inscrit dans la figuration, était mal reçu et incompris. »
Depuis, les choses se sont améliorées. Cette collection nous permet de suivre chronologiquement toute la carrière de l’artiste, dès le début, à la fin des années 50, jusqu’à l’époque récente 2017/2018.
Toutes les œuvres révèlent un dessinateur virtuose. Le jeune Hockney avait intégré une des écoles anglaises les plus sélectives où il s’est distingué par ses talents de dessinateur et aussi de graveur.
Apprendre aux gens à dessiner,
C’est leur apprendre à regarder
David Hockney
Le jeune Hockney a éprouvé des difficultés à s’inscrire dans la création contemporaine. Il a cherché sa voie, en lutte avec l’abstraction qui s’impose à la fin de la deuxième guerre mondiale et les années qui suivent. Déjà, on pense à l’expressionnisme américain, qui met en évidence le travail de Jackson Pollock. Dans ses références, on trouve Francis Bacon, Jean Dubuffet, Matisse, influences évidentes tout au long du parcours qui chemine sur 9 sections :
Un mariage de styles, Los Angeles, Vers le naturalisme, La carrière d’un libertin, Point focal changeant, dans l’atelier, Paysage, Expériences spatiale, et les maîtres du sud.
L’accrochage est réussi et on suit la progression du travail de l’artiste dans une scénographie parfaite. Picasso est aussi très visible dans l’œuvre de Hockney, notamment dans la pluralité des points de vue que l’on découvre à mi-parcours de l’exposition. La multiplicité des points de vue passionne l’artiste et cette question du traitement de l’espace, qui a obsédé Cézanne, va accaparer Hockney dès la fin des années 80
Le Cubisme ce fut une attaque sur la perspective que l’on connaissait et utilisait depuis 400 ans. Ce fut le premier très très grand changement. Çà a désorienté les gens, ils disaient: « les choses ne ressemblent pas à cela »
David Hockney
Chez Hockney, il y a plusieurs lectures d’une même œuvre, ce qui rend son travail plus complexe qu’il n’y parait. On y trouve une accumulation de détails, de variations, de détournements, de subversions, et c’est ce qui fait la force de l’artiste.
Des formes phalliques et des messages cryptés s’affichent sur les toiles et les dessins, à une époque où l’homosexualité est encore pénalisée. Il a cette volonté d’exprimer des pulsions qui lui tiennent à cœur mais qui ne peuvent pas être dites ouvertement dans le contexte de l’Angleterre de l’époque. Il le fera plus tard, notamment dans ses séries de gravures des années 60. Hockney parle de lui, de son expérience, de son univers, de ses découvertes.
Dessiner prend du temps et chaque ligne en contient
David Hockney
Nous ne verrons pas les célèbres Swimming Pools de Californie et l’emblématique « A Bigger Splash » (1967) si rafraîchissant. Une thématique très forte qui a fait sa réputation.
« L’oeuvre la plus chère en art contemporain, c’est une piscine de Hockney. Elle vaut près 90 millions de dollars. » nous rappelle Bruno Ely.
Hockney se passionne pour la représentation de l’eau, de la lumière et de la transparence. La piscine va devenir son sujet de prédilection. « Lorsqu’il va survoler Los Angeles pour la première fois, il aura une révélation. Il va découvrir une ville où d’innombrables piscines forment des haricots bleus et cette vue du ciel va beaucoup l’impressionner. » comment Bruno Ely. Il développera ce thème de la piscine, de l’eau jaillissante, de l’eau qui éclabousse, de l’eau qui ruisselle sur un corps masculin.
L’artiste réalise la synthèse complexe entre réalité, appropriation et fiction. Comme le remarque Hockney : « Les Américains prennent tout le temps des douches… Pour un artiste, l’intérêt est évident : une personne sous la douche se donne à voir en mouvement, généralement de façon gracieuse, car elle caresse son corps. L’homme ou la femme au bain est également un sujet récurrent de l’histoire de l’art de ces trois derniers siècles. »
Le dessin vous fait voir les choses de plus en plus claires, jusqu’à ce que vos yeux vous fassent mal
David Hockney
Man in Shower in Beverley Hills ne semble n’être qu’une banale scène de douche mais en fait laisse percevoir tout un arrangement de l’espace qui perturbe quelque peu le spectateur. Dans cette œuvre, on sent l’influence de Bacon. Déjà dans la traduction du corps, mais aussi dans cet espace un peu carcéral. » note Bruno Ely. La perspective est creusée par cette plante au premier plan, mais aussi par cette grande diagonale violette que forme le tapis en bas de la composition. Il ajoute un autre creusement de l’espace, en haut à droite, comme une mise en réserve blanche, avec un bout de salle à manger avec des sièges, une table.
Il peint ses amis, ses amants. On s’intéresse à trois tableaux de très grands formats, aux teintes pastels et aux effets adoucis qui caractérisent cette période-là. Le plus énigmatique sans doute est « Mr and Mrs Clark and Percy » 1970-1971. Deux personnages à contre-jour : à gauche, debout, Célia, une amie, créatrice de tissus. « Elle est enceinte » mais cela se voit peu. « C’est surtout son attitude qui nous le révèle, cette posture, cette cambrure», commente Bruno Ely.
La jeune femme sera l’un des modèles préférés du peintre. A droite, assis dans un fauteuil, son mari, dandy, bisexuel et amant d’Hockney. « On l’a souvent comparé à un Yves St Laurent anglais. Il a défrayé la chronique par sa mode, son style de vie, ses relations ».
Traditionnellement dans la peinture anglaise du XVIIIème, l’homme est debout, la femme assise. Cette inversion n’est pas un détail quand on connait l’histoire et les rapports entre les deux personnages. Ils seront mariés, auront des enfants, mais se déchireront. Un matou blanc sur les genoux nous tourne le dos et regarde vers la fenêtre qui sépare les deux personnages. Tout est à sa place et raconte leur histoire et leur rupture prochaine. « L’artiste annonce quelque chose » confirme Bruno Ely. Même le vase des lys blancs, en bas à gauche de la composition est choisi par le peintre. « Ce sont des fleurs typiques que l’on retrouve dans toute l’histoire de l’art occidental à chaque Annonciation. »
On apprendra que Mr Clark va mourir jeune, assassiné de plusieurs coups de couteau par un amant. Un personnage sulfureux. C’est un tableau important pour la collection et pour l’artiste lui-même.
Mais s’il manifeste une grande maîtrise technique, pour autant on s’étonne de voir les pieds nus de l’homme, cachés dans les poils du tapis. « Il a eu du mal à les peindre, aussi il a décidé de les enfouir, finalement de façon assez sensuelle, dans l’épais tapis » explique le directeur du Musée.
Tout ce qui est simple m’intéresse
David Hockney
Sa mère qui l’adore sera souvent son modèle. « My Parents », 1977, un des tableaux préférés du peintre et, selon lui, le plus abouti.
« Il avait peint son visage dans le miroir posé entre ses parents. Mais sans doute a-t-il trouvé cela trop évident ! Il a choisi de remplacer son autoportrait par deux œuvres en référence à la Renaissance italienne. Deux œuvres qui parlent pour lui. » précise Bruno Ely
On apprend que le père détestait poser. On le voit ici, absorbé par son journal, alors que la maman nous regarde. Un père hyper actif, singulier. À voir les talons, décollés du sol, on l’imagine en train de taper du pied à moins qu’il ne soit sur le point de se lever. Ce sont des détails qui en disent long, et qui décèlent la grande finesse psychologique du peintre. Hockney, dans tous ses portraits choisit des proches, amis, amants, familles. Il a besoin de cette proximité. « Si je fais un portait, il faut que je fasse le portait de quelqu’un que je connais ».
Ce n’est pas parce que je suis insolent que je ne suis pas sérieux
David Hockney
Des natures mortes, prétextes à explorer les diverses réalités de l’espace en trois dimensions. Des interprétations selon « un point focal changeant » de la perspective, de la mémoire et de l’espace comme on le voit pour cette table et cette chaise à la perspective inversée.
On s’intéresse aux natures mortes aux couleurs intenses, qui suggèrent un nouveau type d’espace. Il y a d’autres œuvres importantes, comme celle des vues de l’hôtel Atlanta qui représentent simultanément plusieurs points de vue. On circule littéralement dans l’œuvre. Il en est de même dans ce magnifique tryptique : quatre panneaux intitulé « Caribbean Tea Time [Un thé aux Caraïbes] » inspiré des carnets de voyage, des paravents d’Extrême-Orient et des gouaches découpées de Henri Matisse. (voir le vase aux amaryllis)
Autres œuvres importantes de la série des vues de l’hôtel Atlanta représentant simultanément plusieurs points de vue. On circule littéralement dans l’œuvre.
A la fin du parcours, on découvre des IPad géants en « action painting », si l’on peut dire. L’Ipad garde la mémoire l’évolution du travail de l’artiste, on voit l’œuvre en train de se faire. Ce sont ici quelques éléments de l’exposition « le printemps » que nous avions découvert à Arles en 2015, à la Fondation Vincent Van Gogh. Trois IPAD prouvent que l’octogénaire maîtrise les technologies nouvelles et que son inspiration est toujours au rendez-vous. «Hockney peint des paysages du nord de l’Angleterre avant la période Normande. Il est capable de toutes les virtuosités, même dans les nouveaux moyens de création. » Commente Bruno Ely. On se souvient du « mystère Picasso », une vidéo dans laquelle on pouvait suivre l’artiste, on découvrait le dessin en train de se réaliser, trait par trait.
L’admiration de Hockney pour les maîtres anciens aussi bien que modernes féconde son œuvre. On trouve bien sûr au premier plan de ses influence, Pablo Picasso dont il connait la grande rétrospective qui lui est consacrée en 1960 par la Tate Gallery : multiplicité des techniques d’expression artistique – peinture, collages, gravure et lithographie, décor et costumes . On découvre cette filiation au fil de l’expo, dans une réinterprétation cubiste de la perspective, de l’espace et de la mémoire
A Granet, tout finit par Cézanne. Ici un bel hommage, un thème éminemment cézannien, la partie de cartes.
On se souvient que dans notre musée, nous avons les joueurs de cartes des frères Le Nain, du XVII ème siècle. Eux-mêmes avaient déjà inspiré Cézanne.
Dans cette interprétation de Hockney qui rend hommage au Maître d’Aix, nous retrouvons la perspective inversée. Hockney utilise aussi un dessin photographique qui permet de travailler l’espace. Elle nécessite une juxtaposition de centaine de photographies assemblées. L’œuvre nous offre un espace pluri-focal, le tableau dans le tableau, ce qui multiplie notre plaisir visuel.
« Même le vêtement accroché à droite à son importance quand on connait les joueurs de cartes de Cézanne. » précise Bruno Ely. « Cézanne peignait des paysans provençaux simples, qui portaient cette blouse bleue appelée sarrau. »
A bigger card players [Les Joueurs de cartes] convoque à la fois l’iconographie cézannienne et les points de vue simultanés du cubisme picassien, dans l’évocation du temps et de la mise en abîme de sa propre peinture avec Pearblossom Highway (1986) et une version peinte de ses Joueurs de cartes.
David Hockney collection de la Tate
Musée Granet. Aix-en-Provence
du 28 janvier au 28 mai 2033
Commissariat de l’exposition :Helen Little, commissaire scientifique
Bruno Ely, conservateur en chef, directeur, musée Granet
Paméla Grimaud, conservatrice, responsable du pôle conservation et recherche, Musée Granet
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