Accueil Sciences Mémoire d’Éléphant, réalité ou légende

Mémoire d’Éléphant, réalité ou légende

par Revue de presse

Dans le flot d’études et d’articles que nous examinons pour notre revue de presse, cette publication consacrée à la mémoire des éléphants et parue dans Live Science sous la plume de Joshua A Krisch, nous a paru non seulement intéressante mais disons-le tout net, plutôt sympathique. Elle contraste en effet avec la morosité ambiante qui nous guette à chaque moment de nos prises d’information. Jumbo fait partie de notre imaginaire sensible. Ainsi, des armées d’Hannibal, des feux de Salammbô, aux pistes de sciure de nos cirques, sa figure de colosse éveille en nous une puissance bienveillante et une proximité étrange qui nous rassure.
Pierre-Alain Lévy


Si les éléphants sont réputés avoir une grande mémoire est-il donc vrai qu’ils n’oublient jamais ?

Live Science, Joshua A. Krisch. 31/01/2023. Bien qu’il ne soit pas tout à fait exact de dire qu’un éléphant n’oublie jamais, les pachydermes ont évolué pour se souvenir de détails qui sont essentiels à leur survie. Par exemple, les éléphants d’Afrique âgés (Loxodonta africana) peuvent se souvenir des sons et des odeurs uniques des prédateurs (et même distinguer différents groupes de personnes, en fonction de leur odeur et de la couleur de leurs vêtements, retracer leurs pas pour trouver des points d’eau dans la savane aride, et distinguer les membres de leur famille et leurs associés parmi des centaines d’autres éléphants.

« Pour être capable de trouver suffisamment de nourriture et d’eau dans un environnement qui requiert de l’énergie comme la savane, tout en gérant des relations sociales complexes et en évitant les risques de prédation, il faut un cerveau capable de traiter et de mémoriser des informations détaillées», c’est ce qu’a déclaré Graeme Shannon, maître de conférences en zoologie à l’université de Bangor, au Pays-de-Galles, UK. « C’est une compétence essentielle qui peut faire la différence entre la vie et la mort».

Les éléphants ne sont pas les seuls animaux à chercher de la nourriture dans la savane, mais les défis uniques auxquels ces pachydermes sont confrontés exigent une mémoire complexe et très élaborée. Par exemple, chaque éléphant doit manger environ 150 kg de végétation par jour. Pour satisfaire leur très grand appétit, les éléphants empruntent de longues routes de migration entre la saison humide et la saison sèche. Or leur survie à cette migration dépend fortement de leur connaissance de l’itinéraire.

éléphants d'Afrique comportement mémoire
Éléphant d’Afrique
©Cyndi Perry.

«La mémoire de l’éléphant facilite la mémorisation des longs itinéraires de migration qui intègrent des ressources en arbres et en eau, ce qui est important pour survivre à une très longue migration», a déclaré Caitlin O’Connell autre spécialiste des éléphants, membre de la faculté de la Harvard Medical School et qui s’intéresse à leur l’audition.

Olécio partenaire de Wukali

La mémoire devient particulièrement importante pendant une sécheresse. Une étude publiée en 2008 dans la revue Biology Letters a observé que les troupeaux d’éléphants dont les matriarches étaient plus âgées et avaient vécu des sécheresses antérieures réussissaient à conduire leurs troupeaux vers l’eau, probablement en se rappelant comment le troupeau avait survécu à la sécheresse précédente.

Un troupeau, cependant, était dirigé par une jeune matriarche qui ne se souvenait pas de la façon dont la génération précédente avait géré la dernière sécheresse. Son troupeau est resté sur place au lieu de parcourir de nouveaux terrains pour trouver de l’eau, et ses éléphanteaux ont connu un taux de mortalité de 63 % cette année-là. Le taux de mortalité normal pendant une sécheresse n’est que de 2 %. D’où l’importance des matriarches âgées en tant que dépositaires du savoir, et aussi la raison pour laquelle la mémoire à long terme peut conduire directement à la survie.

Les éléphants ont également besoin de leur mémoire pour naviguer dans ce que les biologistes appellent une dynamique de «fission-fusion». Dans cet arrangement, également courant chez les primates et certaines espèces de baleines, un noyau familial d’éléphants entre en contact avec des centaines d’autres éléphants au cours de l’année (fusion), pour se séparer ensuite du même noyau (fission).

«Opérer dans un monde social très complexe nécessite une puissance cérébrale considérable», a déclaré Graeme Shannon. «Il est crucial que les éléphants aient des connaissances détaillées sur les familles amies et les proches associés, ainsi que la capacité d’identifier les étrangers et d’être plus prudents lorsqu’ils interagissent avec ces individus inconnus et qui pourraient agir de manière agressive et constituer une menace pour l’unité familiale».

éléphants d'Afrique comportement mémoire

Les éléphants inconnus et qui ne font pas partie du troupeau ne sont pas les seules menaces que ces pachydermes doivent garder à l’esprit pour survivre. G. Shannon qui est l’un des coauteurs d’une étude publiée en 2011 dans la revue Proceedings of the Royal Society B : Biological Sciences (Cliquer) a démontré que les jeunes éléphants ne réagissent pas suffisamment aux sons enregistrés de lions mâles rugissants, alors que les éléphants plus âgés (qui se souviendraient d’attaques antérieures de lions) adoptent des positions défensives en réponse aux rugissements.

Dans une autre étude, publiée celle-ci en 2014 également dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (cliquer) Graeme Shannon et ses collègues ont démontré que les éléphants peuvent également identifier les voix des humains qui représentent une menace. Ainsi ont-ils constaté que les éléphants sont plus susceptibles de prendre des précautions lorsqu’ils entendent les voix enregistrées des Maasaï semi-nomades, qui tuent périodiquement des éléphants, que les voix des autres ethnies kényanes. Les éléphants étaient également plus susceptibles de se défendre lorsqu’ils entendaient les voix enregistrées d’hommes maasaïs, par opposition aux enregistrements de femmes et d’enfants maasaïs. «L’incroyable mémoire et les capacités cognitives des éléphants leur ont même permis d’utiliser le langage humain pour déterminer la menace que représentent différents groupes d’humains», a souligné le chercheur.

Les structures cérébrales uniques des éléphants sont peut-être ce qui leur permet de réaliser ces impressionnantes prouesses de mémoire et de cognition. Une série d’études (Cliquer) menées par Bob Jacobs, professeur de psychologie spécialisé dans les neurosciences (Cliquer) au Colorado College, a démontré que les neurones corticaux des éléphants sont radicalement différents de ceux des autres espèces intelligentes. Jacobs pense que les caractéristiques uniques de ces neurones suggèrent que les éléphants réfléchissent soigneusement à leurs souvenirs. «En termes de cognition» écrit-il dans The Conversation (s’ouvre dans un nouvel onglet), «mes collègues et moi pensons que les circuits corticaux intégratifs de l’éléphant soutiennent l’idée qu’il s’agit d’un animal essentiellement contemplatif ».

éléphants d'Afrique comportement mémoire

Les éléphants ont également le cerveau (Cliquer) le plus volumineux en valeur absolue parmi les mammifères terrestres, et le plus grand lobe temporal par rapport à la taille du corps ; le lobe temporal est la partie du cerveau responsable du traitement des sons et de l’encodage de la mémoire.

Le fait que les éléphants dépendent si fortement de leur mémoire rend les efforts de conservation d’autant plus nécessaires. Lorsque les braconniers ciblent les plus grands éléphants dotés des plus grosses défenses, ils ont généralement dans leur ligne de mire les éléphants les plus âgés, dépositaires de la mémoire collective du troupeau, et ces pertes signifient que les éléphants plus jeunes se retrouvent à la tête d’un troupeau qu’ils n’ont pas l’expérience nécessaire pour mener à bon port pendant la saison sèche.

De même, si la survie des éléphants dépend de la capacité des anciens à se souvenir des routes de migration, le développement qui modifie le paysage et coupe des chemins cruciaux pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour des troupeaux entiers. C’est ce que souligne Caitlin O’Connell : «Leur habitat est menacé par le développement humain qui bloque d’importantes voies de migration, les laissant confinés sur des terres marginales qui ne disposent souvent pas des ressources importantes nécessaires pour survivre aux longues saisons sèches, d’où l’importance de préserver les routes de migration critiques.»

Vous souhaitez réagir à cet article
Peut-être même, nous proposer des textes et écrire dans WUKALI
Vous voudriez nous faire connaître votre actualité
N’hésitez pas !

Contact : redaction@wukali.com (Cliquer)

Choix des illustrations de l’article par WUKALI

Ces articles peuvent aussi vous intéresser