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Les Russes pillent le patrimoine et les musées d’Ukraine

par Pierre-Alain Lévy

Les objectifs de Poutine sur l’offensive et la guerre en Ukraine deviennent manifestes avec le temps. Il s’agit non seulement d’une opération de conquête impérialiste de submersion d’un pays pour s’en emparer militairement et d’en devenir maître comme au bon vieux temps du stalinisme, mais de subvertir l’identité du territoire convoité, l’Ukraine, pour lui dénier son existence, son histoire et lui piller son empreinte et son patrimoine culturel et artistique.

Cet abominable XXème siècle, avec ces deux monstruosités que furent le communisme avec Lénine et Staline et le nazisme avec Hitler, nous ont hélas accoutumés à voir pillages, massacres et exactions sur les populations civiles. Or nous pensions (un «nous » stylistique purement littéraire) avec une candeur et une naïveté béate que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles depuis la défaite dans le temps d’une part du nazisme en 1945, et la chute du Mur de Berlin en 1989 suivie de l’effondrement et de la disparition de l’URSS deux ans après en 1991.

Las, pire encore ! Ainsi aux hiérarques du Parti communiste de l’URSS rassemblés naguère selon un classement et une hiérarchie strictement contrôlée et changeante sur une tribune du Kremlin face à la place Rouge, a fait place depuis 1999 un seul homme, Vladimir Vladimirovitch Poutine. C’est ainsi qu’un seul dirigeant, sans manifestement de contre-pouvoirs et d’opposants pour lui faire face, détient par sa seule décision le sort de tout un pays et menace aujourd’hui jusqu’à la paix du monde.

Poutine et la guerre en Ukraine
Poutine et ses conseillers au Kremlin quelques jours avant l’invasion de l’Ukraine
Photo Télévision russe

Le Covid nous a remis les pieds sur terre ( et pour certains hélas dessous), puis l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe a douché les millénarismes imbéciles des nostalgiques de l’ex-URSS, de la dictature du prolétariat et du Tiers-mondisme, version Moscou. Tout va très bien, Madame la marquise chantait Trenet.

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Stratégie de nettoyage ethnique

Nettoyage ethnique, quelle ignoble et insupportable expression, elle correspond cependant à une non moins monstrueuse réalité que nous nous devons de constater. La chaîne de télévision France 5 vient de diffuser un documentaire intitulé Moissons sanglantes et accessible en replay (cliquer) que nous vous conseillons de visionner. Il s’agit de la famine organisée par Staline en Ukraine en 1933 et qui fit dans les campagnes des millions de morts. Bien entendu, cette histoire atroce du passé, n’est pas rappelée, ni encore moins enseignée dans la fédération de Russie aujourd’hui. C’est même plutôt l’inverse !

La propagande distillée dans tous les médias russes à la botte du Kremlin en hostilité à l’Ukraine a depuis des années décervelé l’immense et tragique peuple russe. Les âmes mortes ont pris un autre visage. Le nationalisme haineux, les mensonges, la colossale et stupéfiante (i-e frappée d’effroi) manipulation de l’opinion russe ont obtenu l’effet escompté. Réunir l’assentiment de la mère-patrie Родина-мать autour des décisions ( des oukases) de Poutine. Donner à croire que les nazis à l’Ouest et en Ukraine au premier chef, menacent Igor et Iéléna. L’on est dans l’absurdie la plus totale !
Le racialisme et le nationalisme, cette infecte peste utilisée par Hitler sur l’idée de la race aryenne voila plus d’un demi-siècle, c’est cette même forme de pensées qui constitue aujourd’hui même le substrat idéologique de la stratégie du Kremlin.

Les déportations d’enfants ukrainiens en Russie, ces pseudo mises à l’abri, en colonies de vacances, ces enfants, ces adolescents arrachés à leurs parents et donnés à l’adoption à des familles russes et pour certains d’entre eux déplacés jusqu’en Sibérie orientale, c’est la honte de la politique de Moscou, l’opprobre la plus infâme et qui renvoie à des temps barbares que l’on croyait disparus !

Une opération militaire indubitablement préparée avec minutie et de longue date par les services secrets russes et le ministère de la défense. Il s’agit de dénier l’existence même d’un pays, de le gommer ou de l’effacer comme l’on ferait avec une éponge pour enlever la craie sur une ardoise. Surtout, quant il s’agit de manipulation de l’opinion, de désinformation, de mensonges, de calomnies voire d’appels au meutre. Cet égard, les services russes depuis l’époque tsariste en 1903, en passant la Tchéka, le Gépéou, le KGB ou le GRU d’aujourd’hui sont passés maîtres.

Kherson, Marioupol, Melitopol, musées d’art, d’histoire et d’antiquités pillés par l’armée russe

Dans les cohortes blindées russes qui foncent sur l’Ukraine, et comme toujours dans ce genre d’opérations, des fourriers du pillage prêts à l’action. Il s’agit de récupérer les collections d’art des musées ukrainiens, autrement dit de les voler, pour les déménager et les transporter en Russie.

Par chance quelques tableaux de l’avant-garde ukrainienne 1900-1930, avaient pu quelques heures avant le bombardement de Kiev par les Russes sur les infrastructures industrielles d’électricité, être exfiltrés pour partir vers Madrid pour une exposition organisée par la fondation Thyssen-Bornemisza, c’était en novembre dernier.

Aujourd’hui, les témoignages affluent sur les mises à sac opérées par l’armée russe dans les musées ukrainiens depuis le premier jour et couvrent notamment toute la période de l’occupation russe de la ville de Kherson.

Nous sommes allés chercher pour rédiger cet article dans WUKALI toutes les informations nécessaires publiées tant par la presse ukrainienne que la presse internationale et leur crédibilité ne peut pas être remise en cause.

Les occupants ont volé des dizaines de milliers de trésors artistiques en Ukraine. Il s’agit du plus grand vol d’art depuis la Seconde Guerre mondiale et l’objectif est de priver l’Ukraine de son patrimoine culturel.

Témoignages

Un matin de la fin du mois d’octobre, les troupes russes ont bloqué une rue du centre de Kherson et entouré un vieux bâtiment cerné par des dizaines de soldats rapporte le journal ukrainien ZN UA. Cinq gros camions sont arrivés. Il s’agissait d’un assaut soigneusement planifié, hautement organisé, de style militaire, contre le musée d’art. Selon des témoins oculaires, au cours des quatre jours suivants, le musée d’art régional de Kherson a été vidé, les troupes russes « s’affairant comme des insectes« , les déménageurs retirant des milliers de tableaux, les soldats les emballant à la hâte dans des draps. Ces faits ont été pareillement rapportés dans un article (cliquer) du New York Times.

Des peintures des plus grands peintres ukrainiens ont ainsi été volées. Piquet sur la rive du fleuve. Coucher de soleil 1890 du peintre Ivan Pokhitonov, Maisons au coucher du soleil de Piotr Sokolov provenant de la collection de Mariia Kornilovska, Paysage de Paris de Mykhailo Andrienko-Nechytailo. Elles sont réapparues peu de temps après au musée de Crimée, sous férule russe depuis 2014. Le directeur du musée, Andrei Malgin,s’en explique ainsi. «Nous avons 10 000 pièces et nous enétablisson l’inventaire », a-t-il ainsi déclaré au journal espagnol El País. Il a précisé que son musée conserve la collection pour la protéger, cqfd… !

La quasi-totalité des milliers de peintures à l’huile stockées dans le sous-sol du musée d’art et les enregistrements informatiques qui les documentaient ont disparu.

De tels chefs-d’œuvre, «ont été chargés comme des ordures », a déclaré la directrice du musée, Alina Dotsenko poussée à fuir à Kiev. Lorsqu’elle est retournée au musée début novembre et qu’elle a réalisé tout ce qui avait été volé, elle a déclaré : «J’ai presque perdu la tête».

Lorsque la Russie a dévasté l’Ukraine par des tirs de roquettes meurtriers et des atrocités brutales contre les civils, elle a également dépouillé les institutions culturelles nationales de certaines des œuvres les plus importantes de l’Ukraine.

Peu avant la reprise de Kherson par l’armée ukrainienne, des agents des services russes protégés par des soldats se sont précipités au musée de la ville pour en déménager les œuvres.

«Le déménagement a eu lieu avec la participation d’experts, mais avec des violations flagrantes du transport et de l’emballage des œuvres», a déclaré Vitaly Titich, un avocat ukrainien qui faisait partie de l’unité spéciale chargée de documenter les crimes de guerre contre le patrimoine culturel de l’Ukraine. « Des peintures ont été retirées à la hâte de leurs cadres, les cadres ont été brisés, et des objets culturels ont également été endommagés ou détruits

À Kherson, les procureurs ukrainiens et les administrateurs de musées affirment que les Russes ont volé plus de 15 000 objets d’art et artefacts uniques. Ils ont enlevé des statues en bronze dans des parcs, des livres d’une bibliothèque scientifique sur la rive du fleuve, ont caché dans des boîtes les restes de Grigory Potemkine, l’amant de la Grande Catherine, vieux de 200 ans. Ils ont même volé un raton laveur au zoo, laissant derrière lui une cage vide. Prévert dans sa tombe doit se trémousser !

Les Russes pillent le patrimoine et les musées d'Ukraine
Olga Honcharova, directrice temporaire, devant des vitrines du musée régional de Kherson vidées de leurs contenus
Crédit photo Dimitar Dilkoff/ AFP-Getty Images

Selon les autorités ukrainiennes, les troupes russes ont pillé ou endommagé plus de 30 musées – dont plusieurs à Kherson et d’autres à Marioupol et Melitopol. Les enquêteurs ukrainiens sont encore en train de répertorier les pertes : peintures, stèles anciennes, pots en bronze, pièces de monnaie, perles et bustes manquants.

«Ils ont pris l’or, ils ont pris la collection d’icônes. Toutes les armes ont été enlevées – de l’époque antique aux armes modernes. Les trophées, les médailles – tout a été emporté», – raconte Elena Eremenko, secrétaire du musée régional des traditions locales de Kherson. Après la prise de Kherson par les Russes, le directeur et une partie du personnel du musée d’histoire locale sont immédiatement passés du côté des envahisseurs. Ils ont joué un rôle dans les intrigues de propagande, répétant les récits du Kremlin, et ont organisé des expositions sur l’ordre des occupants. Ceux qui ne soutenaient pas les occupants étaient licenciés.

Selon les responsables ukrainiens et les experts internationaux, ces vols sont loin d’être le fruit du hasard ou de l’opportunisme de quelques militaires qui se sont mal comportés, voire du désir de faire un profit rapide sur le marché noir. Ils voient dans ces vols une attaque généralisée contre la fierté, la culture et l’identité ukrainiennes, qui va dans le sens de la position impériale du président russe Vladimir Poutine, lequel n’a cessé de dénigrer l’idée d’une Ukraine en tant que nation distincte.

«Ce n’est pas comme si un soldat mettait un bol en argent dans son sac à dos», explique ainsi James Ratcliffe, conseiller britannique en chef de The Art Loss Register, une organisation basée à Londres et qui se consacre à la recherche d’œuvres d’art volées. «C’est à une échelle beaucoup, beaucoup plus grande». ll a pareillement précisé que l’organisme avait déjà enregistré plus de 2 000 objets en provenance d’Ukraine supposés avoir été volés.

Dans le musée de Melitopol dès le début de l’agression russe, des témoins ont déclaré qu’un homme mystérieux vêtu d’une blouse blanche est arrivé pour récupérer avec précaution, avec des gants et des pinces, les pièces les plus précieuses de la collection, notamment des pièces d’or scythes, datant d’il y a 2 300 ans. Pendant qu’il récupérait les antiquités inestimables, un détachement de soldats russes se tenait fermement derrière lui au cas où quelqu’un tenterait de l’en empêcher.

Les Russes pillent le patrimoine et les musées d'Ukraine
Grand pectoral scythe en or trouvé dans le sud de l’Ukraine en 1971
Musée de Melitopol
Crédit photo  D. Kolosov/Wikimedia

Dans un article publié dans le New York Times, la conservatrice du musée d’histoire locale de Melitopol, Leila Ibrahimova, raconte que les employés du musée avaient caché dans la cave et dans des boîtes, des pièces d’orfèvrerie en or scythes de valeur inestimable. La conservatrice avait même été questionnée des heures sans ménagement par la soldatesque russe. Elle réussit par la suite à rejoindre Kiev. Plus tard elle apprendra, informée par le gardien du musée, que les Russes aidés par le directeur russe nouvellement nommé, avait réussi à mettre la main sur ce trésor essentiellement composée d’objets en or.

Pendant ce pillage, des pièces furent aussi saccagées, des verreries vandalisées et détruites, leurs tessons recouvrant le sol

Les Ukrainiens accusent les Russes de violer les traités internationaux qui interdisent le vol d’objets d’art, comme la Convention de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Ce traité, créé après la Seconde Guerre mondiale, appelle les signataires à « interdire, prévenir et, si nécessaire, arrêter toute forme de vol » de biens culturels. L’Ukraine et la Russie l’ont signé.

Pour la ministre de la culture et de l’information ukrainien, Oleksandr Tkachenko, «Les Russes sont en guerre contre notre identité, qui est représentée par notre patrimoine culturel. Et le fait qu’ils pillent les musées s’inscrit absolument dans la logique de la guerre contre nos valeurs, contre notre patrimoine, ils ne font pas que piller, mais dans certains endroits ils détruisent délibérément les musées. À Ivankov [région de Kiev], le musée où étaient conservées les peintures de Maria Primachenko a été détruit. Et à Skovorodynivka [région de Kharkov], le musée a été bombardé, mais les employés du musée ont réussi à cacher les objets les plus précieux. C’est-à-dire qu’il s’agit d’une guerre contre notre code culturel et contre nos valeurs, et c’est précisément l’histoire du pillage qui fait partie de cette politique».

Mémoires et moires

Que de traités savants et de conférences ne pourrait on point envisager sur le sujet de la mémoire. .. Mémoires et moires, jeux de mots significatifs, constance marmoréenne et apparence flottante.

N’envisageons ici sur le sujet qui nous intéresse que l’offensive de dissimulation de la vérité mise en place par Moscou depuis des décennies pour vider le concept national ukrainien de son identité telle une sangsue absorbant une proie. Cela est fondamental dans le champ culturel. Cela passe par l’éducation, l’apprentissage de la langue, la dissimulation de l’histoire passée (Holodomor, la grande famine de 1933) et bien entendu le champ patrimonial des arts.

Poutine, puisqu’il faut l’appeler par son nom, et les sbires mafieux qui l’entourent, ont mis au point une légende dorée faite toute à la fois d’impérialisme stalinien, de verticalité du pouvoir telle décrite dans l’admirable Mage du Kremlin de Giuliano da Empoli (voir notre critique-cliquer- dans WUKALI), d’une ré-écriture de l’histoire, d’un pseudo mysticisme soutenu par l’église orthodoxe russe autour de valeurs obsidionales et réactionnaires et couronnant le tout, d’une russification culturelle qui en rappelle d’autres de sinistre mémoire.

C’est ainsi que dans la vulgate culturelle russe s’est opérée depuis bien longtemps, un gommage des identités nationales de ce que furent les états de l’ex-URSS au seul profit de la Russie. N’en déplaise à certains chefs d’états d’Afrique devenus des affidés de Moscou, c’est en quelque sorte à un blanchiment culturel que l’on a à faire. En d’autres termes, le pire des colonialismes ! C’est aussi ce qu’à l’autre bout du monde en Chine, les Hans (les Chinois) font à l’égard de leurs minorités ethniques, telles ils les nomment, ne les cantonnant qu’à un rôle purement folklorique!

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Illustration de l’entête: objets d’art scythes en or pillés au musée de Maroiupol

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