Qui ne connaît point Joann Sfar! Il faut dire que son œuvre comme dessinateur de bandes dessinées est impressionnante, il suffit de penser à l’extraordinaire Chat du Rabbin pour ne citer que la série qui a eu le plus de succès largement mérité. Joann Sfar est aussi un auteur de roman, auteur qui n’en est pas à son premier livre. On a déjà écrit, dans WUKALI, tout le bien que l’on pensait du Niçois, de Farniente, de Comment tu parles de ton père. Ce qui est certain c’est que Et Dieu riait encore, ne ressemble en rien à ceux-là.
Il est très difficile de suivre cette histoire qui tourne autour de Pierre Cohen, acteur, metteur en scène, écrivant des pièces de théâtre, ayant fait des films, un peu en fin de carrière qui part en Israël pour trouver l’inspiration, la matière pour écrire une pièce autour du « Chat du rabbin » dont son agent a racheté les droits. Sauf que l’Israël qu’il a connu et défendu plus jeune autour d’un « judaïsme laïc, fraternel, ouvert au monde » a énormément changé avec le mercantilisme omniprésent, mais sutout avec la main mise des mouvements religieux extrémistes sur la société qui devient des plus intolérantes, même contre les autres juifs. Cela a pour conséquence une montée de l’antisémitisme partout mais, fort paradoxalement, le soutien au moins moral de l’Arabie Saoudite et de tous les mouvements fondamentalistes islamiques. Pierre connaît un cheminement intérieur qui le fait revenir au fond de lui, aux fondements même de sa judéité, et cela, autour du Cantique des Cantiques et essentiellement de la partie chantée au début du Sabbat tous les vendredis. D’ailleurs, il veut faire une pièce, sans paroles, sur David et la Shulamite !
Autour de Pierre se trouvent quelques personnages secondaires : Valérie Signoret, son épouse, elle aussi comédienne qui essayant de l’assassiner (il ne veut pas d’elle dans sa prochaine création) blesse leur chien. Mais, rien de grave et elle veut devenir écrivain ce qui nous vaut une belle dissertation sur les forces et faiblesses des maisons d’édition et une rencontre avec Amélie Nothomb.
Alfredine, jeune entrepreneuse qui rêve de devenir comédienne et qui finit par le devenir bien qu’elle soit noire. Elle triomphe dans une pièce de Pierre (qu’il a réécrit pour elle en monologue) où elle représente une esclavagiste !
On croise aussi Joann Sfar qui se décrit comme un solitaire n’aspirant qu’à dessiner et hésitant à partir visiter ses cousins habitant Israël.
Mais surtout il y a Bettoun, un « petit juif » d’origine marocaine, ayant pris l’ascenseur social grâce à son travail, mais en butte à une sorte de « plafond de verre » du à ses origines sociales. Devenu journaliste, il est un polémiste d’extrême droite très suivi, se présente à l’élection présidentielle où il n’obtient pas, loin de la le résultat escompté. Tout rapprochement avec Eric Zemmour est totalement assumé. Bettoun part en Israël pour se présenter dans la circonscription législative des Français de l’étranger. Et il passe le voyage en avion avec Pierre, tous les deux attachés par les navigants à leurs sièges ! S’ensuit un dialogue d’une grande profondeur sur l’antisémitisme, sur la vision de la judéité.
Et Dieu riait encore est un livre tourmenté, porté par un personnage à la recherche de son moi profond. Parfois, il faut avoir une solide culture hébraïque pour comprendre toutes les subtilités de cette œuvre profonde, parfois dérangeante.
Mais il y a toujours, la « patte », le style, l’humour, la recherche de la spiritualité, la quête personnelle de Joann Sfar pour essayer de comprendre ce qu’est être juif à notre époque. En tout cas, Israël est devenu un état, bien loin des fondements, de l’idée de ses fondateurs, Ben Gourion en tête. Hélas !
Et Dieu riait encore
Joann Sfar
éditions Albin Michel.19€90
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