Orsay en grâce, exposition Pastels de Millet à Redon

Le pastel est à l’honneur au musée d’Orsay avec l’exposition Pastels de Millet à Redon du 14 mars au 2 juillet 2023, sous le commissariat de Caroline Corbeau-Parsons, conservatrice des arts graphiques au Musée d’Orsay.

Inventé probablement en France et en Italie à la fin du XV^ème siècle, le pastel est très prisé dès le XVII^ème siècle pour ses couleurs franches, son aptitude à imiter la matière des tissus et à rendre les effets de la carnation dans l’art du portrait. Mais c’est au XVIII^ème siècle qu’il connait son âge d’or avec Rosalba Carriera, Maurice Quentin de la Tour ou Chardin qualifiés de « peintres au pastel », avant de tomber en désuétude peu après la Révolution française au profit de la peinture à l’huile.

Entre la seconde moitié du XIX^ème siècle et le début du XX^ème, il est utilisé par les impressionnistes, les Nabis et connaît une véritable renaissance dans les années 1890 avec le mouvement symboliste, ce dont témoigne de manière exceptionnelle cette exposition de quatre-vingt-quinze œuvres parmi les plus importantes de la collection du Musée d’Orsay. La technique du pastel s’affranchit alors du portrait pour s’étendre à tous les sujets. Elle est utilisée par de nombreux artistes dans leurs expériences créatives comme moyen d’expression artistique le plus libéré. 

Huit grands thèmes jalonnent le parcours de cette exposition qui s’ouvre sur une présentation des bâtonnets de pastel et de leur composition faite essentiellement de pigments purs : minéraux (ocres, terre de Sienne) ou organiques (sépia, phtalocyanines, azoïques) ou végétaux (pastel des teinturiers), d’une charge :  de la craie ou du plâtre qui sert à donner sa texture au pastel et enfin d’un liant qui assure la cohérence et conditionne la dureté du bâtonnet : la gomme arabique pour les pastels secs, l’huile ou la cire pour les pastels gras. 

La première salle, Sociabilités, présente des peintres comme Émile Levy, Jacques-Emile Blanche ou Louise Breslau qui s’inscrivent dans la tradition du portrait aristocratique réalisé dans de grands formats.  Dans le Portrait de Marie de Hérédia réalisé par Emile Lévy, le pastel permet de restituer la richesse du rouge écarlate et le chatoiement du satin de la robe. Manet pour sa part privilégie les portraits en buste comme ce Portrait d’Irma Brunner ou ce Buste de femme nue dont l’usage du pastel sublime la carnation.

Terre et mer illustre l’extension de l’usage du pastel à tous les genres dont Millet est l’un des pionniers. Moissonneurs, pécheurs, baratteuses (La baratteuse, vers 1866) sont saisis dans leur activité quotidienne et leurs costumes. Ils nous renvoient à un mode de vie empreinte d’une certaine nostalgie.   

Modernités évoquent les transformations provoquées par les bouleversements de la vie moderne, ceux qui ont inspirés les impressionnistes pour lesquels le pastel devient une technique privilégiée propre à saisir ce monde en mouvement. Eugène Boudin capte le caractère changeant de la vie en pleine air, les effets de lumière en bord de mer, Deauville (Plage, 1862-1870), Trouville ou Honfleur sont une source d’inspiration inépuisable. Degas considéré comme l’un des piliers de la peinture au pastel ayant largement contribué à son développement, l’utilisera de manière quasi-exclusive à partir 1880-1890. Ce peintre citadin portera un regard neutre sur les blanchisseuses (La Repasseuse, 1869) et les danseuses (Deux danseuses au repos, vers 1910-1912).

Le quatrième thème, abordé dans Essence de la nature, montre l’intérêt du pastel pour les peintres. Par son faible encombrement il leur permet de travailler en plein air mais aussi de transcrire rapidement les changements atmosphériques et les effets de lumière aux différents moments de la journée. D’Élisabeth Vigée Le Brun en passant par Delacroix, admiré pour ses ciels par Corot, aux impressionnistes jusqu’aux symbolistes tels que Lévy-Dhurmer, Méduse, dit aussi Vague Furieuse, 1897 (illustration de l’entête de l’article), Rippl-Rónaï (Un parc la nuit, vers 1892-1895) ou bien encore Odilon Redon (Fleur de Sang, 1895), chacun se servira de ce médium fragile et éphémère pour conférer au paysage une tonalité particulière.  

Intérieurs met l’accent sur la vie domestique et les scènes de genre qui reflètent les valeurs prisées par la bourgeoisie. Le portrait devient l’expression d’un état d’âme, d’une intériorité que le pastel exprime avec nuance et délicatesse et dans lequel certaines femmes excellent :  ainsi Mary Cassatt privilégie l’intimité du couple mère-enfant (Mère et enfant sur fond vert 1897). Très attentive à la manière dont la lumière joue sur les corps et les objets Berthe Morisot choisit souvent ses modèles dans son entourage, (Portrait de Madame Edma Pontillon 1871), Louise Breslau réalise de nombreux portraits d’enfants, (Petite fille au chien blanc dit aussi Portrait de Mademoiselle Adeline Poznanska, 1891) 

Dans Intimité les portraits réalisés au pastel semblent plus aptes que tout autre médium à rendre le velouté de la peau et les teintes subtiles de la carnation. Beaucoup de peintres l’on utilisé en jouant de l’estompe : Édouard Manet (Buste de femme nue, vers 1875), Maurice Denis (Nu, femme assise, de dos, 1891), Emile-René Ménard (Étude de nu dans un intérieur, sans date). 

Arcadies témoigne d’une époque en plein bouleversement hantée par la crainte d’un effondrement qui amènent certains artistes à se tourner vers un idéalisme arcadien prônant un retour à une vie en harmonie avec la nature. Osbert appartient à ce mouvement. Il crée un univers mystique en développant dans ses pastels la vision d’un monde peuplé de muses (Muse allongée au bord de la mer, 1926). Degas choisit le thème des baigneuses et d’une proximité avec la nature (Deux baigneuses sur l’herbe, 1896). Desvallières (Les tireurs à l’arc, 1895) et William Rothenstein (Femme nue assise 1892), nous plongent dans un mode plus inquiétant.

On sort de cette magnifique exposition, qu’il faut absolument voir, émerveillé par la vivacité des lignes, la fraîcheur et la pureté des nuances colorées qui expriment une certaine fugacité de l’être, redoublée par la fragilité du matériel.  Un éloge à la douloureuse beauté de l’éphémère peut-être ?

Exposition : Pastels de Millet à Redon
au musée d’Orsay. 14 mars-2 juillet 2023

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