Voici s’ił en est un phénomène intéressant dans l’histoire de l’art, ces artistes, ces peintres pour la plupart, tombés dans l’oubli, et dont la renommée et l’oeuvre renaissent à cycles variables bien longtemps après leur disparition, à la faveur d’une exposition, d’une monographie ou d’une vente publique. Paul- Élie Dubois est de ceux là, nous allons vous le présenter.
Il serait cependant intéressant de comprendre pourquoi, et parfois même de leur vivant, leurs noms, leur travail, n’ont pas réussi à émerger et se distancier favorablement dans l’esprit du grand public, ou reconnaissons-le, des milieux professionnels de l’art. Ce qui se dit sur les peintres, se dirait aussi des musiciens (formule connue n’est-ce-pas), et je pense pour les plus fameux d’entre eux à J.S Bach ou plus tard à G. Malher par exemple !
Parmi les peintres, qu’ils sont nombreux ceux dont on a redécouvert le talent très récemment et sans remonter à Odilon Redon, Vermeer, Piranese ou Arcimboldo dans une chronologie à rebours !
Effet de mode, effet de temps social (à défaut d’autre mot). La guerre par exemple constitue en quelque sorte une forme d’accélérateur critique. C’est ainsi que les mentalités, les goûts, les préoccupations changent drastiquement. Pour ce motif certains artistes qui auraient pu émerger disparaissent totalement du champ critique, leur oeuvre ne s’inscrivant désormais plus dans la sensibilité ( sensibilitas) de la période historique qu’ils traversent. Cela est d’évidence au XXème siècle avec l’accélération du temps qui en une courte période connait deux guerres mondiales monstrueuses à trente ans de distance et dont les conséquences révolutionnèrent le mouvement du monde des idées.
A cet égard, si les peintres de l’école yougoslave ( Dado, Ljuba, Veličković, Milos Sobaïc), hélas aujourd’hui disparus et certains étaient de mes amis, ont choqué naguère l’opinion de leur temps, (l’opinion, pas la critique !), observons qu’ils furent les observateurs tragiques de leur histoire nationale, anticipèrent le chaos à venir de leur pays et des abominables traumatismes et du désastre humain qu’il eut à subir.
Après le covid et aujourd’hui la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, les mentalités de façon souterraine sont en train de changer, et la sensibilité esthétique en révélera les arcanes.
Et puis il y a de ces artistes, mi-chèvre-mi-chou, nés à contre-temps (et ils sont nombreux à ressortir de cette catégorie), qui laissent une fois leur disparition, l’opinion partagée, cette dernière étant en quelque sorte troublée par ce déséquilibre sensible qui les constitue et ces orientations esthétiques qui les caractérisent.
Dans cette catégorie l’on pourrait penser à des peintres comme Émile Friant, remarquable portraitiste faut-il le souligner, naturaliste disent certains, mais qui arrive « sur le marché » ( pardonnez-moi le mot), quelques années seulement après les grands impressionnistes. Ô combien il est dur de naître en retard !
Friant pourrait même être héraldique de cette catégorie, il travaille à cloche-pied, s’inscrit maladroitement dans une approche quasi photographique de la peinture, développe une vision quelque peu mortifère dans certaines de ses oeuvres ( La Peine capitale. 1908. Art Gallery of Hamilton. Canada). On ira même jusqu’à faire de lui le représentant de l’Art pompier ! (Lire article publié dans WUKALI Cliquer)
Emile Friant s’intéressera à la fin de sa carrière à des thématiques néo-classiques pour ne point dire hygiénistes. Ajoutons (et la coupe sera pleine pour cet artiste lorrain), qu’il a excellé dans la peinture du noir ( ce qui en soi est superbe), mais après les Impressionnistes dont il eût voulu se réclamer, est à contre-courant. Il a fait l’objet d’une grand rétrospective au musée des Beaux-Arts de Nancy et puis ultérieurement au musée d’Orsay à Paris
Ce qui constitue, ce que l’on nomme par facilité, une opinion, c’est à dire un mouvement difficilement définissable, une idéologie ( ce mot pue), cette forme de vaporisation temporelle des affects, des émois d’une société, de ses fractions, de ses frictions aussi, ce que la postérité retiendra sur les acteurs du temps, aura bien entendu des conséquences sur la gloire ou a contrario sur le naufrage de la mémoire des artistes et de leurs productions.
Et puis n’oublions pas ces maîtres, ces génies, ces «phares » dont parle Baudelaire, près desquels à leur suite courent tant d’autres artistes moins habiles, moins célèbres qui se mettent «à faire comme» , et dont ne resteront que quelques épitopes, quelques bons faiseurs, les autres sombrant dans l’oubli.
Dans cette ingratitude des temps et de la mémoire, mentionnons aussi «la faute à pas de chance », un «parce que c’était lui, parce que c’était moi », inversé !
Paul-Élie Dubois, itinéraire(s) d’un peintre voyageur,
de la Franche-Comté au Grand Sud
Le musée du château des Ducs de Wurtemberg de Montbéliard présente du 29 avril au 29 octobre 2023 une rétrospective inédite consacrée au parcours de Paul-Élie Dubois (1886 – 1949).
Montbéliard, Paris, Alger, Bou Saâda, Figuig, Venise : cette rétrospective inédite éclaire le parcours captivant de Paul-Élie Dubois. Malgré son profond attachement à sa Franche-Comté natale et son désir de rayonner dans les Salons parisiens, l’artiste est subjugué par l’Orient méditerranéen. En avion, en bateau, en train, en voiture ou encore à dos de chameau, il ne cesse de voyager entre deux continents.
Issu d’une formation parisienne classique, Paul-Élie Dubois reste toute sa carrière attaché au dessin en s’affranchissant pourtant de l’art académique. Bien qu’en marge des multiples courants du 20e siècle, il s’imprègne et s’enrichit des œuvres des artistes modernes autour de la couleur et de la lumière, ses principales préoccupations. Leur influence est palpable dans ses tableaux. Sa ténacité, sa confiance en son talent naissant lui permettent d’atteindre peu à peu la reconnaissance de ses pairs, de la critique et ainsi de vivre de sa peinture.
Dans les années 1920, le peintre découvre Alger et séjourne à la Villa Abd-el-Tif, résidence artistique. Sans jamais oublier la Franche-Comté, il parcourt inlassablement l’Italie, le Maroc, la Tunisie, et surtout l’Algérie. Les pays du sud sont une véritable révélation. Il rapporte un témoignage ethnographique étonnant de sincérité du Hoggar, région montagneuse du Sahara explorée lors d’une mission scientifique en 1928.
Au gré de ces déplacements, Paul-Élie investit et aménage de multiples ateliers. En intérieur ou en extérieur, il travaille obstinément, comme l’attestent ses innombrables esquisses et ses toiles abouties. Les plus de 200 peintures, dessins et objets rassemblés ici retracent les jalons de cet itinéraire prolifique.
Entre racines comtoises et conquête parisienne
Paul-Élie Dubois nourrit un lien constant avec « le Pays », la Franche-Comté, terreau d’inspiration et creuset du soutien familial. Pour accomplir ses ambitions et devenir un peintre établi, Paris s’impose à lui. Intégrer l’atelier de maîtres, exposer dans les Salons officiels et accéder à une reconnaissance, tels sont ses objectifs.
Convaincu par son compatriote et rival Jules-Émile Zingg que « le Pays ignore la peinture », Paul-Élie rejoint la capitale en 1904 et y réside seize ans. L’Académie Julian, l’École des Beaux-Arts, les tentatives pour concourir au prestigieux Salon des artistes français sont les étapes incontournables pour acquérir une formation académique et une légitimité. Il côtoie, à Paris comme en province, des amis peintres francs-comtois tels Jules-Émile Zingg, Charles Weisser, Jules Adler ou Albert Journet qui, comme lui, naviguent entre les deux régions.
Sincèrement attaché à ses racines, il revient dès qu’il le peut chez ses parents. Il expose régulièrement dans le Doubs, notamment à Montbéliard chez l’érudit Émile Blazer. Sa famille lui sert également de modèle pour d’imposantes compositions, comme La Fiancée ou La robe rose qu’il présente au Salon.
Fasciné par la nature, la région est pour lui une source d’inspiration inépuisable. Même après sa découverte du bassin méditerranéen en 1920, l’artiste reste fidèle à sa terre d’origine. Paul-Élie produit de très nombreuses esquisses et pochades en plein air puis compose ses grands formats en atelier. La déclinaison des saisons, le soleil jouant dans la brume ou encore des fenêtres entrouvertes sont autant de motifs qui suscitent son attention. La lumière constitue le sujet de prédilection de l’artiste, d’ailleurs très vite reconnu pour ses effets de lumière et ses talents de coloriste.
La Villa Abd-el-Tif : le rêve s’accomplit
Attiré par cet ailleurs « plein de lumière » Paul-Élie exécute très jeune de rares toiles qu’il considère orientalisantes et rêve déjà de voyages. Son souhait se concrétise en 1920 lorsqu’il intègre la Villa Abd-el-Tif à Alger. Il est alors « saisi d’une rage de peindre »
Véritable foyer artistique, cette maison accueille successivement, entre 1907 et 1962, plus de 80 peintres, sculpteurs et graveurs. Elle offre un cadre idyllique, un écrin pour l’inspiration des résidents qui participent à la promotion de l’Algérie par le biais des expositions coloniales et universelles. Un regard neuf est ainsi insufflé pour dépeindre ce pays de lumière où l’on souhaite développer le tourisme.
La Villa Abd-el-Tif, du nom de l’un de ses anciens propriétaires, est un palais construit au 18e siècle. Elle devient une institution à la suite d’un rapport sur les arts et les industries de l’Algérie préconisant un art propre pouvant « par ses artistes et ceux qui viennent s’établir chez elle, formuler l’expression de sa vie, l’émanation idéale de son sol et de ses esprits ». Le gouvernement général de l’Algérie collabore alors étroitement avec Léonce Bénédite, conservateur du Luxembourg, musée des artistes vivants à Paris, et président de la Société des peintres orientalistes français. Les lauréats du prix sont les protégés de l’administration des Beaux-Arts qui finance et exerce un droit de regard sur la Villa. Surnommés « Les Abd-el-Tif », les pensionnaires sont les initiateurs de ce que l’on appelle l’École d’Alger. Paul- Élie Dubois y rencontre Jean Launois, avec qui il voyage et expose à plusieurs reprises.
Paris, Montbéliard, Colombier-Châtelot puis Alger : Paul-Élie possède un atelier dans chaque ville où il loge. Une reconstitution de son atelier est présentée dans l’exposition avec du mobilier, des outils et effets personnels ayant appartenu à l’artiste : palettes, malle de voyages, ouvrages ou encore chevalets. Sur l’un d’eux, Les pommes rouges, une des dernières œuvres de l’artiste, a été retrouvée en 1949 après le décès de Paul-Élie.
« Nous sommes à peu près installés et je crois que nous serons très bien. L’atelier est pas mal grand, chambre, vestibule, cabinet, cheminée. Vue sur Montrouge et le cimetière Montparnasse, soleil de 10h le matin jusqu’au coucher. Nous avons payé (Zingg est absent en ce moment) 12 fr pour les deux pour trois nuits. (Paris, 1908)
Pérégrinations méditerranéennes
Paul-Élie Dubois, comme les autres pensionnaires de la Villa, est animé par le désir ardent de rejoindre les territoires vierges du sud de l’Algérie et de parcourir le bassin méditerranéen. Plateaux désertiques et froids, reliefs acérés, vallées fleuries : ces visions de charme l’éblouissent.
Algérie, Maroc, Italie, Tunisie… en compagnie d’artistes ou de sa famille, Paul-Élie sillonne les routes et retourne souvent dans les lieux qu’il a aimés. La lumière blanche, les parfums des palmeraies, les oasis veinées le bouleversent. L’artiste approche les populations locales. Il croque et photographie les habitants : un aveugle de Marrakech, des danseurs Chleus, des enfants dans une mosquée ou des femmes voilées de blanc dans un cimetière. En Italie, il est ébahi devant la beauté des fresques de Giotto qu’il esquisse aussitôt. Spiritualité et croyances l’intéressent fortement, issu lui-même d’une famille de darbystes, protestants évangéliques, très pratiquante.
L’artiste produit sans relâche. Il réalise de nombreuses esquisses, compose, décortique, reconstruit et assemble ses motifs. 1922 et 1923 marquent la consécration du peintre : il obtient la médaille d’or au Salon puis le prestigieux Prix National français pour l’art.
Carnets de notes et correspondances relatent avec détail ses pérégrinations, tout en révélant ses questionnements et inspirations artistiques. Paul-Élie voue une grande admiration à certains artistes sans jamais prétendre à la moindre filiation. Chaque choc esthétique lui ouvre de nouvelles voies, les influences de Puvis de Chavannes, Maurice Denis ou encore Albert Marquet sont parfois manifestes. L’harmonie des couleurs et l’ambiance lumineuse prédominent toujours dans ses recherches. C’est dans ses ébauches et travaux préparatoires que sa touche moderniste se traduit le plus spontanément.
Le peintre du Hoggar
En 1928, Paul-Élie Dubois participe à une mission scientifique chargée d’explorer le Hoggar, massif montagneux méconnu situé dans le Sud de l’Algérie. C’est un tournant décisif dans la carrière de l’artiste. Il est alors reconnu comme « le peintre du Hoggar ».
Au début du 20e siècle, l’Algérie devient une destination recherchée. La création d’une section dédiée au tourisme dans la colonie algérienne et l’attrait des artistes pour ce pays contribuent à le faire connaître. Les hautes régions du Hoggar restent cependant méconnues, hormis des indications militaires et ethniques. En 1928, une première mission scientifique est organisée par le gouverneur général de l’Algérie. Celui-ci fait appel à différentes personnalités pour étudier cette aire géographique : entomologiste, zoologiste, botaniste… À ces savants, il adjoint un peintre : Paul-Élie Dubois. Grâce à ce dernier, le Hoggar sort de la légende. Le peintre accède à une nouvelle notoriété, ses toiles sont présentées lors d’expositions universelle, coloniale et personnelle comme celle de 1929 au Pavillon de Marsan du Louvre. Paul-Élie incarne désormais cette région.
Les quatre mois de mission, parsemés de longues marches, de tempêtes de sable, de nuits sous les étoiles ou dans des campements, le confrontent aux dangers et splendeurs du désert. Il s’isole un temps pour rester dans les hautes montagnes et découvre la solitude céleste de l’Assekrem, accompagné seulement d’un Targui et d’un Châmba.
Il retourne sur ces terres en 1938 lors d’une seconde mission, puis en 1946, 1947 et 1948. Témoin passionné du peuple Touareg, Paul-Élie cherche à fixer à jamais ses us et coutumes dont il appréhende la disparition. Son œuvre apparaît comme un témoignage ethnographique objectif de cette culture. Il observe et retranscrit les scènes quotidiennes ou festives. Il demande aux populations de poser et exécute ainsi de nombreux portraits. Ces personnages imposants aux regards pénétrants surprennent par leur présence. Leurs silhouettes se détachent sur un fond neutre ou un paysage lointain. Paul-Élie s’émerveille devant la majesté de la nature qui l’entoure et peint sur le vif dès qu’il le peut. Ses panoramas rendent compte de la luminosité féerique des lieux. Pour l’artiste, dans cette contrée, tout s’harmonise dans un concert de formes et de nuances.
Nous tenons vivement à remercier Barbara Gouget, commissaire de l’exposition, Paul-Élie Dubois. Itinéraire(s) d’un peintre voyageur, diplômée de l’école du Louvre (licence Histoire de l’Art et master de muséologie) sans qui cette exposition et le travail de recherche muséologique qui l’accompagne et dont nous nous sommes inspirés, n’auraient pu être réalisés.
Paul-Élie Dubois. Itinéraire(s) d’un peintre voyageur
Musée du château des Ducs de Wurtemberg – Montbéliard
Exposition , du 29 avril au 29 octobre 2023
Illustration de l’entête: Paul-Élie Dubois
Au jardin du rêve (1927)
Huile sur toile. Collection privée.© Jack Varlet
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