Une exposition George Condo est à voir au Nouveau Musée National de Monaco jusqu’au 1er octobre 2023, un catalogue George Condo Humanoïdes a été publié à cette occasion édité chez Flammarion.
Le peintre-sculpteur américain George Condo est né le 10 décembre 1957, dans un monde où Jackson Pollock, Franz Kline, Willem de Kooning et Barnett Newman régnaient sur l’art. S’origine italienne par son père, il commence à dessiner dès l’âge de quatre ans (une crucifixion gardée par sa mère).
Il a quinze ans à la mort de Picasso, en 1973, dont il redécouvrira l’œuvre quelques années plus tard. Après des études d’histoire de l’art, de musicologie et de philosophie à l’Université du Massachusetts, il déménage à Boston où il loge chez son frère et travaille dans un atelier de sérigraphie puis rejoint le groupe des « Filles » avec le peintre abstrait Marc Dagley. Encouragé par son ami Jean-Michel Basquiat il s’installe à New-York à la fin de l’année1979 et fréquente le milieu underground, les premiers rappeurs et artistes graffeurs. Il rentre en 1981 comme chroniqueur à la Factory d’Andy Warhol où sa compétence en matière de sérigraphie l’amène à collaborer à la série des « Mythes ». Il quitte New-York neuf mois plus tard pour Los Angeles où il épouse l’actrice Susan Tyrrell.
Sa rencontre avec l’œuvre de Picasso Les demoiselles d’Avignon (1907) sera déterminante dans l’orientation de sa carrière et de ses choix artistiques notamment dans son rapport aux œuvres du passé et à l’éclectisme stylistique avec lequel elles sont traitées par Picasso. Condo reconsidère systématiquement l’œuvre de Picasso avec laquelle il ne cessera de dialoguer.
Contre Warhol et l’art du supermarché, Il fait le choix du musée avec Picasso. Il peint son premier tableau The Madonna en 1982 : une figure stéréotypée qui condense l’ensemble des Vierges qu’il avait contemplées dans les musées et dont il brouille la figure à coups de grattoir, à la façon dont Gerard Richter floutait l’image dans les années 1960, la transformant en « une sorte de Francis Bacon ». Cette œuvre fondatrice annonce un mouvement contrarié, celui d’une fascination-agression envers la peinture ancienne, qui fait de cette « Madone » la première incarnation d’une « terrible schizophrénie » en laquelle Condo reconnaît le ressort intime de son œuvre.
Souhaitant développer son propre style et se démarquer du milieu new-yorkais du moment, mené par Schnabel ou David Salle, il part en Europe au début des années 1983. Il découvre les toiles des maîtres au Louvre et au Prado et fréquente les milieux littéraires et philosophiques de Paris. Lors de son séjour à Paris entre 1985 et 1995 il assimile l’héritage européen et développe ce qu’il appelle le « Réalisme artificiel » qui définira son style pendant les vingt années suivantes.
Si la figure humaine est au centre de son œuvre c’est sous celle de l’Humanoïde qu’elle apparaît car elle est, selon lui, la forme la plus apte à rendre compte d’un nouvel humain sans identité particulière, privé de ce qui dans son esprit est lui-même, réduit à celle qui lui est imposée par la perception de l’autre. L’Humanoïde est une représentation du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, le monde de la désinformation, des similitudes, du simulacre, de la représentation réaliste de ce qui est artificiel ou par essence inventé par l’homme. Cet être imaginaire qui peut endosser tous les rôles, maîtresses, fous et solitaires, puissants et faibles n’est pas un monstre de science-fiction mais une forme de représentation qui utilise les moyens traditionnels pour faire remonter les émotions profondes à la surface d’une personne nous dit l’artiste.
La première partie du catalogue présente en six chapitres un certain nombre de portraits de créatures sorties tout droit de l’esprit du peintre, de sa mémoire où de ses réflexions sur le monde tel qu’il le voit. L’expression de la joie, de la peine, de l’horreur, de l’amour et de la haine peuvent être saisies en même temps dans un seul portrait dans la mesure où le peintre se donne la liberté d’exprimer ses propres émotions à travers le visage de l’autre. Il s’agit moins de reproduire celui qui n’est pas lui que d’exprimer potentiellement la manière dont il se voit lui-même.
Son approche de l’œuvre devient une métaphore de la folie de la vie quotidienne visant à nous montrer un monde fragmenté et fracturé fait de juxtapositions improbables et de figures étranges.
Dans ses portraits, largement inspirés par le cubisme, le surréalisme et les tableaux des maîtres anciens, Condo se libère de la peinture académique et dialogue entre différentes langues, musicale (John Cage ou Arnold Schoenberg), philosophique (Nietzsche dont la Naissance de la tragédie lui a inspiré une série de sculptures) ou picturale (Rembrandt, Velasquez, Goya, Ingres, Manet, Cézanne, Chirico, Picasso, ou De Kooning) pour trouver son propre style à travers un « cubisme psychologique » qui correspond à une exploration réaliste de la psyché humaine, proche de la caricature parfois.
Les peintures et sculptures présentées dans la première partie du catalogue retracent le voyage de Condo dans l’univers parallèle des Humanoïdes : métaphores de notre humanité, ces créatures en exacerbent les émotions et les vicissitudes.
Dans le premier chapitre « Créatures des antipodes » Condo montre des êtres, vivant aux antipodes de la conscience quotidienne. Une idée que le peintre a tiré du Paradis et de l’Enfer d’Aldous Huxley : « Nous les avons dans note tête et la seule façon d’y accéder est à travers une sorte de processus visionnaire » écrit Condo.
« Portraits de femmes » présente une série de portraits dans lesquels Condo joue souvent sur des clichés grossiers, déformant les visages en des portraits fracturés de façon cubique qui rappellent parfois l’esthétique de personnes comme Carroll Dunham. Connu pour ses portraits de femmes rejetant tout sentiment de soumission féminine, Condo peint aussi bien Elisabeth II d’Angleterre que des personnages du commun se détachant d’arrière-plans non développés, de sorte qu’ils apparaissent sans contexte et se prolongent dans le monde physique du spectateur.
« Falsification des maîtres anciens » correspond à une série de peintures marquant une étape essentielle dans le parcours de l’artiste. A la façon de Picasso ou de Willem De Kooning, Condo décrypte la structure des tableaux des grands maîtres qu’il admire tels que Frans Hals, Rembrandt, Manet, Velasquez et d’autres dont il capte la puissance expressive et le message. Il en réinterprète la structure compositionnelle pour l’appliquer ensuite à ses personnages. Une façon de remonter dans le passé pour aller plus loin dans le futur.
Dans « Portraits imaginaires » les juxtapositions et les traits familiers ont été transférés lors de la transformation des Humanoïdes en personnes réelles. Ces portraits Illustrent de nombreux aspects de l’humanité et représentent l’individu en tant qu’ils sont une construction de plusieurs êtres simultanés…Ils sont un en plusieurs. (The Little Girl, 2020) p.87
« Figures fragmentées » montre l’enchevêtrement de nombreux visages tendant à exprimer de nombreux point de vue, simultanément.
« Humanoïdes abstractisés » représente une forme hybride d’être humain…un humain dont l’esprit est le visage extérieur plutôt que le visage intérieur.
Dans la seconde partie « Schizo-Frénésie », Didier Ottinger[1] examine l’itinéraire du peintre, la genèse et la signification de son œuvre en s’appuyant sur des inédits dans lesquels l’artiste porte un regard critique sur la culture contemporaine et ses débordements. Ottinger nous fait découvrir des tableaux crées sous la double influence de la pandémie et la débâcle politique des États-Unis en resituant l’œuvre au cœur d’un monde en pleine mutation dans la mesure où elle traverse l’histoire de la peinture depuis l’origine jusqu’à aujourd’hui. La postmodernité n’étant peut-être, ainsi que le croyait Lyotard, qu’une actualisation des valeurs fondatrices de l’art…dont l’Humanoïde serait pour Condo une forme de quête d’éternité.
[1] Didier Ottinger, historien de l’art, commissaire invité de l’exposition, spécialiste de la peinture moderne et contemporaine.
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Illustration de l’entête: Snow White. Huile sur toile de lin, 134,9×117,5cm