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Biographie romanesque d’un ouvrier français broyé par l’URSS de Staline

par Émile Cougut

Biographie avec des éléments d’autobiographie tout en étant une sorte de roman, voilà ce qu’est Gaston. Gaston Thivet, un de ces Français totalement anonyme mais au destin extraordinaire. Un homme pris, à son corps défendant, dans les tourments de l’Histoire à cause d’une belle histoire d’amour. Un homme qui se lie d’amitié dans les années 80 avec un Français, traducteur qui vit à Moscou et qu’il a rencontré en Ukraine. Gaston, c’est un homme qui a vécu la gloire et la chute de l’empire soviétique.

Gaston Thivet est né à Paris, dans le quartier des Batignolles (dont il gardera l’accent toute sa vie), en 1920. Sa famille est originaire de la Meuse, son père, ancien poilu, est agent à la SNCF. Le jeune homme part très vite en apprentissage dans la serrurerie et commence à travailler. Mais en 1943, il est requis pour le STO et part travailler en Allemagne. Ce n’est pas un résistant de la première ou de la dernière heure non, mais un Français anonyme, totalement dépassé par les événements. Soit, il est proche du Parti communiste, mais plus par appartenance au monde ouvrier que par idéologie. Toute sa vie, il se définira comme ouvrier, avec tous ses codes, ainsi il habitera toujours dans un « logement » et non dans un « appartement » qui est un concept, une résidence pour les classes « privilégiées ».

Dans son usine, il rencontre une jeune Ukrainienne, elle aussi soumise au Travail obligatoire, Louba. En 1945, ils sont libérés par l’armée américaine, se marient. Ils passent quelques mois à Paris. Louba souhaite retourner dans sa ville natale Chostka pour retrouver sa famille, enfin pour voir si sa famille a survécu aux horreurs de la guerre. Après avoir rencontré l’ambassadeur de l’URSS le couple prend le train avec la bicyclette de Gaston. La famille de Louba a survécu à la guerre. Quand il veut retourner en France, on lui répond que les trains ne partent jamais vers l’ouest. Il fait une tentative pour aller à l’ambassade de France à Moscou, mais se fait vite arrêter et écope d’une amende de 100 roubles.

Alors, le couple entre dans la cinéfabrique, l’immense usine de pellicules photographiques et cinématographiques de Chostka. Là, Gaston va se montrer un ouvrier zélé, méticuleux, un ouvrier modèle, souvent récompensé et mis à l’honneur. Il est, et sans n’avoir strictement rien demandé, déchu de sa nationalité française, enfin plus exactement, on lui donne d’office la nationalité soviétique et devient-il ainsi Gaston Charlovitch. Le couple a deux fils. Alors, et tout en ayant toujours des problèmes avec la grammaire russe, Gaston Thivet devenu Gaston Charlovich Гастон Шарлович, se fonde ainsi en un ouvrier soviétique « normal ».

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Gaston, c’est celui qui chante Joséphine Baker devant sa machine, c’est celui qui rit toujours, toujours optimiste. Mais c’est aussi un taiseux, avare de ses paroles quand elles peuvent passer pour une critique.

A la chute de l’URSS, il continue de travailler. Il sera licencié pour compression de personnel alors qu’il a 74 ans, sa potentielle retraite n’aurait jamais suffi à le faire survivre. Il vit l’indépendance de l’Ukraine, la gabegie et la corruption, la mise en place d’une frontière entre l’Ukraine et la Russie. Alexandre, leur fils, amène ses parents à Saint-Pétersbourg. Là, le principal travail de Gaston est de retrouver sa nationalité française et de faire valoir les droits qui y sont rattachés. Pour autant, jamais il ne retournera en France. Louba part mourir dans sa ville natale, et Gaston, après une mauvaise chute à cause du verglas, décède en 2002.

Gaston Thivet n’est pas le seul Français ayant disparu dans l’immensité de la Russie à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui est réapparu lors de la fin de l’URSS. Il n’est pas le seul qui est parti volontairement, par amour avant tout, plus que par idéologie, à l’est. Il n’est pas le seul qui est tombé sous les mâchoires de la machine inhumaine du système soviétique.

Grace à Yves Gauthier, Gaston revit, Gaston d’anonyme parmi les anonymes redevient un homme, un homme acceptant son destin, un homme qui n’a jamais aucun regret, un homme responsable qui assume ses choix et leurs conséquences. Un homme fier d’être français, mais aussi fier d’être ouvrier, fier du travail bien fait, un homme droit qui refuse tous les « passe-droits », toutes les magouilles que les autres font. Il ne les dénonce pas, ce n’est pas son genre, non, il les dédaigne. Et puis, il y a son rire qui résonne encore et toujours en nous à la fin de roman.

Gaston L’impossible retour
Yves Gauthier

éditions Paulsen. 21€

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