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Le secret de l’embaumement des momies d’Egypte

par Pierre-Alain Lévy

C’est une découverte fantastique révélée ce 31 janvier dernier relative aux techniques d’embaumement des Égyptiens pour préserver les morts et maintenir les momies en état. Le petit monde de l’égyptologie vient de vivre une journée mémorable et qui à coup sûr marquera l’histoire de la discipline. Tout a débuté en 2016 à Saqqara par la découverte d’un atelier d’embaumement.

Une équipe pluridisciplinaire et internationale d’archéologues y avait découvert un atelier d’embaumement près de la pyramide d’Ounas et de la pyramide à degré de Djoser au sud du Caire. Ils y dénombrèrent pas moins de 100 poteries composant la batterie d’embaumement de l’officine et datées de la XXVIème dynastie (664 à 525 av. J-C). Cette équipe était composée de chercheurs des universités de Tübingen, de l’université Louis-et-Maximilien de Munich, et du Centre national de recherche du Caire.

Bien qu’un grand nombre de ces poteries aient porté des inscriptions permettant de connaitre les produits qu’elles contenaient il n’en demeurait pas moins que la chaîne complète des produits utiles et leurs usages précis demeurait un mystère. Certaines poteries portaient des inscriptions des substances contenues et à quelle partie du corps elles étaient destinées. Des examens par chromatographie (cliquer) et spectrométrie de masse (cliquer) ont ainsi pu permettre de découvrir des mélanges spécifiques d’huiles et de résines antiseptiques pour l’embaumement de la tête et l’imprégnation des bandelettes. Le compte-rendu de ces examens a fait l’objet d’une publication dans la revue Nature (cliquer).

Egypte embaumement morts momies
Vases canopes de l’atelier de Saqqara
Photo Ahram Online

Précisons que la XXVIème dynastie (664-525 av. J-C) pendant lequel fonctionne cet atelier, correspond à une période de déclin de l’Égypte dans un temps qui voit poindre l’influence de l’empire assyrien et perse.

Les chercheurs ont ainsi pu identifier les substances contenues dans 31 de ces poteries et dont l’origine était plus ou moins lointaine. Par exemple de la gomme-résine d’élimi, une plante aromatique de la famille des Burseracerae ( Boswellia) originaire d‘Éthiopie, de la cire d’abeille, de la résine de Pistacia lentisque, autre plante aromatique qui produit le mastic de Chios bien connu et utilisé au Proche-Orient comme cicatrisant.

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Antiu et Sefet, huiles et résines de l’au-delà

La traduction des inscriptions sur le ventre des poteries a aussi permis de retrouver par l’analyse critique des termes des substances connues sous les noms d’Antiu et de Sefet. Le nom de la myrrhe a longtemps été suggéré pour définir ces produits. Or les découvertes de Saqqara apportent un éclairage nouveau. En effet, les indications portées sur les poteries indiquent que l’antiu pouvait être utilisé seul sous forme sèche ou mélangé au sefet. L’étude publiée par Nature (voir supra) précise que ces résines pouvaient aussi être combinées avec de la graisse animale. Cela suggère fortement que l’antiu est un produit fabriqué à dessein par les embaumeurs et dont la préparation implique la transformation d’au moins deux huiles ou goudrons de conifères différents, puis leur mélange avec de la graisse animale. Dans le contexte de Saqqara, on peut exclure la traduction d’antiu en tant que matière première telle que la myrrhe.

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Masque mortuaire découvert à Saqqara en 2016. Amr Nabil/AP

En égyptologie, le sefet est généralement décrit comme une huile non identifiée. C’est l’une des « 7 huiles sacrées » utilisées pour l’embaumement et le rituel de « l’ouverture de la bouche ». Ainsi dans trois récipients de l’atelier d’embaumement portant l’étiquette « sefet », des marqueurs de graisses animales, qui étaient mélangées dans deux de ces récipients avec de l’huile ou du goudron de genévrier/cyprès ont été identifiés, c’est ce que les chercheurs révèlent dans l’étude publiée dans Nature.

Un autre récipient contenait les marqueurs de graisses de ruminants (adipeux ou laitiers) avec de l’élémi. Ceci indique que, au moins à Saqqara, le sefet était un onguent parfumé (formule à base de graisse) avec des additifs végétaux, en particulier des sous-produits de Cupressaceae ou de Burseraceae. Il est possible que l’onguent parfumé sefet ait également été préparé avec d’autres huiles végétales. De plus, sa composition a pu évoluer au cours du temps.

La mondialisation des échanges déjà

La majorité des substances utilisées dans les poteries de l’atelier de Saqqara étaient importées, et venaient souvent de très loin. Le contexte de Saqqara ne donne qu’un aperçu des systèmes de commerce et d’échange nécessaires au fonctionnement d’une industrie d’embaumement complète. Ces résultats confirment le schéma connu de la diversification et de la complexification des pratiques d’embaumement après environ 1000 avant J.-C.

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Poteries de l’atelier d’embaumement de Saqqara
Crédit photo M. Abdelghaffar

L’origine des différentes substances fournit la preuve d’un réseau quasi mondial. À tel exemple, le bitume identifié à Saqqara provenait très probablement de la mer Morte, l’asphalte de cette région était on le savait exporté vers l’Égypte au cours du premier millénaire avant J.-C. et spécifiquement pour la momification.

Les pistachiers produisant de grandes quantités de résine (Pistacia lentiscus ou Pistacia terebinthus), les oliviers, les cèdres, les genévriers et les cyprès sont absents d’Égypte mais poussent à différents endroits du bassin méditerranéen . Les sous-produits associés étaient également importés, très probablement du Levant par exemple le cèdre du Liban qui disposait d’importants réseaux commerciaux avec l’Égypte.

Bien que l’intensification des réseaux commerciaux et des échanges interculturels soit bien documentée pour les régions du Bassin méditerranéen, l’atelier de Saqqara fournit des preuves supplémentaires de l’existence de réseaux commerciaux à longue distance via des routes très actives d’échanges entre l’Inde et la Méditerranée, et qui manifestement semblent exister depuis le IIe millénaire av. J.-C. Cela est particulièrement vrai pour les résines, qui sont endémiques aux forêts tropicales. Les espèces de Canarium, qui produisent l’élémi, sont en effet réparties dans les forêts tropicales d’Asie et d’Afrique tandis que les dammars ( une résine dure, de couleur ambre clair qui est utilisée pour la conservation des préparations microscopiques) sont récoltés sur des arbres de la famille des Dipterocarpaceae qui poussent exclusivement dans les forêts tropicales asiatiques.

Il est donc possible que l‘élémi soit arrivé en Égypte par le même chemin que le dammar. Par conséquent, les services d’embaumement et funéraires de l’atelier de Saqqara du VIIe siècle avant J.-C. ont maintenu active la demande de ces biomatériaux en provenance de contrées lointaines et ont ainsi favorisé l’essor des réseaux commerciaux internationaux reliant l’Égypte à la Méditerranée orientale en plus des forêts tropicales asiatiques et peut-être africaines. C’est précisément ce qu’a révélé l’étude publiée dans Nature et qui détaille tout l’ensemble des puissants moyens modernes d’analyse mis en oeuvre par la NRC du Caire dans les laboratoires de Gizeh à l’occasion de cette recherche.

Lors de la conférence de presse donnée le 31 janvier dernier, il fut aussi précisé la méthodologie et les pratiques qu’utilisaient les embaumeurs du temps de cette XXVIème dynastie (664 à 525 av. J-C). On a ainsi appris que dans l’atelier de thanatopraxie (pour parler moderne) une pièce était réservée pour nettoyer et purifier les corps des morts et était sanctuarisée, tandis qu’une autre servait de réserve pour les produits et de salle d’embaumement à proprement dit. Certains des produits aromatiques utilisés n’avaient en outre pour autre fonction que de parfumer la pièce afin de contrer les odeurs fétides issues de la décomposition des corps. On reste tout à la fois admiratifs et tétanisés.

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Article initialement publié le 3/02/2023

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