Cela fait bien longtemps que je n’ai pas lu un roman aussi loufoque. J’ai bien écrit «loufoque », pas drôle. Tout blanc de Frédéric Ploussard publié aux éditions HéloÏse d’Ormesson n’est pas un livre d’humour, il y en a, mais pas que, pour ne pas dire bien plus ! Ce n’est pas un roman «surréaliste » non plus, ça l’est, mais pas que, pour ne pas dire bien plus! Ce plus : c’est le « loufoque », cette alchimie entre l’improbable, l’impossible, l’irréaliste mais avec une part de « de-fait-qu’est-ce-que-j’aimerais-que-ce-soit-une-histoire-vraie » et de l’autre un sens de l’humour plus qu’évident.
A la lecture de Tout blanc, que de souvenirs d’extraordinaires, que de moments passés un livre à la main. Comment ne pas penser, même si sur le fond les histoires sont totalement différentes, à Aimé de son concierge d’Eugène Chavette, à l’œuvre de Ponson du Terrail, à l’immense production des « feuilletonistes » du XIXè siècle qui ont fait les beaux jours de la presse écrite, pour ne pas nommer le maître absolu du loufoque, l’inégalé Pierre Dac. Je vous assure que j’ai pensé à ces grands ancêtres qui ont enchanté ma vie de lecteur que d’aucuns trouvent quelque peu compulsif.
L’histoire, oh l’histoire est simple… ! Une sorte de savant fou trouve le moyen à partir d’une bactérie sous-marine de produire de la neige artificielle qui ne fond qu’à 36 degrés, ce qui devrait pouvoir relancer une petite station des Alpes, victime du réchauffement climatique, et dont le maire est un homme que les scrupules n’étouffent pas.
Mais le premier essai tourne au désastre, et au lieu d’une petite chute de neige dans une vallée perdue et non moins condamnée suite à la pollution due à une ancienne usine de batteries, c’est la terre entière (à l’exception d’un petit archipel dans le Pacifique) qui est enrobée d’une couche de plusieurs dizaines de mètres de neige qui ne fond pas. S’ensuivent des situations parfois irréalistes, parfois tendres, toujours loufoques.
Si vous appréciez les savants fous (Tapinski) qui n’ont aucun scrupule quant aux conséquences de leurs inventions et se permettant un « pourcentage de pertes » humaines quant aux effets de leurs trouvailles (non seulement la neige de Tapinski ne fond pas, mais tue aussi certaines personnes par le seul fait de son absorption), des individus qui sont aussi des romantiques dans l’âme (il suffit de voir son attitude avec les cendres de son père ou de ses rapports avec la gente féminine); des maires totalement vénaux, sans scrupules, Grodidier en effet ne pensant qu’à son image et à l’argent et qui plus est n’hésitant pas à éliminer physiquement tout opposant, il ne fait que suivre la politique de son prédécesseur qui était aussi son père) ; des tueurs à gage : ici Salvetat, un Finnois consciencieux, méticuleux, aimant le travail bien fait, mais aussi quelque peu romantique, très attaché à son épouse restée en Finlande avec leur fils qu’il n’a pas vu depuis plus d’une douzaine d’années ; des chefs d’entreprise (Arsène) cherchant à relancer leur production pour ne pas faire faillite, (c’est un homme au grand cœur qui est complètement dépassé par les événements dont il est plus ou moins l’investigateur) ; son épouse Mélina, une sorte de bourgeoise mondaine qui finit par révéler sa vraie nature de battante ; des jeunes femmes fuyant le domicile conjugal suite à des violences conjugales quotidiennes (Blanche) et qui veulent oublier leur douloureux passé dans ce coin perdu des Alpes et retrouver leur frère, débile léger adorant les chevaux en particulier et les animaux en général (sauf les félins) ; des éleveurs de chien (Anthony) quelque peu bourrus, à la logorrhée verbale plus qu’importante, mais faisant preuve d’une totale résilience ; des patrons pêcheurs (Gilles) essentiellement contrebandiers qui souhaitent réparer les conséquences de la violence envers leur fils ; des jeunes femmes (Julie) totalement dépassées par les événements mais qui aiment le jaune ; des astronautes français maladroits (Matthias Lescut), amateurs et joueurs d’accordéon, il est le seul survivant de la station spatiale et ainsi devient le spectateur privilégié de la transformation de la terre ; si vous appréciez les grand-mères fondatrices d’une secte d’une violence inouïe, des chiens (Dep-Dogs) permettant de soigner les dépressions, des Présidentes de la République tueuses (dans toute l’acceptation du terme) et j’en passe…, alors oui, oui, vous apprécierez tout particulièrement Tout blanc !
Bon, nous le savons depuis longtemps : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », mais aussi, surtout, quand on touche au climat (et en cette époque de dérèglement de celui-ci, nous en avons de plus en plus la preuve au quotidien), les conséquences pour l’humanité peuvent être dramatiques. Il y a aussi tout cela dans ce roman.
Bientôt l’automne et la grisaille de l’hiver. Alors, en cette période qui ne pousse pas particulièrement à l’optimisme et à la détente, n’importe quel (bon) médecin psychiatre va vous prescrire la lecture en urgence de Tout blanc, car, hélas, la race des Dep-Dogs n’existe pas encore!
Tout blanc
Frédéric Ploussard
éditions Héloïse d’Ormesson. 20€
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Illustration de l’entête: photo Maximilian Brundl/ Facebook