L’exposition, Modigliani : Un peintre et son marchand, organisée actuellement à Paris au Musée de l’Orangerie du 20-09-2023 au 15-01-2024, s’attache à explorer la manière dont les liens entre les deux hommes peuvent éclairer la carrière de l’artiste et sa renommée posthume.
Amedeo Modigliani (1884-1920), est né à Livourne dans une famille bourgeoise désargentée d’origine juive sépharade. Il a reçu une éducation très complète autant sur le plan littéraire qu’artistique auprès de sa mère qui le soutient dans sa vocation d’artiste et de son grand-père avec lequel il découvre les musées. À la fin de ses études d’art en Toscane puis à Venise, il arrive à Paris en 1906 à l’âge de 22ans attiré par cette capitale des avant-gardes de l’époque. Dans le contexte bouillonnant de l’École de Paris où il retrouve d’autres peintres émigrés venus de toute l’Europe, il commence par peindre, d’abord influencé par Toulouse Lautrec, s’inspire de Cézanne, du cubisme et de la palette bleue de Picasso.
Les figures de ses proches qui peuplent alors ses tableaux dressent un étonnant panorama des personnalités de l’époque : Constantin Brancusi, Chaïm Soutine, Moïse Kisling, Juan Gris, Jacques Lipchitz, Jean Cocteau, Léopold Survage, Pablo Picasso comme nous venons d’en faire état mais aussi de Diego Rivera, Max Jacob, Béatrice Hastings… et d’autres moins connus, voire anonymes.
À partir de 1909, soutenu et conseillé par Constantin Brancusi qui lui a été présenté par Paul Alexandre, il se met à la sculpture. Il réalise vingt-cinq sculptures en pierre, essentiellement des têtes de femme évoquant les arts premiers que l’Occident découvre.
Après le départ au front de son premier mécène Paul Alexandre, en 1914, avec lequel il s’était lié d’amitié, Modigliani abandonne la sculpture, trop dangereuse pour sa santé du fait notamment de problèmes pulmonaires causés par les nombreuses maladies de son enfance ayant entrainées une tuberculose. Il se consacre au dessin et à la peinture de portraits de ses proches dans lesquels on retrouve l’aspect stylisé sculptural de sa sculpture.
Par l’entremise du poète Max Jacob il rencontre Paul Guillaume (1891-1934), un collectionneur d’art et l’un des découvreurs de l’art nègre qui, sur les conseils de son ami Apollinaire, a ouvert en février 1914 sa propre galerie au 6 rue de Miromesnil. Ainsi deviendra-t-il le galeriste de Modigliani à la fin de l’année 1915 et son principal acheteur jusqu’en 1916.
N’ayant pas été réformés pour des raisons de santé, Modigliani comme Guillaume ne prennent pas part au premier conflit mondial. Ils restent à Paris et fréquentent les mêmes milieux artistiques et littéraires de Montmartre et de Montparnasse dont ils deviennent des témoins privilégiés.
Les deux hommes partagent le même intérêt pour la poésie et les arts primitifs dont ils ont vu les œuvres au Louvre et au Musée d’Ethnographie du Trocadéro. Paul Guillaume loue un atelier pour Modigliani, rue Ravignan à Paris. Sur les clichés photographiques présentés dans la première salle de l’exposition on voit ainsi les deux hommes prendre la pose aux côtés des œuvres de l’artiste accrochées au mur.
Outre les cinq peintures de Modigliani présentes aujourd’hui dans la collection du musée de l’Orangerie, on recense plus d’une centaine de toiles réputées être passées par les mains de Paul Guillaume ainsi qu’une cinquantaine de dessins et une douzaine de sculptures. Ce nombre indique à la fois l’implication du marchand dans la promotion de l’artiste ainsi que son goût personnel pour ses œuvres. Trois portraits à l’huile ainsi que deux dessins sont réunis dans la première salle de l’exposition parmi lesquels un de Paul Guillaume daté de 1916 dans lequel on retrouve le style allongé des dessins préparatoires aux sculptures.
À partir de 1916 avec le soutien de son nouveau marchand d’art, Léopold Zborowski, Modigliani se remet à peindre des nus féminins pour certains acheteurs masculins. Ils feront scandale lors d’une exposition personnelle de Modigliani et devront être retirés pour cause d’indécence, notamment à cause des poils pubiens dont les nus étaient traditionnellement dépourvus. Paul Guillaume en acquit deux qu’il vendit après la mort de l’artiste.
À partir de mars 1918, la santé du peintre se dégrade au point d’amener son nouveau marchand à l’installer dans le sud de la France. C’est à Nice qu’il réalisera certaines de ses œuvres les plus fortes, peignant des portraits d’enfants, de domestiques et d’autres anonymes locaux particulièrement émouvants comme ce Portrait de femme dit aussi La Blouse rose, en 1919 dont la pose des mains évoque certains portraits de Cézanne auquel Modigliani voue une profonde admiration. Certaines de ces toiles seront achetées et vendues par le fidèle Paul Guillaume venu rejoindre le peintre à Nice peu de temps avant sa mort, ainsi qu’en atteste une photographie sur carte postale datée 1918-1919 où l’on voit les deux hommes marcher sur la plage, Modigliani flottant dans un pardessus devenu trop grand. Il mourra quelques mois plus tard à Paris, le 24 janvier 1920, emporté par une méningite tuberculeuse.
Le mérite de cette exposition, outre l’occasion qui nous est donnée de revoir ou de découvrir certaines œuvres de Modigliani, est de nous montrer, à travers les œuvres du peintre, les photos, les archives et les documents ici rassemblés, la relation privilégiée qu’entretenaient les deux hommes. Mais aussi le rôle majeur de Paul Guillaume dans la diffusion de l’oeuvre de Modigliani sur le marché de l’art, en France comme aux Etats-Unis, jusqu’à son décès en 1934, où plus d’une centaine de toiles ainsi qu’une cinquantaine de dessins et une dizaine de sculptures de l’artiste seraient passés par les mains du marchand.
Exposition: Modigliani, un peintre et son marchand
jusqu’au 15 janvier 2024
Musée de l’Orangerie (Jardin des Tuileries, Paris)
Commissaires d’exposition
Cécile Girardeau, conservatrice au musée de l’Orangerie
Simonetta Fraquelli, commissaire indépendante et historienne de l’art
Illustration de l’entête: Amadeo Modigliani, Nu couché, 1917-1918, Huile sur toile, Italie, Turin Pinacoteca Agnelli
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