Qui ne voit le monde se transformer risque devenir un vieil homme aigri et hargneux sans descendance… non ce n ‘est point un proverbe chinois ni une maxime bantou, c’est ce qui risque d’arriver à ceux qui ici en Europe et en France se confortent dans des idées mortes et se refusent à ouvrir les yeux et remettre en cause leurs certitudes avachies.
Tout change, même en Chine, surtout en Chine, et à une vitesse stupéfiante ! Les conformismes, les clichés bien rodés sur cet immense pays, les identités approximatives, les banalités éculées, les rodomontades sectaires des Occidentaux sont de plus en plus à ranger dans le panier des vieilleries et des lieux communs.
Que l’on est loin, à des espaces-lumière, de la Chine de Mao 毛泽东, malgré le culte toujours donné par les autorités au « Grand Timonier » ! La Chine qui talonne les États Unis pour la première place au rang des nations tout doucement mais sûrement, enfante d’une nouvelle société, d’un nouvel art de vivre. Sans tomber dans une admiration béate et candide ( il y a encore tant à faire, le pays est très compliqué et le mot démocratie ne fait guère partie du vade-mecum politique et intellectuel local, ne nous leurrons point !), force est bien cependant d’observer les dynamiques à l’oeuvre.
Le marché de l’art en Chine
Pékin est devenu au fil du temps, la place incontournable de l’art contemporain et ce faisant du marché de l’art (Shanghaï et Hong Kong aussi). A telle preuve, les grandes maisons de couture françaises telles Dior, Yves Saint-Laurent ou Chanel qui s’exposent là dans des musées pour le plus grand bonheur extatique des Pékinois admiratifs. Que dire aussi des maisons de vente aux enchères internationales Christie’s, Sotheby’s, Artcurial qui à Pékin, Shanghaï ont à leur tour ouvert non point des concessions, (le temps est bien loin et passé de mode) mais des filiales de vente. Nous ne manquerons pas d’ailleurs de mentionner les maisons de vente chinoises telles Poly Auction ou Infinity Auctions International qui s’installent plus que sérieusement dans le paysage du commerce de l’art et comptent.
Les chiffres d’affaire sont époustouflants. En 3 ans par exemple de 2009 à 2011 la croissance dans ce secteur a explosé atteignant le chiffre astronomique de 500% . En 2016 le chiffre d ‘affaire des maisons d’enchères en Chine a atteint 4,8 milliards de dollars (¥33,4 milliards), se plaçant ainsi à la toute première place du marché mondial (sources: Global Chinese Art market report 2016/ Arnet ).
Pékin vitrine de la Chine
Lors d’une conférence de presse organisée le 4 avril dernier, Zhao Lei, haut responsable de la ville en charge des secteurs culturels, a présenté le schéma directeur de développement urbain et d’évaluation à venir. Pas moins de 242 usines désaffectées à réhabiliter pour une surface dépassant 25 millions de mètres carrés, 109 usines ont déjà été tansformées et la rénovation est dores et déjà en cours pour 26 autres, le tout bien entendu en préservant la qualité de vie ( Pékin est une ville très polluée, l’heure est venue pour les politiques de préservation de l’environnement ).
Le modèle de référence c’est le district d’art 798 dans l’arrondissement de Chaoyang 朝阳区 à l’est de Pékin. Les Jeux Olympiques de Pékin de 2008 ont servi de déclencheur. Il s’agissait pour les autorités alors de dissimuler des quartiers laissés à l’abandon et souvent de raser purement et sûrement (et parfois manu militari) des ensembles de maisons, des rues entières pour restructurer une ville, vitrine d’un empire. C’est ainsi que beaucoup de hutong (en chinois : 胡同) petites rues faites de maisons pleines de charmes, le Pékin d’antan, disparurent sous les assauts des bulldozers (version chinoise de Main basse sur la ville !)
798艺术区 le district d ‘art
Nombre d ‘artistes s’installèrent de façon plus ou moins anarchique dans ce quartier 798, l’habitat y était bon marché et l’endroit bien desservi en moyens de transport, ils occupèrent des locaux à usage industriel abandonnés. Un quartier qui est devenu assez rapidement la coqueluche de la création artistique contemporaine chinoise.
Cela n ‘échappa d ailleurs pas à des galeristes internationaux qui ouvrirent sur place des espaces d ‘exposition tel UCCA fondé en 2007 par Guy et Myriam Ullens de Schooten et que nous avions présenté dans Wukali.
Le district 798, ce fut tout à la fois une zone industrielle grise avec des entrepôts, une usine d’armement désaffectée, des réseaux de tuyauteries de gaz à l’air libre et des ateliers de chaufferie mais aussi des auditoriums et des immeubles de bureaux construits entre les années 1950 et 1990 avec l’aide de la RDA . Aujourd’hui ce quartier a bien changé d’allure et est très apprécié des Pékinois. Il est devenu à la mode avec bistro à chats, cafés et restaurants, hôtels et cinémas, boutiques fashionista, librairies et bien entendu galeries d’art, ateliers d ‘artistes et salles d ‘exposition. Des lieux de rencontre cosmopolites tels Xiaowan Canteen et autres enseignes comme le restaurant Andrews ou le bien connu Dali Courtyard dans le quartier de Nanluoguxiang où vous pourrez déguster les spécialités gastronomiques du Yunnan. Bref un mélange très dans le vent de culture urbaine. Des festivals de toutes sortes y sont désormais régulièrement organisés et il est du plus grand chic désormais pour les autorités pékinoises de faire visiter ce district aux dirigeants politiques étrangers en visite officielle dans la capitale.
Circuler dans le Quartier 798 c’est tout à la fois faire un tour dans passé du pays et envisager l’avenir. On ne peut certes point ignorer l’époque maoïste et de grandes statues en bronze du réalisme socialiste le plus pur sont là pour nous le rappeler. Ailleurs, ce sont des cohortes de soldats alignés le long des ruelles qui s’entrecoupent et qui évoquent tout à la fois les guerriers Tang certes mais aussi ont une allure carnavalesque et ironique qui défie la caste militaire. On y voit aussi des équipements industriels détournés de leur fonction d’usage, des tuyauteries revivre dans une identité décorative habillée de graphes colorés.
Un appel d’air souffle dans ce quartier. Liberté, autonomie de l’individu, peut-être, enfin dans ces ateliers d’artistes ! Création artistique, avec ce qui convient de dosages certes parfois mâtinés d’incongruité, de provocation ou d’impudicité, d’érotisme turgescent, d’aucuns diraient licence mais qu’importe, l’essentiel est bel et bien la liberté d’expression qui fraie tant que faire se peut son chemin ! Les carcans idéologiques confrontés à la mondialisation perdent quelque peu de leur alacrité, n’oublions pas Ai Weiwei. La création artistique s’incarne confusément dans des projets plaçant la liberté de création et d’expression de l’artiste au centre du dispositif. On est aux antipodes de la Révolution culturelle et de la doxa communiste. Il ne faut cependant pas être naïf et rester attentif, l’autorité en Chine a un sens , elle veille, surveille, et la coercition étatique peut se révéler très dure. D’une certaine manière, le fond dévoyé de de la culture confucianiste revisité par une caste politique au pouvoir et dominante ( voir l’article paru dans WUKALI sur les libraires et les éditeurs, et les enlèvements à Hong Kong).
D’autres secteurs de Pékin voient leur image changer, celui de Caochangdi rendu notamment célèbre par Ai Weiwei qui y a construit des maisons et ateliers faits de briques en tous points pareils aux Hutong rasés lors de «la rénovation» de Pékin pour les J.O ou encore l’installation du Minsheng Art Museum de Shanghai 北京民生现代美术馆 délocalisé près du centre du pouvoir sur Jiuxianqiao Road, et installé dans une ancienne usine électronique de 35.000 m2 de surface réhabilitée par le Studio d’architecture Pei-Zhu 朱锫建筑设计事务所
Depuis l’écriture de cet article publié dans WUKALI en 2018, les choses ont évolué et Ai Wei Wei a été contraint de quitter son pays et de s’exiler. Il vit désormais en Europe, au Portugal où il a élu domicile
Le chantier de rénovation et d’évaluation décidée par la Ville de Pékin pour d’autres espaces fonciers et friches industrielles de la capitale à convertir et à aménager sera à l’image de la taille du pays, immense !
Pierre-Alain Lévy
et Bian Jingzhao 边景昭 correspondant de Wukali en Chine
Article initialement publié dans WUKALI le 10/04/2018
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