Accueil Livres, Arts, ScènesExpositions & Histoire de l'art À Naples en compagnie d’Artemisia Gentileschi et sous la plume de François de Bernard

À Naples en compagnie d’Artemisia Gentileschi et sous la plume de François de Bernard

par Pierre-Alain Lévy

Histoire des temps et histoire tout court, Naples est depuis fort longtemps au coeur des passions françaises tout comme nombre de ses villes soeurs de la péninsule italienne. Une émotion, un art de vivre, une fragilité ( le Vésuve n’est pas loin), un sens lumineux de la beauté et de l’art bien entendu, une population dense aux réactions parfois fébriles, des alliances politiques complexes, et bien entendu un foyer artistique bouillonnant où se croisent peintres et sculpteurs.

On ne compte plus ces auteurs français qui ont fait le voyage transalpin, une tradition ancrée, et qui furent éblouis par ce qu’ils découvrirent comme François Ier bien avant eux découvrant Pavie. Comme Stendhal, Anatole France (Le Lys rouge) et plus près de nous Dominique Fernandez, François de Bernard, l’auteur de La Chartreuse de Naples se rattache à cette filiation, à cet éblouissement.

Lucrèce. Artemisia Gentileschi. Vers 1650.
Huile sur toile, collection particulière

Son roman, a pour héroïne Artemisia Gentileschi (1593-1653). Cette peintre, cette femme-peintre, pendant longtemps dans l’enfer de l’histoire de l’art a reconquis à juste titre ses quartiers de noblesse, tout comme au demeurant Caravage et les Caravagesques, école à laquelle elle se rattache. Notons l’importance de la littérature et de ses combats. Ainsi Dominique Fernandez en 2002 avait publié La Course à l’abime, un roman inspiré par la vie tumultueuse et libre du Caravage, de ses démêlés avec les puissants et la justice ou plus savoureux encore de ses frasques amoureuses avec des gitons de passage ou des éphèbes lascifs et libertins qui lui servirent de modèles.

Artemisia, telle l’auteur la nomme affectueusement, est «fille de ». Son père Orazio Gentileschi est un peintre renommé. Un jour, en 1611 Artemisia est violée par un ami de son père, le peintre Agostino Tassi. Quelques mois plus tard, fait rare à l’époque, Orazio Gentileschi assigne en justice le violeur de sa fille. Ces événements ne manqueront pas d’avoir un retentissement dans la vie et l’oeuvre d’Artemisia. Son personnage de femme libre et indépendante, femme-artiste dans un milieu d’hommes est établi. Nous avons consacré dans WUKALI, un dossier exhaustif sur sa vie et son oeuvre.

Olécio partenaire de Wukali

François de Bernard, situe l’action de son roman à Naples au début des années 1630 où Artemisia a effectivement vécu et le narrateur, le personnage pivot du récit, est …un tableau, ou plus exactement une esquisse du Tintoret en vue d’une Annonciation, Sposalizio della Vergine. Cette esquisse fait l’objet de soins, possède une véritable personnalité, un ton et un caractère et s’exprime à la première personne, une humanisation en quelque sorte, une référence, une permanence et sert de médiateur permanent.

Cosimo Fanzago. (Clusone 1591 – Naples 1678). St Jérôme en méditation

L’on est saisi par l’élégance et le raffinement de l’écriture, lyrique, dense, sensuelle, charnelle, bavarde, curieuse, fluide et passionnée, par un vocabulaire choisi et abondant. Par ailleurs un rythme, un style, une plume cultivée, du talent et François de Bernard en profite pour glisser toute sa passion, toute sa connaissance experte de l’histoire de l’art de Naples, l’ancienne Parthénope, en évoquant tous ces peintres qui ont fécondé la renommée de cette enclave espagnole gouvernée par un vice-roi.

L’on peut cependant regretter ces incises anachroniques de mots et d’expressions, des jeux de mots douteux qui gâchent le plaisir. Il en va de même quand on cite Shakespeare, Newton, la bande des quatre ou la Rolls Royce Silver Shadow et l’on sourit quand on évoque un philosophe qui a pour nom Pietro Dacco ! À croire que certaines pages ont été écrites à deux mains, sémiologie oblige !

La Chartreuse de Naples c’est une sorte de roman picaresque, d’aventures et d’actions, avec ce qu’il faut de spadassins, d’affidés près à tuer dans l’obscurité de la nuit du quartier du Pausilippe, obéissant à un pouvoir mystérieux qui manipule dans l’ombre et corrompt. Ce sont des religieuses les Clarisses qui hébergent dans leur couvent Artemisia et ses amies. C’est l’histoire de l’art en ligne directe. C’est de la chair sur des os. C’est une évocation de l’Inquisition et des tourments qu’elle infligeait aux Napolitains, «une population insoumise aux moeurs déliés, aux rites païens, d’une insouciance scandaleuse et d’une gaité inacceptable» pour asseoir son autorité. L’histoire se déroule sur le temps long et l’on assiste à l’éruption du Vésuve en 1631. C’est aussi raconter la peste qui sévit amenée par les bateaux qui accostaient au port.

Le port de Parthénope se trouva subitement envahi par un étrange colloque bariolé de navires provenant des contrées les plus lointaines ce qui les amena à se serrer au plus près les uns des autres mais aussi à déverser une foule de marins ivres de femmes, de vin et de nourriture au centre de la ville. Ce n’était pas moins de trois galions espagnols chargés de métaux précieux et de marchandises exotiques venant des côtes d’Afrique de l’Ouest depuis le Sénégal et l’île de Gorée qui avaient ensuite fait escale à Essaouira, Tanger, Oran avant de nous rejoindre. Mais aussi cinq frégates arrivant de Syrie, de Smyrne, de Constantinople, d’Alexandrie et de Tunis toutes encombrées de matières, tissus, cuirs, objets d’art, verrerie, épices les plus riches et les plus divers (…)
Ce qui devait arriver arriva donc, sans que quiconque bien sûr ne puisse en déceler l’origine exacte, de sorte que lorsque l’on prit conscience de la vague qui déferlait, il était déjà bien trop tard pour l’endiguer. Ce fut d’abord une poignée de matelots qui expirèrent sur les quais, pris de convulsions, de vomissements, d’étouffements, submergés par des baves et des plaies ignobles après des libations effrénées auxquelles on attribuait leur trépas sans même songer à les ausculter, à examiner leurs corps et les autres signes qui auraient pu mettre sur la voie… Mais tant que ce que n’étaient des marins de bas étage, armateurs et capitaines s’empressèrent de faire disparaître leurs corps et d’oublier ces fâcheux événements, sans doute imputables au relâchement des moeurs et qui risquaient de troubler la paix des chalands et de l’administration royale.
P108 et 109

L’auteur Pierre de Bernard est d’évidence amoureux de Naples et de son peuple, à cet égard les pages qu’il consacre à la révolte de Masaniello de 1647 sont particulièrement touchantes, quand un jeune pêcheur napolitain prit la tête d’une révolte contre l’augmentation voulue par la Vice-Royauté espagnole des taxes sur la nourriture et devint un éphémère Roi de Naples avant d’être sauvagement assassiné par des sbires à la solde du pouvoir

Les caractéristiques des œuvres et des artistes signalés restent sobres et rendent vivants les tableaux, les chefs d’oeuvre de Naples (comme l’on a d’ailleurs pu le voir récemment à Paris au Louvre dans l’exposition consacrée au musée de Capodimonte). Nul doute un roman vif et bien mené avec une intrigue et des personnages hauts en couleurs dans un contexte historique précis au coeur du 17è siècle.

Une fiction romanesque vivante rédigée avec panache, style et passion. Tout au long de ce livre, c’est un voyage érudit à travers l’histoire de l’art de Naples, la vie des peintres, la rencontre et la découverte des chefs d’œuvre de la peinture, et des références très pointues sur les artistes napolitains (ou ayant vécu) dans cette ville comme Stanzione, Battistello Caraccollio (l’héritier putatif du Caravage), Cesare Fracanzano, Paolo Domenico Finoglia, Cosimo Fanzago le sculpteur et architecte, ou l’espagnol Ribera par exemple suscitent notre admiration. C’est une mine d’information au coeur d’un roman allègre!

La Chartreuse de Naples
François de Bernard

éditions EHO. 21€

Voir notre dossier exhaustif consacré à Artémisia Gentileschi Cliquer

Illustration de l’entête: Artemisia Gentileschi. Suzanne et les vieillards.vers 1610. Détail. Huile sur toile 170/119 cm. Château Weinsenstein. RFA.
Vous souhaitez réagir à cet article
Peut-être même nous faire part de votre actualité ou nous proposer des textes pour publication dans WUKALI 
redaction@wukali.com 

Pour nous retrouver facilement vous pouvez enregistrer WUKALI dans vos favoris 
Pour nous soutenir, rien de mieux que de relayer l’article auprès de vos amis sur vos réseaux sociaux😇 
Notre meilleure publicité c’est VOUS !

Ces articles peuvent aussi vous intéresser