An od to Amerindian culture in North Canada

Prenez une heure, voire une heure et demie, faites totalement le vide autour de vous, installez-vous dans l’endroit où vous vous sentez le mieux pour lire : votre fauteuil, votre canapé, votre baignoire, votre lit, peu importe. Surtout respectez, si vous en avez, les rituels habituels pour vous détendre, ouvrir votre esprit (cigare, cigarettes, whisky, verre d’eau, gâteau au chocolat, etc., les choix sont trop nombreux pour être énumérés). Bien détendu, certain de ne pas être dérangé, vous prenez Kuessipan le tout premier roman de Naomi Fontaine et vous lisez. Voilà tout est dit et maintenant je peux arrêter d’écrire.

Je peux arrêter car je n’ai rien à dire ou j’ai trop à dire. Parfois le silence est mille fois plus expressif que les mots.

Olécio partenaire de Wukali

Tout au plus attendez vous à recevoir un grand coup en votre âme. Ce livre inclassable ne peut vous laisser insensible. Ce n’est pas un roman, ce ne sont pas des mémoires, ce n’est pas de l’éthnologie. Un poème, un magnifique poème en prose, je vous l’accorde. Une écriture minimaliste, c’est certain. Moi qui suis très hermétique à ce style, je reconnais que Naomi Fontaine vient de me le faire apprécier.

Kuessipan est une série de très très courts chapitres, avec une écriture serrée, des phrases courtes, des mots, soit mais sans un de trop, juste ce qu’il faut. Des petits chapitres mais qui se suffisent, qui chacun racontent non une histoire mais un univers, qui, mis bout-à-bout vous livrent une histoire ou plus exactement vous décrivent l’univers, physique, mental, philosophique des amérindiens innus, là haut, sur la baie, au nord du Canada. Et cet univers est perçue du côtés des femmes, des femmes qui transmettent cette culture séculaire à travers leurs entrailles, à travers les innombrables enfants qu’elles mettent au monde pour que leur culture perdure, pour que leurs ancêtres continuent à vivre à travers eux.

Chaque chapitre se termine par une phrase, souvent très courte qui est un résumé brillantissime de celui-ci, qui parfois représente une véritable claque pour le lecteur. Une claque salutaire qui le fait sortir de la torpeur de son tain-train quotidien. « On ne voit dans la nuit que ce que les mains peuvent toucher » ou encore « Se faire bercer » ou bien « ils veulent fuir, là où il n’y a pas de barricades  », sont des phrases fortes, mais remises dans le contexte du chapitre qu’elles closent sont belles, fortes, voire dérangeantes.

En quelques pages, Naomi Fontaine nous décrit une société, une culture d’une grande richesse qui essaie de perdurer dans les réserves où les blancs ont parqué les derniers dépositaires. Une culture ancestrale « ce qu’il sait, il l’a apprit de son grand-père » qui réussit à s’adapter à la « modernité ». Chaque dépositaire de celle-ci ne veut pas la renier, et surtout l’auteur qui va encore plus loin, elle veut la faire partager, en quelque sorte pour que l’on puisse comprendre qui elle est, qui ils sont : « ce que j’aurai aimé partager, c’est cette indicible fierté d’être moi, entièrement moi, sans maquillage et sans parfum, dans cet horizon de bois et de blancheur  ». Tout est dit, elle est elle sans artifices et dans une nature qui n’a pas connu la main de l’homme. Cette nature si présente dans la culture des innus, dure mais généreuse pour ceux qui savent vivre à son rythme.

Il n’y a rien à dire de plus, si ce n’est qu’il faut lire Kuessipan, c’est d’une écriture d’une rare beauté sur un thème magnifique.

Émile Cougut


Kuessipan

Naomi Fontaine

Éditions Le Serpent à plumes. 15€


WUKALI 24/09/2015

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