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Un Van Gogh pour les uns, pas du tout pour les autres

par Pierre-Alain Lévy

On pourrait l’écrire en néerlandais, is dit een schilderij van van gogh, ja of nee? Est-ce un portrait peint par van Gogh, oui ou non ? Telle est bel et bien la controverse née aux USA entre un groupe de farouches défenseurs de cette séduisante hypothèse conduit par le groupe LMI contre le musée Van Gogh d’Amsterdam qui à l’inverse ne voit pas un instant une authentification quelconque avec Van Gogh.

L’histoire récente de ce tableau est amusante et n’est pas sans nous faire penser à un soi-disant Léonard de Vinci le Salvador Mundi (sur lequel nous avons beaucoup discuté dans WUKALI et nous y avons consacré plusieurs articles, nous nous sommes mêmes engagés réfutant cette attribution). Une histoire digne d’une série télévisée et où le parfum des gros dollars flottent ignominieusement, tout comme le poids des influences …

Ce portrait a été vendu moins de 50$ en 2016 dans une vente aux enchères au Minnesota. Une vente publique et populaire comme il est commun outre-atlantique, ce type de vente qui se déroule dans des lieux non dédiés comme un garage comme tel fut le cas, On y disperse toutes sortes d’objets, un bric-à-brac et le plus souvent un capharnaüm, de la batterie de cuisine au mobilier défraîchi en passant par la voiture d’occasion et quelques objets vintage ou considérés comme tels.

Ce n’est que récemment que des informations sur cette peinture furent données après qu’elle fut rachetée en 2019 par LMI Group International, un organisme installé à New York et qui oeuvre dans le commerce des oeuvres d’art. Son site est d’ailleurs intéressant, en effet il base sa communication sur sa compétence à identifier des oeuvres d’art de grands maîtres restées inconnues (Cliquer). Observons, sans faire un procès en suspicion légitime, que la démarche nous semble spécieuse avant même de vouloir examiner quelque oeuvre que ce soit.

Olécio partenaire de Wukali

Ce portrait fut alors présenté au musée Van Gogh d’Amsterdam qui fait autorité et le musée conclut par une non attribution à van Gogh. Souvent dans le commerce des oeuvres d’art, le temps tient un rôle stratégique, surtout quand il y a des millions de dollars ou d’euros à la clef… Il faut savoir attendre, ce qui fut fait, et LMI est revenu à la charge! Un article récent publié dans le Wall Street Journal au sujet de ce tableau a mis le feu aux poudres… il n’en fallut pas plus pour que la planète des arts et du commerce des oeuvres ne s’embrase.

Détails sur ce tableau

Observons en premier lieu que si Léonard de Vinci et la Joconde sont universellement connus et que le marché ( quel horrible mot) autour de la valeur financière des oeuvres de ce génie de la Renaissance est sans pareil, il en va de même pour Van Gogh lui aussi universellement apprécié et dont rappelons le Les Tournesols en 1987 avaient atteint en vente 225 millions de francs soit alors un record du monde !

Force est de reconnaitre que dans l’univers métaphorique de Dallas ( celui de la série télévisée) la règle financière est impitoyable ! Quand on compte en millions de dollars, ce qui bien entendu est votre cas tout comme le mien, alors il faut oeuvrer «en bon père de famille » et savoir investir là où il convient …! 

Revenons à la description de ce tableau à défaut d’en parler comme d’un Van Gogh, la prudence et l’honnêteté intellectuelle, de même que l’expertise d’histoire de l’art l’exigent. Il mesure 45.7 cm / 41.9 cm, c’est une huile peinte sur toile, il représente un pêcheur, pipe à la bouche, coiffé d’un bonnet probablement en fourrure, en train de réparer un filet. Le personnage est vu de face le torse légèrement en biais, son bras gauche en avant de l’oeuvre, il est peint sur fond de mer, de ciel et de plage .

Portrait d’un pêcheur.
 Photo LMI Group International, Inc

De prime abord, ce portrait manque d’attraits, une facture plutôt frustre, mal dégrossie, pour ne pas dire nulle, le visage, tout comme les mains sont peints grossièrement. Les dégradés de ciel et de mer sont médiocres. On distingue sur le coin droit en bas le mot: Elimar ( référence à un héros d’un conte d’Andersen). Il s’agit d’une copie d’un tableau attribué à un peintre danois du nom de Michael Ancher représentant un pêcheur (1849-1927) et intitulé «Portrait de Niels Gaihede» (c. 1870s–1880s) 

Portrait de Niels Gaihede (c. 1870s–1880s) attribué à Michael Ancher
Huile sur toile 38cm/32cm

Pour le groupe LMI, la messe est dite, cette copie est de la main de Van Gogh. «Même un musée peut commettre des fautes» a-t-il précisé. Cela ressemble bien à un bras de fer …
Dans un communiqué de presse publié fin janvier 2025, le groupe déclare par la voix de Lawrence M. Shindell, son PDG et président du conseil d’administration:

«En intégrant la science et la technologie aux outils traditionnels du connaisseur, au contexte historique, à l’analyse formelle et à la recherche de provenance, nous visons à la fois à étendre et à adapter les ressources disponibles pour l’authentification de l’art en fonction des propriétés uniques des œuvres dont nous avons la charge ».

Par ailleurs, ils ont réalisé un rapport de 456 pages et dont avec fierté ils font état pour justifier de leur conviction. Un peu comme ces personnes qui affichent des centimètres de rayonnage d’œuvres complètes d’un auteur dans leurs bibliothèques et s’en prévalent pour justifier de leur positionnement social et culturel, bien qu’en général ils n’en aient rien lu !

La compagnie new yorkaise LMI aurait trouvé dans la surface peinte du tableau un cheveu… Eurêka, serait-ce un signe de l’alopécie de Van Gogh… ? Le cheveu va être examiné pour en connaitre son identité ADN… Quant à sa valeur financière ( le tableau, pas le cheveu), d’aucuns parlent d’un prix d’un montant de 15 millions $.

Mais pendant ce temps, nenni à Amsterdam, cette peinture venue d’Amérique n’est pas de Van Gogh… ! Semper ac cadaver, l’Europe résiste, un peu fort pour des luthériens !

Ah, Dallas n’est plus ce qu’il était, New York et Washington non plus d’ailleurs, mais c’est une toute autre histoire… !
Vraiment, un peintre hollandais qui copie un peintre danois, et défendu par un groupe américain, c’est à y perdre son Groenland !

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