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Rûmî et les derviches tourneurs la véritable histoire, au coeur du soufisme

par Pierre de Restigné

L’enseignement de Rûmî est indissociable du soufisme, une quête spirituelle qui s’exprime notamment par la danse extatique des derviches tourneurs de la confrérie Mevlevi

Kudsi Erguner, auteur avec sa femme Arzu de ce livre est un des plus grands joueurs de ney (ou ou nâi ), cette flûte persane faite en roseau dont on trouve les premières représentations plus de 2 800 ans av. J-C. à Sumer, ainsi que dans les pyramides et autres tombeaux d’Egypte. Un instrument qui accompagne depuis toujours la danse (la semā) des derviches, tout en restant un instrument « populaire » dans tout le Moyen-Orient.

Pour arriver au sommet de son art, il a étudié durant plus de dix ans auprès du dernier maître de la confrérie Mevlevi. N’oublions surtout pas que tous les groupes soufis ont été dissous et interdits en Turquie en 1925. Depuis, le système de transmission c’est brusquement arrêté. Et de fait, il y a une rupture totale et, pour les auteurs, ceux qui se réclament de l’école Mevlevi ne sont que des imposteurs car ne pouvant, de fait, se rattacher à la vraie lignée qui a commencé avec Rûmî. Cela n’est pas sans faire penser à tous les mouvements Templiers qui disent se rattacher à l’ordre créé au Moyen-Âge et disparu au concile de Vienne le 11 mars 1312.

Mais la transmission au niveau des Mevlevi n’a été, de fait, suspendue que moins d’une trentaine d’année (et pas quelques siècles comme pour les Templiers) et donc, il est certain que d’anciens initiés ont pu partager les fondements de cette culture au-delà des caricatures pour touristes ou occidentaux en mal de spiritualité.

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Soit, les anciennes règles tout comme l’importance de Konya comme sommet de la hiérarchie de la confrérie ont disparu. Est-ce à dire que les cheiks actuels sont tous des imposteurs trahissant la pensée de Rûmî ? Je ne suis pas assez savant pour répondre à cette question, mais je pense que la position quelque peu extrême de Kudsi et Arzu Erguner est excessive, sans être fausse. La vérité doit se trouver au milieu, il y a des écoles Mevlevi travaillant en harmonie avec la pensée de Rûmî et d’autres qui s’en éloignent beaucoup. Car, il y a un développement, aussi bien en Turquie qu’en occident, de groupes se proclamant soufistes et disant se rattacher à la pensée de Rûmî. Le moins que l’on puisse dire, c’est que dans leur très grande majorité, ces groupuscules sont loin, très loin des fondements du Maître de Konya. Sa pensée à été adaptée, interprétée suivant les buts que s’assignent les « Cheick » plus ou moins auto-proclamés. Cette déferlante autour de l’œuvre de Rûmî est à trouver dans les mouvements hippies des années 60. Mais découvrir les racines de cette redécouverte, n’est pas la démarche de Kudsi et Arzu Erguner. Non, ce que les auteurs recherchent, c’est de revenir à la pensée de Rûmî, en la mettant en perspective dans son univers social, culturel de son époque (le XIIIè siècle) et en montrant l’évolution du mouvement Mevlevi, les derviches tourneurs, dans le temps.

Ainsi, la sema, la fameuse danse, n’a été codifiée qu’au XVIè siècle. Oui, Rûmî dansait, souvent, mais c’était avant tout une prière, une prière intérieure, une prière quelque peu extatique, bien loin du folklore pour touristes des tournées des derviches tourneurs qui sont, de fait, des danseurs et non point des religieux. De fait cette danse est devenue avant tout un argument touristique développé par la Turquie et non un acte de foi, profondément ancré dans la religion musulmane. Rûmî n’a jamais porté une robe blanche pour danser ! Car, insistent les auteurs, la pensée de Rûmî s’inscrit dans l’Islam, et ne peut exister sans lui. Il est impossible qu’un non musulman puisse se dire derviche (ce qui est le cas en Occident), c’est un non-sens total. Toute l’œuvre de Rûmî est une quête de la recherche de Dieu suivant les principes du Coran qui, pour lui, est la seule voie possible pour y parvenir. Suivre son chemin spirituel, c’est suivre les préceptes, les règles édictés par le Coran.

Les auteurs démontent bien des « lieux-communs » relatifs à Rûmî et aux Mevlevi : non ce n’est pas un poète, il a toujours refusé ce titre, il n’était pas l’ami des riches et des puissants, il les fuyait ! Le soufisme n’est pas une philosophie, n’est pas ésotérique, n’est pas rempli de symboles comme les essais de récupération de l’image de Rûmî aussi bien par les nationalistes turcs qu’iraniens, ce qui est paradoxal pour un personnage qui dispense une pensée universelle sans aucune notion d’appartenance ethnique ou nationale. Non, toute sa pensée tourne autour du seul Coran et à la recherche d’une sorte d’extase qui n’est pas loin à faire penser à celles de Sainte Catherine de Sienne.

Le travail de Kudsi et Arzu Erguner est vraiment remarquable, il offre aux lecteurs et à tous ceux qui s’intéressent au soufisme en général et aux Mevlevi en particulier une lecture pour la compréhension de la pensée de Rûmî bien loin de l’image superficielle offerte aux touristes ou à ceux en manque de spiritualité mais qui ne sont pas prêts à entreprendre un chemin initiatique long et difficile. De fait, pour conclure, tout est résumé dans la conclusion de cet essai : « être Mevlevi aujourd’hui, ce n’est pas faire partie d’une confrérie, c’est plutôt se prendre de passion pour une culture, une littérature, une musique, pour l’héritage spirituel et artistique de la confrérie, au-delà de toute hypocrisie et de toute prétention. »

Rûmî et les derviches tourneurs
La véritable histoire
Kudsi et Arzu Erguner

éditions Albin Michel. 22€90  

Illustration de l’entête:  le sheik Shams de Tabriz jouant aux échecs, illustration dans le « Madjâlis al-ushshâq » d’Husayn Gazurgâhî. Iran, école de Shîrâz, XVIe siècle. BNF, Manuscrits © Gallica/BnF             

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