A famous conductor


[**André Cluytens*] (1905-1967) et [**Georges Prêtre*] (1924-2017), deux grandes baguettes françaises

– [** Première partie : André Cluytens*]

Disons-le d’emblée. Au XXe siècle comme au début du XXIe, l’Allemagne, l’Europe centrale, l’Italie, le monde anglo-saxon n’ont pas le monopole de l’excellence musicale dans le domaine symphonique et la direction d’orchestres. Certes, les [**Toscanini, Furtwängler, Karajan, Bernstein, Beecham, Giulini, Abbado, Reiner, Ormandy, Solti, Stokovski*], pour ne citer qu’eux, ont hissé, en leur temps, cet art à son plus haut niveau. Mais la [**France*] n’en a pas moins produit des personnalités aussi considérables que [**Pierre Monteux, Paul Paray, Charles Munch*], dont la carrière s’est exercée aussi bien en France et en Europe qu’aux États-Unis.

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L’actualité musicale récente nous fournit l’opportunité d’honorer, dans une même étude, ces deux « grandes baguettes » françaises que furent [**André Cluytens*] et [**Georges Prêtre*]. Le premier est décédé il y a juste 50 ans et une grande partie de sa discographie vient d’être rééditée dans des conditions optimales. Le second nous a quitté à l’âge de 93 ans, le 4 janvier dernier, au terme d’une longue carrière gratifiée par une popularité tardive, après avoir été invité à deux reprises, à diriger le fameux concert du Nouvel an à Vienne. L’un et l’autre ont connu les aléas de la vie musicale dans les opéras de province avant de s’imposer au double plan national et international, le premier étant « adoubé » à Bayreuth dès les années 50, le second connaissant la consécration à la Scala de Milan comme à la tête des deux grandes formations symphoniques de Vienne. L’un et l’autre ont servi aussi bien le répertoire symphonique que l’opéra.


André Cluytens dirige l’Orchestre Philharmonique de Berlin. Symphonie n°5 de Beethoven

Né à Anvers le 26 mars 1905 dans une famille flamande de culture française, [**Cluytens*] fut d’abord citoyen du Royaume de Belgique et c’est avec son père, directeur de l’opéra de cette ville et sa mère, cantatrice, qu’il reçut une solide formation musicale, consolidée par des études au Conservatoire Royal. En 1927, il remplaça son père au pied levé en dirigeant Les Pêcheurs de Perles de [**Bizet*]. Peu de temps après, il assura la création de Salomé de [**Richard Strauss*] en Belgique. Mais le premier tournant de sa carrière intervient dès 1932 lorsqu’il décide de se produire essentiellement en France, ce qui lui permet, dans un premier temps, de diriger dans plusieurs grandes institutions lyriques de province, l’opéra de Lyon, le Capitole de Toulouse, le Festival de Vichy. Rapidement, dès 1939, l’artiste opte pour la nationalité française et troque son prénom initial « Augustin » pour celui d’« André ».

Sa carrière parisienne prend son envol au moment de l’Occupation, ce qui lui vaudra quelques ennuis à la Libération avant de bénéficier d’un non-lieu, au début de 1946. Dès lors, l’Opéra-Comique et l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, ancêtre de l’actuel Orchestre de Paris, deviennent les deux pôles essentiels de son activité. Après le départ de [**Charles Munch*] pour Boston en 1949, il est promu directeur musical de cette formation plus que centenaire. Ainsi, de la fin des années 40 à 1960, Cluytens s’impose comme une des personnalités dominantes du monde musical parisien, se produisant de plus à l’Opéra Garnier et à la tête de l’Orchestre National de la RTF, l’actuel Orchestre National de France. Aimé de ses musiciens et d’une constante courtoisie, il prend sous son aile le tout jeune [**Roberto Benzi*], lancé un peu rapidement comme un enfant prodige de la direction d’orchestre avec le film Prélude à la gloire (1950). Au même moment, les principaux éléments d’une carrière internationale se mettent en place avec plusieurs invitations à l’Orchestre Philharmonique de Berlin ainsi qu’au Festival de Bayreuth où Cluytens, est invité par [**Wieland Wagner*] qui le reconnait comme un des meilleurs chefs wagnériens de son temps. Ainsi, il sera le premier chef français à se produire « sur la colline sacrée » de 1955 à 1958 puis, de nouveau, en 1965, dirigeant Tannhäuser, Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, Lohengrin et Parsifal. À la Scala de Milan, ce sera toute la Tétralogie et à l’Opéra de Vienne, à l’invitation de [**Karajan*], Tristan et Isolde. En 1956, Cluytens accompagne, avec son aîné [**Carl Schuricht*], la première tournée du Philharmonique de Vienne aux États-Unis. Peu de temps après, sollicité par [**Leonard Bernstein*], il dirige plusieurs concerts avec le Philharmonique de New-York. Signalons enfin les premières tournées en URSS au cours desquelles le chef, qui a appris le russe, se lie d’amitié avec [**Chostakovitch*] dont il deviendra un des grands interprètes.

En 1960, renouant avec son pays natal, Cluytens prend en charge l’Orchestre National de Belgique dont il fait, en moins de trois ans, une formation de premier plan. En 1964, il triomphe au Japon avec « son » Orchestre de la Société des Concerts. En 1965, il dirige son dernier Parsifal à Bayreuth, à la demande expresse du vétéran [**Hans Knapperbusch*], spécialiste incontesté du dernier chef-d’œuvre wagnérien. Hélas, il doit rapidement réduire ses activités en raison d’un cancer qui s’est porté à l’œil avant de se généraliser. Soigné à l’Hôpital américain de Neuilly, André Cluytens meurt le 3 juin 1967, à tout juste 62 ans.

En comparaison de [**Monteux*] et de [**Munch*], [**André Cluytens*] semblait, ces derniers temps, un peu oublié. Son héritage enregistré est pourtant considérable. Mentionnons d’abord tous ces concerts des années 50, radiodiffusés par ce qui était alors la RTF et qui ont été sauvegardés par l’INA. Ils sont faciles à télécharger sur certains sites spécialisés, le label Tahra en ayant réédité quelques-uns en CD. Quant aux productions de Bayreuth, elles sont disponibles dans les meilleures conditions possibles car transférées à partir des bandes originales de la Radio Bavaroise par le label Orfeo.


André Cluytens dirige l’Orchestre National de la RTF 1959. Emil Gilels interprète le Concerto pour piano de Tchaikovsky.

Mais l’essentiel est ailleurs car Cluytens fut, bien avant Karajan, le recordman du disque classique. En effet, dès octobre 1958, il recevait un « disque d’or » pour célébrer le premier million d’exemplaires vendus. En plus de vingt ans de carrière, il connut successivement les 78 tours, le microsillon monophonique et la stéréo. Il travailla exclusivement pour [**Pathé-Marconi,*] la filiale française du groupe anglais [**EMI*], Decca et RCA n’étant pas parvenus à le « débaucher » après ses succès à Bayreuth.

Très récemment, à l’occasion du 50ème anniversaire de la disparition de l’artiste, la [**Warner*] qui a repris l’intégralité du fond EMI, a réédité les deux tiers de toutes ces gravures, à savoir, la totalité du répertoire symphonique et concertant ainsi que les œuvres chorales extérieures au monde lyrique. Cela représente une somme de 65 CD, 35 en mono et 30 en stéréo. L’ensemble regroupe toutes les gravures réalisées de 1943 à 1966, 6 CD sont de inédits et 44 des premières dans ce format numérique. Le report en haute définition est excellent, permettant notamment la redécouverte des enregistrements les plus anciens.

Tout est à recommander dans ce lot de merveilles : les Bizet, deux superbes intégrales de L’Enfance du Christ de[** Berlioz*] et du Requiem de[** Fauré*], l’intégrale [**Ravel*], les classiques du répertoire russe avec la Société des Concerts ou le Philharmonia de Londres. Les répertoires français et russe se taillent, en effet, une place importante et Cluytens y révèle des qualités rares de clarté et de transparence. Les deux Concertos pour piano de [**Chostakovitch*] avec le compositeur au piano sont des moments d’exception ainsi que la Onzième Symphonie « 1905 », l’ensemble ayant été réalisé lors d’un des très rares séjours à Paris du musicien soviétique. Le répertoire germanique n’est pas oublié avec la meilleure et célébrissime version du Concerto pour violon de [**Beethoven*], le grand [**David Oïstrakh*] dialoguant avec l’Orchestre National de la RTF. Enfin, suprême joyau dans un son excellent : la première intégrale des Neuf Symphonies du même [**Beethoven*], enregistrée par le Philharmonique de Berlin qui avait expressément sollicité Cluytens pour ces séances réalisées dans la fameuse Jesus Kirche du quartier de Grünnwald à [**Berlin*] entre 1957 et 1960, deux ans avant que [**Karajan*] ne réalise sa propre version, avec le même orchestre et au même endroit. |center>

Pour finir, nous permettra-t-on d’insérer un souvenir personnel et d’évoquer cette très belle et profonde Symphonie Inachevée, gravée au théâtre des Champs-Elysées en 1951, un des premiers microsillons sortis en France qui accompagna l’auteur de ces lignes lors de son départ en pension, il y a juste 60 ans ? Ce magnifique coffret n’a qu’un défaut : il fait l’impasse sur les opéras dans lesquels Cluytens se révélait au meilleur de lui-même. Il faudrait donc éditer sans tarder un second ensemble avec les deux Contes d’Hoffmann, celui de 1948 avec[** Bourvil*] dans les rôles des quatre valets, et celui de 1964 avec [**Nicolaï Gedda*] en Hoffmann ; la Carmen de 1950 avec un excellent [**Raoul Jobin*] en Don José ; les deux Faust de 1953 et de 1958, mono et stéréo, avec le même [**Gedda*] en Faust, [**Victoria de Los Angeles*] en Marguerite et [**Boris Christoff*] en Méphisto ; toujours de [**Gounod*], la Mireille réalisée au festival d’Aix en 1954, la meilleure du catalogue ; Pelléas et Mélisande de [**Debussy*] et l’Heure espagnole de [**Ravel*]. Enfin, Boris Godounov de [**Moussorgski*] avec le même Christoff et les chœurs de l’Opéra de Sofia.

Messieurs de la Warner, ne nous laissez pas sur notre faim et hâtez-vous de nous offrir ce second coffret, tout aussi excellent sur le plan sonore, avec tous ces trésors qui ont fait date dans l’histoire des enregistrements d’opéras.

Jean-Pierre Pister|right>


Illustration de l’entête: André Cluytens, © Warner Classics – photo by Roger Hauert

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