About two books dealing with the responsibility of nazi intellectuals in the Holocaust machinery, and the Shoah regarded as a hunting party for blood-thirsty barbarians. It is history, these are facts. To meditate !


Réflexions et Analyses. Le point de vue philosophe de Patrick KOPP

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Patrick Kopp analyse deux livres brillants et passionnants de Christian Ingrao pour éclairer la violence des troupes nazies au combat et dans le génocide, des individus au système. Des livres justes.

Croire et détruire: les intellectuels dans la machine de guerre SS. Christian Ingrao. Éditions Fayard 2010, Pluriel Poche 2012

La Brigade Dirlewanger, les chasseurs noirs. Christian Ingrao. Éditions Perrin 2006 et Tempus poche 2009

NDLR: Parce que nous préférons la densité à l’instantanéité et à l’inanité du diktat de la communication, et que nous privilégions l’épaisseur de l’information et la réflexion plutôt que l’éphémère et le dérisoire, nous revenons sur deux ouvrages déjà parus que nous vous invitons si vous ne les connaissiez déjà, à découvrir. Nous tenons aussi à remercier l’auteur de l’article, Patrick Kopp, qui a tenu à les présenter.



L’historien parvient (sans se proposer explicitement cet objectif) à dépasser la querelle qui agite sinon divise les spécialistes depuis les années 1980 : intentionnalistes et fonctionnalistes face à l’histoire de la destruction des juifs d’Europe et les crimes nazis et allemands avant et pendant la seconde guerre mondiale. Les uns soutiennent l’importance capitale du projet hitlérien et de l’idéologie, les autres mettent en évidence le jeu des systèmes, nazisme, bolchévisme, capitalisme. Faux problème ?

Christian Ingrao traite un vrai sujet : comment de jeunes diplômés des universités allemandes s’identifient au nazisme en le construisant et en devenant les acteurs d’une guerre génocidaire. Intentions, idéologie, ordres, événements historiques, systèmes, actes individuels, jugements… chaque réalité historique est à sa place.

A ceux qui me demandent pourquoi en tant que professeur de philosophie je réfléchis tant sur le nazisme, moi pour qui la question ne s’est jamais posée, je réponds bien sûr par les faits : l’histoire elle-même nous impose sans cesse d’y revenir. A ceux qui me disent l’inutilité de buter contre le cadavre de Hitler (ce dont il n’est pas question à mon sens) j’oppose l’actualité. Certes, le nazisme est en ruines (quoique les ruines soient fumantes, en Ukraine et ailleurs) et les protagonistes presque entièrement disparus, mais ce qui l’a permis (l’antisémitisme, le racisme, le nationalisme, la bêtise, l’ignorance, la haine de l’autre, le désir d’accéder au pouvoir et aux postes, le communautarisme entre autres horreurs) suinte, hélas, partout et faute de l’expliquer bien et de le faire comprendre, on s’expose à de graves conséquences présentes.

Aujourd’hui le Centre Simon Wiesenthal lance pour la deuxième fois une opération « dernière chance » pour tenter de traduire en justice les derniers criminels nazis survivants. Aujourd’hui dimanche 21 juillet 2013, le maire et député de la République française Gilles Bourdouleix prononce à l’encontre de Roms cette phrase impardonnable : «Comme quoi, Hitler n’en a pas peut-être pas tué assez…» La honte est redoublée lorsqu’il nie avoir prononcé cette phrase avant d’être confondu par l’évidence du document audio. Honte à ceux qui minimisent, ceux qui relativisent. ils savent qu’ils ne seront pas punis. Je ne mélange pas les propos irresponsables de l’un avec les crimes des autres et loin de moi l’idée de recourir à la reductio ad hitlerum, ou de vérifier la loi de Godwin (sur internet plus une discussion dure, plus la probabilité de recourir à une comparaison avec Hitler ou les nazis est proche de 1).

Les criminels nazis n’ont jamais fait autre chose que nier, minimiser, relativiser. Le mal commence lorsqu’un individu, voyant le bien, décide en toute conscience d’accomplir son contraire. Mais l’historien peut précisément cerner ce moment décisif et ceux qui s’y jettent. Alors, ceux qui ont réussi à s’extirper des procès et des prisons, des centaines de milliers de morts sur la conscience, n’auront peut-être pas gagné.

Le nazisme nous condamne à sans cesse apprendre sur le mal que ses exécutants ont produit et l’histoire nous permet d’en explorer toute la réalité.

La première rencontre avec Christian Ingrao a eu lieu avec le film documentaire de Michaël Prazan « Einzatsgruppen, les commandos de la mort » (trois heures, diffusé en avril 2009 sur France 2) dans lequel l’historien apparaît parmi d’autres autorités (Christopher R. Browning, Martin Dean, Radu Ioanid, Jürgen Matthäus).

La seconde est la découverte de son oeuvre, une thèse soutenue en 2001 « Les intellectuels du service de renseignement de la S.S, 1900-1945 », publiée sous le titre «Croire et détruire, les intellectuels dans la machine de guerre S.S » (Arthème Fayard 2010, Pluriel Poche 2012), et l’étude de «La Brigade Dirlewanger, les chasseurs noirs», (Perrin 2006 et poche 2009). L’ensemble est passionnant, brillant, et témoigne d’une histoire enfin globale, sociale, politique, événementielle, sociologique et philosophique qui bouscule tout cloisonnement pour saisir la réalité historique avec une justesse inégalée. Car C. Ingrao a eu de bons initiateurs et d’excellents débuts. Le groupe qui a révolutionné la compréhension du temps présent est déterminé par les travaux de Stéphane Audoin-Rousseau et notamment les recherches sur la violence matricielle de la guerre de 1914-1918 et les deuils qu’elle produisit (Les sociétés européennes et la guerre 1914-1918, la guerre des enfants 1914-1918, cinq deuils de guerre, 1914-1918). Communauté des questions et point de départ de problématiques longues et solitaires, tel est l’essai collectif de Stéphane Audoin-Rouzeau, Annette Becker, Christian Ingrao, sous la direction de Henry Rousso : La violence de guerre, approche comparée des deux conflits mondiaux, Bruxelles, Complexe 2002.

L’originalité du travail de C. Ingrao vient de la juste place accordée à chaque temps de la recherche historique : l’analyse des systèmes de croyances et de convictions, la place de chacun dans l’organigramme d’une structure de pouvoir, la liberté individuelle, la conscience que chacun a de soi, et le parcours de chacun dans l’Histoire. Le centre de ce développement est le concept d’ « Erfahrungsgeschichte » (Gerd Krumeich « Der Krieg in den Köpfen » la guerre dans les têtes) l’histoire de l’expérience des hommes qui ont produit ces événements et systèmes dans l’interaction de leurs vécus, de leurs conceptions, de leurs parcours. Le nazisme apparaît alors d’une manière dynamique et puissante comme le système permettant de désangoisser ces hommes de ce vécu. Mais le nazisme n’est pas qu’un système de croyances, de représentations et connaissances frelatées il s’agit d’abord et avant tout de la grande guerre raciale menée par ces individus constitués en groupes d’action de destruction : les terribles Einsatzgruppen (groupes d’intervention). l’ « Est » fabulé, l’implantation après destruction, la folie génocidaire sont les points culminants d’une croissance commencée pendant la première guerre mondiale.


CROIRE ET DÉTRUIRE. Essai sur les intellectuels dans la machine de guerre S.S.

La thèse de Christian Ingrao se déploie en trois parties : la jeunesses allemande des intellectuels de la SS, leur engagement dans le nazisme, leur entrée dans le SD (le Sicherheitsdienst, service de sécurité ou service de renseignement SS) et enfin le déchaînement de la violence dans la guerre raciale à l’Est.

Le parcours de ces intellectuels s’étend de la guerre (la première guerre mondiale) à la guerre (la guerre qu’ils mènent à l’Est). La première est le milieu dans laquelle ils baignent comme enfants. Ils sont aussi immergés dans l’idéologie Völkisch (ethno-nationaliste) faite de représentations sur la « grandeur de l’Allemagne », de nationalisme, de pangermanisme, de racisme, d’antisémitisme. Le premier conflit mondial est l’expérience du départ des hommes au combat, celle de la perte et du deuil, les privations et la misère. Les représentations collectives tentent de donner du sens à cette extraordinaire violence. Le monde qui fait face à l’Allemagne est pensé comme un monde d’ennemis inhumains, hostiles. Toute cette violence est de manière surprenante absente des Lebenslaüfe, parcours rédigés par les Akademiker (jeunes formés par les Universités) au moment de leur entrée dans la SS. Un silence lourd. C. Ingrao décrit les parcours individuels des intellectuels de la SS, comme une archéologie de leur engagement. Négation de la défaite, glorification des héros de la grande guerre, participation active aux troubles civils qui suivent cette défaite, voilà le terreau du second conflit. La galerie de portraits s’étend, dans la description de l’engagement dans les corps-francs et les milices. Ces intellectuels s’engagent alors dans leurs études, la rédaction de leurs mémoires et thèses, mais aussi dans des sociétés et des réseaux où ils se rencontrent et fabriquent leur identité collective et individuelle. La violence est leur ciment. Sociétés sportives, étudiantes, réseaux de solidarité les réunissent. Le militantisme se construit par l’orientation de leurs savoirs et réflexions universitaires. C’est la course à la légitimation des vues Völkisch. La nazification des savoirs est en marche, il leur faut maintenant s’engager politiquement.

L’analyse de l’être nazi est complexe, tant les parcours des uns et des autres ont été sciemment faussés par des entreprises de disculpation individuelles et collectives. A nouveau, plutôt que de se livrer à une synthèse théorique sur la « raciologie » nazie, l’histoire de son intériorisation dans des parcours singuliers est plus intéressante. Ces intellectuels la décrivent dans leur curriculum vitae d’adhésion à la S.S, leur credo, l’intériorisation Völkisch. Les rites parlent aussi, l’analyse d’un mariage nazi le montre, il est le baptême idéologique du couple. La nazification des esprits prend tout son sens dans l’adhésion au SD, services de renseignement SS, avant ou après la prise de pouvoir. Des 80 intellectuels étudiés par C. Ingrao, il y a ceux qui obéissent à une forme commune et ceux qui s’en écartent, typiques et atypiques sont également intéressants : intégration du N.S.D.A.P

avant le S.D, ou le contraire, passage par la SS, le SD et le NSDAP, et le troisième parcours, intégration par les organes policiers. Il reste à expliquer le passage du service de sécurité de la SS (SD) à l’office Central de la Sécurité du Reich, le tristement connu RSHA. C’est par l’information, le renseignement et le contrôle des opposants que la machine d’extermination se met en marche, avec, aux commandes ces intellectuels activistes nationalistes. Le SD est d’abord un instrument de recherche et de combat contre les « opposants au nazisme », or le concept d’opposition ne cesse de s’élargir, depuis l’opposition interne (élimination de la S.A ) jusqu’à la vision de la guerre à l’Est comme une guerre contre les opposants, partisans. En réalité il s’agit une guerre « raciale » d’élimination des juifs, des tsiganes et de tous ceux que le nazisme voulait détruire pour l’établissement d’une Allemagne mythologique. L’opposition est nommée : les trois K (Kaftan, Kubus, Kutte, le caftan, le cube, le froc : les juifs, les francs-maçons, les églises).

La troisième partie de la démonstration est-elle la plus atroce ? Sans doute, puisqu’elle contient le processus décidé et planifié de la destruction des juifs d’Europe, mais les deux parties précédentes la contiennent et l’expliquent. Conquérir l’Est dans une guerre de « réparation » d’abord, et simultanément une guerre « raciale » une guerre d’élimination. Dans les versions successives du «  Generalplan Ost « , l’extermination est programmée. La germanisation n’est possible que sur elle. Le délire colonisateur n’est permis que si les intellectuels du SD opèrent savamment et administrent un glissement : « les troupes soviétiques sont appuyées par des bolchéviques, des partisans, les juifs les soutiennent« , telle est la conviction soutenue et propagée. Einsatzcommandos et Einsatzgruppen (commandos d’intervention et groupes d’intervention) commencent l’extermination des « opposants », et des juifs. Il s’agit alors d’expliquer comment on passe d’une guerre à un génocide et comment les troupes allemandes exécutent les personnes âgées, les femmes et les enfants. C. Ingrao soutient avec d’autres historiens l’idée selon laquelle, en dépit d’un ordre hiérarchique écrit (qui a peut être existé) un faisceau de mécanismes expliquent ce passage à l’anéantissement, notamment les visites de Himmler à ceux qui sont en charge des exécutions, derrière les lignes de front en juillet et août 1941. C’est le dernier maillon d’une chaîne de représentations et de mécanismes d’Etat du système génocidaire nazi. Lorsque le simple fonctionnaire de police viennois Walter Mattner écrit à sa femme le 5 octobre 1941, il est trop tard, la guerre raciale est intégrée par le dernier des maillons de son exécutif.

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« [5octobre] J’ai donc participé à la grande mort en masse d’avant-hier. […] Ouah ! Diable ! Je n’avais jamais vu autant de sang, d’ordure, de corne et de chair. Je peux maintenant comprendre l’expression « ivresse de sang ». M. est maintenant moins peuplée d’un nombre à trois zéros. Je me réjouis vraiment et beaucoup disent ici que quand nous rentrerons dans la patrie, ce sera la tour de nos juifs locaux. Mais bon, je ne dois pas t’en dire plus. C’est assez jusqu’à ce que je rentre à la maison. »

Les quatre Einsatzgruppen A (990 hommes) B (655 hommes) C (800 hommes, et D (500 hommes) sont répartis du nord au sud. Voici le sinistre calcul (qui ouvre d’ailleurs la version romancée de cette thèse, le roman «Les Bienveillantes» de Jonathan Littell) :

« En Pologne, les groupes avaient tué approximativement 1700 individus de moyenne hebdomadaire, à raison de 280 individus par groupe. Sachant que chaque groupe était composé de 300 SS, il est possible d’estimer que chaque membre d’un groupe tuait un peu moins d’une personne par semaine et ce, pendant six semaines. En URSS, les groupes exécutèrent plus de 550 000 personnes, 50 000 du 22 juin à la fin août, 500 000 entre septembre et décembre 1941. Ils tuèrent ainsi 55 fois plus qu’en Pologne, ordre de grandeur, qui, défalqué jusqu’au niveau individuel, impliquerait que chacun des 3000 hommes opérant en Russie aie tué une personne par jour pendant six mois ». («Croire et détruire» page 384.)

J’ai longtemps refusé de lire le roman de Littell (à tort car le roman n’est pas mauvais) mais je suis enfin heureux d’avoir pu lire la source historique qui l’a inspiré.

La guerre génocidaire parvient à son paroxysme et révèle la vérité d’un processus commencé bien plus tôt. La violence extrême gagne la guerre, et l’historien analyse ses formes : violence démonstrative, extirpatrice, et les modes de son exécution.

Exécutions massives à la périphérie des villes sont désormais courantes : Kiev, exécution de Babi-Yar (33 371 juifs exécutés par balles), Kamenets-Podolsk (23600 juifs le 28-31 août, Moghilev (2273 juifs du ghetto assasinés) 11000 juifs à Nikolajew le 14 septembre 1941… quelques lieu et dates à côté de toutes les fosses et les charniers de la Pologne à l’Ukraine, la Biélorussie, les pays Baltes

L’idéologie s’est muée désormais en sa forme ultime, la logistique et la « science » de l’extermination par balles. Les intellectuels de la SS donnent les ordres, organisent, rappellent le sens idéologique d’une extermination qu’ils veulent voir comme une guerre de défense. Des intellectuels livrés à la violence transgressive comme rite initiatique d’une communauté raciale.

Après le sang et la défaite, 80 destins individuels, ceux qui n’ont pas choisi de mourir au combat se retrouvent dans une dernière forme de communauté, celle qui consiste à se défausser, à nier sa responsabilité en une stratégie de défense unanime. La négation, les négationnistes le savent bien, est d’abord née, comme l’extermination, d’une stratégie collective des cadres du SD, stratégies de complexification, d’évitement, de justification.
Le silence tombe, répondant au silence initial du choc de la première guerre mondiale : silence de la condamnation à mort et de l’exécution pour une dizaine de ces intellectuels, silence de la prison pour beaucoup, silence de la nostalgie et de la fraternité noire pour tous, et pour certains d’un renouveau du militantisme nationaliste et nazi.

Ce livre explique à la fois l’horreur infinie des exécutions de masse, et le parcours de ces jeunes de la classe moyenne des tranchées de leurs aînés aux fosses où furent assassinées leurs victimes. Il ne s’agit plus comme on nous l’assène régulièrement d’un désir de justice, ou de vengeance, C. Ingrao est parfaitement juste face à la justice telle qu’elle s’est exprimée après guerre dans un contexte politique atténuateur.

Une lecture dure, éprouvante, l’expérience intellectuelle de la violence des intellectuels nazis, une connaissance nécessaire.


La chasse dans la guerre nazie. Les chasseurs noirs, la brigade Dirlewanger.

Il manquait à l’analyse par C. Ingrao de la violence « raciale » déchaînée par les intellectuels SS contre ce qu’ils voyaient comme « judeo-bolchevisme » une analyse de la guerre cynégétique la guerre comme chasse, celle des braconniers et des repris de justice une guerre pastorale et chasseresse. C’est chose faite avec la monographie consacrée aux chasseurs noirs de la Brigade Dirlewanger. Deux parties : l’histoire de l’unité et de son chef (trois chapitres), l’analyse de la violence des chasseurs dans le génocide (trois chapitres) et un chapitre portant sur l’après guerre, la mort de Dirlewanger, la vaine traque des criminels par des tribunaux allemands, le devenir de ces marginaux de la mémoire.

Dans cette guerre d’extermination, nous pensions être arrivés au sommet de l’horreur, s’il y en a… Il fallait encore explorer la guerre de l’unité Dirlewanger pour lutter contre les « partisans », c’est-à-dire pour être clair, contre l’adversaire des nazis mais aussi les opposants politiques, et les juifs… On avait apprécié la monographie de C. Browning consacrée au 101ème bataillon de police en Pologne, on avait été peu convaincu par sa thèse de la soumission à l’autorité. L’étude de C. Ingrao va bien au-delà.

Oskar Dirlewanger est un volontaire de la première guerre, né le 26 septembre 1895 et de cette première guerre à la seconde, il a connu neuf années de combats entre les corps francs la légion Condor en Espagne et la Waffen SS qu’il intègre pour les combats de l’été 1940. Itinéraire militant et combattant, celui d’un « réprouvé », un marginal, coupable de malversations financières, condamné à deux ans de prison en 1934 pour agression sexuelle sur une mineure de 14 ans volontaire de la Croix Rouge. Un prédateur à l’avenir d’un tueur de masse. A l’été 1940 il devient le chef d’une bande de chasseurs eux aussi réprouvés par le système, mais à qui Himmler donne une seconde chance : la liberté contre l’extermination. Dirlewanger se trouve alors à la tête d’une bande de pillards braconniers, 200 hommes à qui s’ajoutent 500 auxiliaires russes et dès 1943 1200 criminels et « asociaux », pour beaucoup des SS mutés pour des raisons disciplinaires, enfin en 1944 800 prisonniers politiques de camps de concentration.

Loin de la théorie nazie de la contrainte généralisée, cette bande et son chef montrent à quel point les tueurs construisent l’univers dans lequel leurs destructions apparaissent comme acceptables sinon réalisables.

C’est bien de chasse qu’il s’agit, chasse à l’homme, chasse aux partisans réels et prétendus, puis réellement, chasse aux vieillards juifs, aux femmes juives, aux enfants juifs. Le crime génocidaire.

Sous couvert d’une guerre phylogénétique les chasseurs noirs de Dirlewanger causent la destruction de 200 villages biélorusses la mort de 30 000 hommes, femmes enfants de Varsovie. La brigade a causé la mort de 60 000 personnes au total, de Lublin à la Biélorussie, de Varsovie à la Slovaquie, et la Hongrie.

Cette chasse permet à l’historien d’analyser les représentations d’une troupe d’hommes qui se voient tantôt « chasseurs » d’hommes, tantôt « pasteurs » d’hommes, toujours extrêmement violents, capables d’effrayer les hommes des autres unités, c’est dire ! La chasse Dirlewanger pousse à son paroxysme l’imaginaire de la prédation d’hommes de femmes d’enfants et de personnes âgées engagée dans toute la guerre menée par ces unités. Mais la guerre n’est que minimale, l’essentiel de l’activité est l’élimination des juifs selon des techniques de gestion du troupeau.

A Varsovie, la brigade collabore à l’écrasement massif des civils dans un délire d’élimination « purificatrice » commencée dans les campagnes.

La violence de cette chasse à l’homme n’a d’égal que la vanité de la traque de ces chasseurs après guerre. La brigade résiste efficacement à la bataille judiciaire de l’Allemagne des années 60-80 quand elle ne bénéficie pas d’une réputation de combattants auprès des revues de vulgarisation et d’historiens et d’autodidactes intéressés par l’histoire ou par les armées.

Grâce à Christian Ingrao, cette fascination pour la violence, qui contribue au succès de la violence, peut enfin cesser par son élucidation historique. Il analyse brillamment la violence nazie sur le terrain autant que l’imaginaire qui l’anime et l’imaginaire à l’œuvre dans les romans qui le mettent en scène. L’ensemble de l’enquête jette sur le nazisme une grande lumière, mais aussi sur la violence dont l’homme est capable. Elle ne retire rien de la spécificité de la violence nazie. Elle en dévoile l’atroce détermination historique : les faits, les événements, les responsables.

On attend avec impatience sa prochaine oeuvre. Qu’elle porte sur un pan de l’histoire nazie, ou sur la violence de guerre de 1914, de 1940 ou encore sur la violence à l’oeuvre dans les sociétés d’aujourd’hui en temps de paix ou en temps de guerre.

Patrick Kopp.


ÉCOUTER VOIR

La série en 6 épisodes de Michaël Prazan intitulée « Einsatzgruppen les commandos de la mort», et dont cette vidéo constitue un des épisodes, est entièrement consultable sur You Tube
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We recommend you the documentary film named «Einsatzgruppen les commandos de la mort» by Michaël Prazan and divided in 6 chapters, it can be totally seen on You Tube


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