Excellent novel, in the same vein than  » Ubu, the King », « 1984 » or « The War of the Worlds ». Fiction , philosophy or political essay ?


La Chronique Littéraire d’Émile COUGUT.


Voilà une nouvelle variation sur le thème : comment vivrons-nous demain si la société continue d’évoluer dans la direction qu’elle a prise. Une variation intéressante et réussie, dont la « mélodie » résonnera encore longtemps dans nos oreilles.

Olécio partenaire de Wukali

Morgan vit à Lyon à la fin du XXI siècle. Docteur en mathématiques, il est inspecteur au ministère de la vie, chargé du contrôle du dossier familial de conformité, et comme tout fonctionnaire pour pouvoir survivre, il a deux autres emplois.

La société est devenue l’enfer du libéralisme : l’Etat n’a plus d’argent et essaie de trouver tous les moyens possibles pour renflouer ses dettes, le droit du travail n’existe plus, avec 15 millions de chômeurs (les travailleurs à une autre époque se seraient appelés des esclaves), les riches sont encore plus riches, le reste de la population est pauvre, les classes moyennes n’existant plus, les hommes politiques sont tous corrompus, l’économie appartient à quelques entreprises en complet monopole, entreprises bien sur très proches du pouvoir politique, la télévision a créé une société de décervelés qui ne pensent qu’à leur survie et n’osent se révolter.

Des révoltes, il y en a, mais dans les banlieues d’où un appareil policier surdéveloppé et tout puissant : un contrôle d’identité dégénère vite en une rafle digne des pires heures noires de l’occupation.

Bien sur, tout est présenté comme fait pour le bonheur des citoyens. Les citoyens veulent vivre en sécurité, alors tout devient sécurité : la sécurité physique bien sur, mais aussi celle de la santé de l’hygiène, etc. et donc, il y a une profusions de normes qui ne sont qu’une longue litanies sans fin d’interdictions (pas de goûter dans le cartable des enfants, port du gilet de sauvetage sur les pédalos, pas de circulation les jours de gel, vaccinations contre les maladies les plus rares, gilet fluorescent pour les alpinistes, etc.) dont chaque infraction est une occasion d’affliger des amendes.

Dans cette société cauchemardesque : « un comportement anodin pouvait être transformé en quelques mois en une faute grave, presqu’un délit, pour peu que l’état ait décidé d’en tirer quelque bénéfice. »

On aboutit à des situations absurdes : comme l’obligation de déposer plainte par internet mais avec obligation de venir la faire signer au commissariat, où l’obligation d’avoir une certaine carte SNCF, cette société n’éditant plus de billets pour cause d’économie, qui ne peut être lue par le matériel des contrôleurs d’où l’obligation d’éditer un reçu de paiement.

Si Morgan se reconnait comme étant solitaire, toute la société dans laquelle il vit est totalement déshumanisée, les rapports humains n’existent plus, la majeure partie de la population est dans une démarche individuelle de survie. A part internet, la télévision, les jeux vidéo, il n’y a pas grande possibilité de loisirs. Les contacts téléphoniques ne peuvent se faire que par des voix préenregistrées, et si par bonheur on obtient un interlocuteur, ce dernier ne fait que répéter un message appris par cœur comme le ferait un robot.

Mais tout cela n’est rien par rapport à la tyrannie écologique, l’enfer des normes écologiques : pour vivre dans un monde propre, l’homme doit vivre au rythme de la nature : cela va des toilettes sèches à l’interdiction de manger de la viande en passant par l’auto production d’énergie (comme par la greffe de poche pour récupérer le méthane des pets, etc.). D’ailleurs les impôts sont calculés par rapport au bilan écologique individuel.

A la lecture de La vie de Morgan, on pense à Kafka, à Ubu, mais aussi à 1984 ou au Meilleur des mondes, enfin à toute cette littérature qui décrit une tyrannie imposée pour le bonheur des hommes sans prendre en compte l’homme, qui multiplie les normes qui ne sont là de fait que pour le bénéfice des puissants et l’asservissement des plus démunis.

Laurent Ségalat nous décrit une société qui est en germe dans celle dans laquelle nous vivons, son aboutissement « naturel » « inéluctable » : le président « bling bling » qui médiatise la grossesse de sa femme à la veille des élections, une information basée avant tout sur le « people » et les faits divers, une tyrannie des écologistes qui culpabilisent les citoyens, une défense des animaux qui peut aller jusqu’à la négation des hommes, un état à la recherche perpétuelle de nouvelles recettes, une paupérisation de la population et des fonctionnaires, une toute puissance de quelques entreprises toute puissantes qui ne sont gérées que pour leurs profits immédiats sans prendre en compte le bien être de ses salariés et des consommateurs, et surtout une montée de la demande de sécurité, demande avant tout politique et sûrement pas de la société qui la subit, avec ces normes de sécurité qui ont transformé les citoyens en sujets décervelés.

La vie de Morgan fait passer au lecteur un très bon moment, et une fois le livre refermé, il ne peut que se demander comment agir pour que cet enfer vers lequel nous nous dirigeons ne soit pas le legs que nous donnerons à nos enfants.

Emile Cougut


La vie de Morgan

Laurent Ségalat

Editions Michalon. 17€

(Sortie en librairie le 22 août)


Ces articles peuvent aussi vous intéresser