An interactive lecture between French students in Nancy (Lycée Henri Poincaré) and Yoni Berrous from Yad Vashem, International School for Holocaust Studies (I.S.H.S). The pedagogy of humanism in action


La chronique de Patrick KOPP


« La langue est plus que le sang. » Franz Rosenzweig.

Nous sommes à une époque charnière dans l’enseignement de la Shoah. Les survivants passent le relais à ceux qui sont nés après eux. Il s’agit de nous montrer dignes de cette mission et d’aller au-delà de la simple bonne volonté, qui ne suffit pas toujours pour bien faire.

J’ai pu assister à une journée de formation proposée par Yoni Berrous, responsable des activités francophones de Yad Vashem, International School for Holocaust Studies (I.S.H.S). Yad Vashem est le mémorial israëlien pour la mémoire des victimes juives de la Shoah. Le travail s’est fait au Lycée Poincaré de Nancy, avec des équipes d’enseignants particulièrement actifs, non seulement dans le domaine de l’enseignement, mais aussi dans celui du voyage éducatif, comme de la formation à l’enseignement : Luba Klejmann en hébreu, Edwige Fourny en Lettres Classiques, Jean-Marie Grandclaude en histoire, Véronique Bieau en documentation.

J’ai assisté en spectateur à cette formation qui m’a paru excellente dans bien des domaines. J’ai photographié ces jeunes au travail de la culture humaniste.

Le message de Yad Vashem me semble devoir être connu bien au-delà des cercles favorables à son écoute, notamment en France, dans un pays traversé par la crise et la difficulté d’être et de rester tolérant face à l’autre, à l’étranger, malgré la réputation d’être et de rester le « pays des Droits de l’Homme ».

Le premier message consiste à centrer l’enseignement de la Shoah sur les personnes et les parcours de ces personnes. Nous, enfants nés après Auschwitz, avons eu l’habitude d’appréhender l’histoire du XX ième siècle de manière systémique, les deux guerres mondiales, les systèmes économiques et sociaux, le nazisme comme machine et système. Il s’agit de rappeler que la Shoah implique d’abord des personnes et des histoires, des parcours individuels, que des vivants, comme nous, des enfants, des femmes, des hommes, des vieillards, des familles, ont été les cibles de cette destruction, comme d’ailleurs des femmes et des hommes en ont été les acteurs, les responsables, à plusieurs niveaux de culpabilité, de responsabilité ou d’engagement, passif ou actif.
Ce premier message donne lieu à un gigantesque travail de mémoire, consistant à renseigner des fiches de victimes de la Shoah. Yad Vashem s’y emploie depuis 1950 en instruisant ces fiches (4 millions à ce jour) et en les numérisant pour les rendre accessibles au public. Mettre un visage sur un nom, un parcours, rappeler la formation, les métiers, les lieux de vie, les origines et la descendance, un grand travail.
Un élève reprend donc l’histoire de la Shoah, cette fois à partir du concret et des personnes, il se produit alors un rapport de personne à personne, capable de vivifier la présence de l’histoire chez celui qui n’est plus désormais spectateur seulement, mais conscient de participer à l’histoire de son temps et de faire le lien avec le passé.

Le second message de Yad Vashem (tel que je l’ai compris, car Yad Vashem ne se présente ni comme donneur de leçons ni comme dépositaire d’une orthodoxie pédagogique mais au contraire ouvert aux expériences et initiatives) est l’universalisme de l’histoire de la Shoah. Il ne s’agit pas d’une histoire juive, il s’agit d’une histoire européenne dans laquelle les juifs d’Europe ont été impliqués massivement et de manière centrale. Nous, Européens actuels, devons agir pour faire l’histoire, construire et transmettre les travaux. Il s’agit également d’assumer les différentes époques qui nous séparent de la Shoah et nous y unissent désormais. Il faut expliquer et comprendre, la difficulté de témoigner, la difficulté de poursuivre et de juger, la difficulté d’écrire l’histoire, et surtout de dire la réalité avec des mots vrais et simples. Le travail sur la notion de « juste » est particulièrement intéressant. Un juste a lui aussi un parcours, une histoire, ce n’est pas un(e) saint(e). L’histoire est complexe et doit mener aux faits.

Le troisième message est délivré par l’activité même des élèves. Le travail de mémoire sur la Shoah ne fonctionne que s’il est actif au présent, participatif. Les élèves devaient par exemple travailler en groupes et proposer un porte-parole pour présenter à tous, le fruit de leurs travaux. Il s’agissait de commenter des documents d’époque, assemblée d’allemands juifs et non-juifs devant une synagogue libérale à l’occasion d’un mariage, émouvantes images filmées en couleur du quartier juif de Varsovie avant le ghetto. Les étudiants expérimentaient la difficulté de dire les mots, d’expliquer la richesse d’un document, d’un ressenti, de saisir la réalité historique. Le travail faisait des documents un miroir dans lequel nous nous sommes vus, dans notre modernité confiante et interrogative. Des humains face à des humains disparus. Un message terrible et noble : se souvenir et savoir correctement pour agir dans notre monde à nous. Il n’est facile pour personne de dire simplement les choses, de se rendre compte qu’il ne sait pas ce qu’il croit connaître ou qu’il dit mal ce qu’il veut exprimer. Je pensais au magnifique travail du linguiste Victor Klemperer, dans Lingua tertii Imperii (LTI, la langue du troisième Reich), Journal d’un philologue dans lequel l’auteur déconstruit la langue et le jargon nazis. Le nazisme parle la langue de l’ignorance et de la bêtise, et ses armes sont terribles. Nous l’aidons chaque fois que nous nous exprimons mal, nous en détruisons les conséquences lorsque notre langue est juste et notre histoire bien écrite. Un vrai travail maïeutique que de voir des jeunes gens parler de la Shoah, se tromper, rectifier, comprendre. Tel, expliquant un document parle d’abord des juifs, puis se reprenant, tombant dans le faussement politiquement correct en parlant des « gens de confession israëlite », puis comprenant que pour dire juif, le mot juif suffit, qu’il n’est une insulte que dans la terminologie inversée des assassins.

Interactivité enfin, puisque ce travail vivant n’est possible qu’en multipliant et en croisant les angles d’approche, les formations et les actions. Depuis 2001, les enseignants organisent des voyages : participation au Train pour l’hommage aux Justes en 2001, avec un voyage jusqu’à Auschwitz, visité à de multiples reprises depuis. Voyages en Israël et stage à Yad Vashem en 2012-2013. Le cours d’hébreu, le cours de Lettres, le cours d’histoire forment le tissu d’une approche plurielle et précise. Des visites à Paris, à l’occasion de l’exposition des photographies de Roman Vishniac en 2006, des visites en Lorraine, à l’exposition Les Juifs et la Lorraine en 2009. D’anciens déportés, Jérôme Scorin, Régine Jacubert, viennent mettre en évidence le rapport de l’histoire à la mémoire vivante. Ces connaissances activement acquises ne quitteront pas ceux qui les construisent.

Cette journée d’étude s’est terminée par la visite de la Synagogue de Nancy, commentée magistralement par Claire Decomps, Conservateur en Chef du Patrimoine, ancienne élève en Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles (Lettres et Première Supérieures) du lycée Poincaré et de l’Ecole Normale Supérieure.

L’école est un investissement à long terme. De la bonne école !

Patrick Kopp.


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Texte et contexte ( en anglais)


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