Philosophy or lost self confidence ?


La chronique littéraire d’Émile COUGUT.


Je ne suis pas philosophe, je n’ai pas suivi des études supérieures de philosophie, aussi je ne peux polémiquer avec un professeur de philosophie à la Sorbonne et encore moins quand il est membre de l’Institut. Je sais reconnaitre le savoir, le talent. Je sais surtout reconnaitre les limites de mon savoir, de mes connaissances théoriques et encore plus de tous les auteurs, de tous les écrits qui ont fondé la pensée moderne. Aussi, je ne puis dire si telle ou telle citation d’un philosophe (qui comme toute citation est par principe sortie de son contexte) reflète parfaitement la pensée de son auteur, si son interprétation est « la bonne », si on ne peut avoir une autre interprétation et encore moins, si une autre citation, d’un autre auteur, d’un autre courant philosophique ne peut pas être brandie pour amener une contradiction à la première. Je ne le peux pas.

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En revanche je peux lire, prendre du recul par rapport à ce que j’ai lu et surtout essayer d’analyser cette lecture avec le savoir dont je dispose. Bien sûr ce n’est que mon savoir et il est avant tout « pragmatique » car ne reposant pas sur des concepts abstraits, des montages intellectuels théoriques. Mes lectures peuvent m’amener à me poser des questions et à faire l’effort d’y répondre. Mes lectures peuvent m’amener à me poser les mêmes questions que l’auteur sans pour autant partager ses réponses même si elles sont motivées, étayées, confirmées par des grandes figures de la philosophie comme Aristote, Plotin, Saint Augustin, Saint Thomas d’Aquin ou Nietzche.

Rémi Brague est philosophe, j’ai lu son dernier livre Modérément moderne qui vient de paraître chez Flammarion. Je revendique le droit de n’avoir rien compris (est ce le cas ?). Mais je revendique aussi le droit de ne pas être d’accord avec les analyses de l’auteur. Je revendique le droit de penser que certaines des questions qu’il se pose… ne se posent pas, ainsi, pour vouloir toujours justifier ce qui est ? L’homme, en temps qu’homo sapiens sapiens est ! Pourquoi doit-il en plus se justifier de cet état de fait. Il ne viendrait jamais à personne de demander à une fourmi ou à une huitre de justifier leur présence sur terre. Et pourtant, comme l’homo sapiens sapiens, la fourmi et l’huitre ne sont que le stade actuel de millénaires d’évolution. A moins d’avoir une boule de cristal, personne ne pourra dire demain (dans un temps relativement court comme 500 000 ans par exemple) à quoi il ressemblera l’homo sapiens sapiens et surtout s’il sera toujours là. En ce qui concerne la fourmi et l’huitre, la réponse semble plus évidente vu leur ancienneté sur la terre…

J’ai surtout le droit ne pas partager les analyses de l’auteur sur ses interprétations assez personnelles du développement intellectuel et économique au Moyen Âge et sur les différences qu’il fait à cette époque avec l’Islam. J’ai surtout le droit de ne pas partager le point de vu de l’auteur pour qui, si j’ai bien compris, il n’y a pas de salut, avant tout moral, autre que dans le sein de l’église chrétienne apostolique et romaine.

Pourtant je suis comme Rémi Brague, je crois en la tradition, car c’est elle qui permet au présent d’avoir une vraie signification par rapport au passé et de pouvoir bâtir les fondations du futur. J’y crois, les fondamentalistes religieux de tout bord aussi. Mais pour eux la tradition se résume à la lecture littérale, enfin aux dogmes qu’ils tirent d’une lecture littérale, de certains textes « sacrés » avec la volonté de refuser le présent c’est-à-dire la modernité (et pas la modernité de Rémi Brague) pour vivre comme à un temps passé quelque peu fantasmé. Je crois à la tradition, tout en sachant que la tradition c’est aussi hier et pas obligatoirement un temps révolu.

L’homo sapiens sapiens a un gros défaut il a un cerveau quelque peu développé et il s’en sert pour son petit intérêt particulier. Il s’en sert pour améliorer son cadre de vie, trouvant nettement plus pratique de labourer avec un tracteur plutôt qu’avec un araire, nettement moins douloureux pour les femmes d’accoucher sous péridurale que sans. Bien sur cela va à l’encontre de la parole divine recueilli dans la Genèse (je reconnais que je caricature énormément la pensée de l’auteur). Mais c’est parce qu’il pense, qu’il modifie son cadre de vie, sans s’apercevoir dans son insouciance qu’il détruit aussi la terre. Est-ce à dire que son salut passe par une croissance négative tant en économie que sur le plan social ? Je ne le crois pas. Je ne crois pas en économie au mythe de la croissance qui résoudra tous les mots de l’économie française, mais je ne crois pas non plus que la trilogie (qui fait plus que transpirer dans Modérément moderne) : « travail, famille, patrie » soit la solution pour remettre l’homme à sa place dans la société et pour gommer les inégalités qui y règnent.

Le mariage pour tous est, je l’accorde, un vrai choix de société. Il est certain qu’au Moyen Âge il n’était pas à l’ordre du jour. C’est un fait. Mais même si les études des historiens n’ont pas l’air de plaire à Rémi Brague, il n’en demeure pas moins que la notion de couple n’était pas la nôtre et que le mariage (qui ne s’est imposé que tardivement en sa forme définitive) n’avait pas le même signifiant qu’actuellement, mais surtout que les familles « recomposées » y était nettement plus nombreuses qu’à notre siècle. Les hommes mourraient beaucoup à la guerre ou de maladie, et la mortalité à l’accouchement était loin d’être négligeable. Quant à l’homosexualité, il suffit de voir dans les archives du Vatican (voir même les allusions dans les romans courtois et autres fabliaux) le nombre de bulles papales la condamnant pour se poser la question de savoir si elle n’était pas beaucoup plus répandue que ce qu’un XIXème moraliste nous a fait croire. De fait, le mariage pour tous n’est il pas autre chose que la reconnaissance légale d’un état de fait (les couples homosexuels) dont la condamnation se base sur la morale, c’est-à-dire sur un concept de « vivre ensemble » qui évolue avec le temps. Bien sûr je ne parle pas de morale religieuse qui elle se veut intemporelle, encore que… la morale de Saint Augustin ou de Saint Jérôme me parait quelque peu dépassée sur bien de ses aspects. Si on considère que le mariage pour tous est un problème d’égalité, c’est-à-dire un concept qui a été théorisée avant tout durant le siècle des lumières, dont la gauche revendique l’héritage, là je conçois que l’on puisse le critiquer… quand on remet en cause la philosophie sociale des lumières. Si on considère que le mariage pour tous n’est que la légalisation d’un état de fait, cet état de fait préexiste à la loi, il trouve donc de solides racines dans le passé (il n’y a pas des couples homosexuels que depuis la loi ou même que depuis le PACS), et donc la loi ne fait que reconnaitre une « tradition ».

Et si la vie en société c’est autre chose que le vivre ensemble, autre chose que suivre son évolution en prenant en compte la tradition de cette société, alors à mon avis, il n’y a pas de société, d’intérêt général, mais comme le défendait Ronald Reagan ou Margaret Thatcher et tout les économistes de l’école de Chicago qu’une addition d’intérêts particuliers. Je rejette bien sur ce modèle, tout comme je rejette, à l’instar de Rémi Brague, le léninisme ou le nazisme, mais contrairement à lui, je défends la laïcité, même si elle ne me permet pas toujours de répondre à la question : qu’elle est la légitimité de l’Homme sur la terre ? Mais je suis sincère, je ne me pose pas la question, la lecture de Modérément moderne ne me pousse pas à la poser, et je ne m’en porte pas plus mal.

Emile Cougut


Modérément moderne

Rémy Brague

Éditions Flammarion 21€


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