An hymn to Brazil through its history


La chronique littéraire d’Émile COUGUT.


1807 : les troupes du maréchal Junot assiègent Lisbonne, le roi Joao VI, sa famille, la cour part au Brésil pour ne pas tomber dans les mains des armées Napoléoniennes comme ce fut le cas de son beau-père le roi d’Espagne. Rio de Janeiro devient alors la capitale officielle du royaume du Portugal et du Brésil. Ce dernier, de simple colonie, va sous l’impulsion du roi se moderniser, s’ouvrir à l’extérieur.

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Quand le roman de Javier Moro commence, le Portugal n’est plus aux mains des français, mais un pays géré par les anglais. Joao VI est toujours le monarque de ce pays, mais il préfère rester au Brésil, malgré les récriminations de son épouse qui ne supporte pas cet exil. Les relations entre les deux époux sont exécrables. Soit, ils ont eu 7 enfants ensemble, mais elle le trompe à la vue de tous, elle a déjà conspiré contre lui, elle lui reproche son indécision. Joao VI est décrit, de façon quelque peu caricaturale, comme un être faible, qui ne sait pas prendre de décisions, qui ne sait pas imposer sa volonté ni à sa famille ni à son entourage. Il vit dans un monde totalement artificiel, en monarque absolu de droit divin qui ne voit et comprend encore moins que les mentalités, les aspirations de ses sujets ont évolué. Il ne sait que reproduire les cérémonies liées à l’étiquette dont la cérémonie du baise main. Pour autant, il est un grand amateur d’opéra, et le théâtre qu’il fait bâtir dans sa nouvelle capitale verra se dérouler en son sein les moments forts qui marqueront la naissance du pays. Ce roi va se retrouver rattrapé par l’histoire et, en 1821, contre sa volonté, il va devoir repartir au Portugal pour devenir le premier roi constitutionnel, lui, l’anti libéral, a conscience d’être prisonnier de cette assemblée qu’il déteste et qui l’oblige à prendre des décision qu’il réprouve.

Le couple royal eut trois fils. L’ainé, comme le veut la légende noire de la malédiction des Bragance, mourra jeune. Le prince héritier sera donc Pedro. Son frère, Manuel, dit « le bâtard » gardera une jalousie, une rancune profonde à l’encontre de son ainé, sentiments entretenus par leur mère qui vit en lui le moyen de faire aboutir ses rêves de grandeur.

Pedro ne reçut aucune éducation digne de ce nom. Laissé libre de faire ce qu’il voulait, il se montra vite volage, égoïste, imbu de sa personne, sûr de lui. Mais tout au long de sa vie, il sut se montrer courageux aussi bien intellectuellement que physiquement, un père très attentif, un homme ouvert sur les idées de son époque, il fut franc-maçon et compris très vite que pour sauvegarder la royauté, il fallait qu’il se convertisse au libéralisme.
Son mariage, arrangé, fit de lui, le beau frère par alliance de Napoléon. En effet son épouse Léopoldine de Habsbourg, n’est autre que la petite sœur de Marie Louise. Léopoldine se montra d’une fidélité, d’une loyauté, d’un amour, d’une ténacité à toute épreuve durant sa vie. Entre la cour de Vienne et celle décadente de Rio, le choc fut terrible pour elle. C’était une intellectuelle, savante, lettrée, très croyante, mais d’une culture totalement différente de celle de Pedro et de son entourage. Pourtant, elle sut surmonter tous les obstacles, finit par s’ouvrir au libéralisme et s’avéra être une excellente politique dont les avis comptèrent beaucoup pour son mari.

Le destin du couple bascula en 1821 au départ de Joao pour le Portugal. Pedro, contre sa volonté, dut rester au Brésil comme régent. Mais les maladresses répétées de l’assemblée nationale qui, de fait, voulait redonner au Brésil le simple statut de colonie fermée au monde, les tentatives des conservateurs et des ultras libéraux, les circonstances de cette époque en cet endroit du monde, firent que Pedro et son épouse devinrent le ciment des populations habitant le Brésil. Malgré ses réticences, il se vit acculer à proclamer l’indépendance du Brésil le 12 octobre 1822, jour où il écrivit, en plus, l’hymne du pays, trouva sa devise « l’indépendance ou la mort » et créa un drapeau à partir du vert des Bragance et du jaune des Habsbourg. A la fin de la même année, à « la demande du peuple », il se fit couronner empereur du Brésil.

Les débuts de ce jeune pays furent pour le moins difficiles, il fallut renvoyer les troupes portugaises ainsi que les « loyalistes ». Très vite, il se trouva au centre d’un conflit entre les libéraux autour de son « principal ministre » appuyé par sa femme, et une aile plus conservatrice des grands propriétaires terriens esclavagistes autour de sa maîtresse. Cette dernière pris une place de plus en plus importante dans la vie de Pedro, Léopoldine, adulée par le peuple se sentit humiliée, de plus en plus marginalisée et finit par décéder lors d’un accouchement. Le bruit très vite se répandit qu’elle était morte empoisonnée. Cette rumeur se propagea dans le monde entier jusque dans les cours européennes qui refusèrent de donner une nouvelle épouse à l’empereur. Après bien des refus, bien des déboires, après avoir été obligé d’éloigner sa maitresse, il finit par se remarier avec Amélie de Beauharnais de Leuchtenberg, la fille d’Eugène, la petite fille de Joséphine. Mais ce mariage n’arrangea en rien la situation de Pedro. Après une calamiteuse campagne militaire, il perdit la province du sud qui devient la république de l’Uruguay. Son père étant décédé, le Portugal lui demanda de venir régner sous le titre de Pedro IV. Mais il abdiqua en faveur de sa fille ainée Maria. Il fut de plus en plus souvent en butte avec l’assemblée nationale. On lui reprocha de n’être pas un libéral constitutionaliste mais un despote et surtout on lui reprocha de ne pas être né au Brésil. De plus son frère Miguel part un coup d’état se fit couronner roi du Portugal et il s’y comporta en monarque absolu, obscurantiste, pourchassant les libéraux qui venaient se réfugier au Brésil. Les heurts entre eux et les brésiliens se multipliaient entrainant des soulèvements populaires qui se retournèrent contre l’empereur. Il finit par abdiquer en faveur de son fils Pedro et partit en exil en France où il fut accueilli en héros de la liberté par la population, par le roi Louis-Philippe et surtout par les exilés portugais. Il se mit à la tête d’une petite armée et le 25 janvier 1932 il partit pour Porto. Durant plus d’un an et demi, malgré des forces très inférieures, il résistera contre l’armée de son frère, mais ses alliés prirent Lisbonne, Miguel partit en exil et Pedro monta sur le trône en 1833. Mais atteint de la tuberculose, il décédera le 22 septembre 1934.
Son corps, celui de ses deux épouses reposent maintenant dans un mausolée à Sao Paulo.

Javier Moro dessine le portrait d’un homme prisonnier de sa culture, de sa place dans la société brésilienne, de la haute idée qu’il avait de lui-même, un jouisseur qui pour une femme s’est coupé d’un peuple qui l’adulait. Mais surtout un homme d’une intelligence politique évidente, ayant compris que le monde, l’univers dans lequel il a grandi avait fini d’exister. Un homme qui avait avant tout le sens de l’Etat, même si à travers lui, il pensait à la pérennité de la monarchie.

On connait les limites de ce genre littéraire : où est l’histoire, où est la fiction ? Bien sûr l’histoire est dans la correspondance, abondamment citée ; la fiction dans les dialogues, voire dans les explications psychologiques. Parfois certains passages font plus penser à un roman à l’eau de rose (l’humble femme qui se fait aimer par un prince charmant), qu’à une saga. Mais ceux-ci sont rares. L’avantage, pour des non historiens, de lire L’empereur aux mille conquêtes est qu’il se trouve plongé dans un monde qu’il ne connait pas, ou que très peu. Les descriptions de la vie au Brésil en ce début de XIXème siècle sont enrichissantes, ainsi que l’étiquette désuète de la cour portugaise. Mais là où Javier Moro nous ouvre l’esprit, c’est quand, de façon romanesque donc non savante et encore moins pédante, il explique les grands mouvements de pensées qui traversèrent les sociétés occidentales à cette époque autour de l’idée de liberté, aussi bien des peuples et que des individus et de la place du monarque. L’unité du pays, du peuple est aussi un des grands thèmes de cette époque. Joao VI, et Pedro aussi, sont prêts à tous les renoncements pour que le Brésil reste une partie de l’empire, l’éclatement, l’effondrement de l’empire espagnol était une crainte qui ne s’avéra pas être qu’une chimère. Pedro dut jouer sur son charisme, sa popularité, mais aussi sur son courage, voire son inconscience, pour mettre fin aux volontés sécessionnistes de certaines provinces du Brésil. Et si aujourd’hui celui-ci est le plus grand pays d’Amérique du sud, ce n’est que le résultat de son action.

Javier Moro, au-delà de la vie de Pedro écrit un hymne au Brésil, sachant trouver les mots justes pour peindre des paysages aux couleurs chatoyantes

L’empereur aux mille conquêtes est livre plaisant à lire, une saga historique parfois exotique, souvent sérieuse, un livre à lire en vacances pour se reposer intelligemment.

Emile Cougut


L’ empereur aux milles conquêtes


Javier Moro

éditions Robert Laffont. 22€50


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