Sonnet VI

À mes camarades de prison

Bruits lointains de la vie, divinités secrètes,
trompe d’auto, cris des enfants à la sortie,
carillon du salut à la veille des fêtes,
voiture aveugle se perdant à l’infini,
rumeurs cachées aux plis des épaisseurs muettes,
quels génies autres que l’infortune et la nuit,
auraient su me conduire à l’abîme où vous êtes ?
Et je touche à tâtons vos visages amis.
Pour mériter l’accueil d’aussi profonds mystères
je me suis dépouillé de toute ma lumière :
la lumière aussitôt se cueille dans vos voix.
Laissez-moi maintenant repasser la poterne
et remonter, portant ces reflets noirs en moi,
fleurs d’un ciel inversé, astres de ma caverne.

Jean Cassou (1897-1986)


Jean Cassou, 33 Sonnets composés au secret, VI, Paris, Éditions de Minuit, 1944.
© Éditions Gallimard

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Jean Cassou est né en Espagne. Il a 16 ans lorsqu’il se retrouve orphelin de père. Il prépare sa licence d’espagnol à la faculté de Lettres de Paris. Au début des années 1920, il participe à la revue Mercure de France où il tient la chronique « Lettres espagnoles ». En 1923, il écrit son premier roman, Éloge de la folie, et à partir de 1936, il dirige la revue Europe.

Avant 1939, membre du gouvernement du Front populaire (1936), Jean Cassou s’est déjà engagé dans la lutte antifasciste. Résistant dès juillet 1940, il rédige en septembre, pour le groupe de résistants du musée de l’Homme, un tract tiré à des milliers d’exemplaires.

Il est arrêté le 3 décembre 1940. Les 33 Sonnets furent créés dans l’isolement le plus total de la prison de Toulouse, entre décembre 1941 et février 1942. Son compagnon de cellule, Fernand Bernard, est exécuté par la milice en chantant la Marseillaise.

Après sa libération en juin 1943, Jean Cassou fait clandestinement publier ses poèmes aux Éditions de Minuit, sous le pseudonyme de Jean Noir. C’est dans sa cellule qu’il avait appris par cœur les textes, composés de mémoire, une fois la nuit venue, sans crayon ni papier. Dans une préface rédigée en 1962 et signée François-la-colère, Aragon explique comment le poète fut mis au secret dans cette prison militaire de Furgole.

Jean Cassou héberge pendant quelques mois Wilhelm Uhde, collectionneur et galeriste allemand d’origine juive menacé par les nazis.

À la Libération, il participe aux Cahiers de Libération et est nommé commissaire de la République à Toulouse. Il dirige ensuite le musée national d’Art moderne, tout en poursuivant son œuvre de création en qualité de poète, romancier et critique d’art. Il s’éteint en 1986.

in Réseau Canope


WUKALI 04/01/2015


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