Beyond the whispers or the thunders of the actor’s voice


Not I, Footfalls et Rockaby trois courtes pièces de Beckett portées sur scène par le metteur en scène Walter Asmus et déclamées par l’actrice Irlandaise Lisa Dwan à l’Athénée, théâtre Louis-Jouvet jusqu’au 15 mars. Un moment de retour à l’essence même du théâtre et de redécouverte de ces textes trop souvent oubliés.

A priori, sur le thème, rien ne relie ces trois pièces, en revanche sur la forme Beckett s’est essayé à une radicalisation théâtrale qui atteint son climax dans le premier texte de ce triptique : Not I . Pas Moi, en français, est la logorrhée d’une bouche, une bouche qui parle, très vite, se répète, par épanorthose [[L’ épanorthose (substantif féminin), du grec epanorthosis (« redressement »), de orthos (« droit »), est une figure de style qui consiste à corriger une affirmation jugée trop faible en y ajoutant une expression plus frappante et énergique.]] revient sur ses mots, reconstruit sa pensée par des groupements de mots très courts comme une partition musicale séparerait les notes en mesures. Dans le noir complet de la salle, l’actrice décorporisée laisse apparaître sa minuscule bouche rouge. Dans le noir abyssal la petite tache lumineuse qui s’agite au dessus de nos tête est envoûtante, hypnotisante. Nul besoin d’être bilingue pour comprendre ce qui se passe, car même un anglophone laissera passer le sens des mots pour ne saisir que le son, le rythme, le souffle. Lorsque Beckett écrit cette pièce en 1972 il mentionne dans la didascalie initiale deux personnages : la bouche et une figure noire silencieuse qui écoute. Étonnamment ce deuxième personnage sera supprimé par Beckett lui même dans la mise en scène qu’il fait de son texte en 1973 avec Billie Whitelaw. Dans ce dispositif, à qui s’adresse cette bouche, pour qui parle t elle ? À quel corps appartient elle ? Là est la radicalisation théâtrale du personnage proposée par Beckett.

La problématique de l’adresse, du personnage absent se retrouve dans Footfalls et Rockaby où les mots sont dits par un absent ou pour un absent. Un personnage qu’on ne verra jamais mais qu’on entend, qu’on suppose, qu’on imagine. Encore une fois si le texte en anglais n’est pas compris de tous, l’interprétation de Lisa Dwan suffit à nous faire saisir, non pas le sens, mais la force des mots. De plus la répétition en variation de fragments du texte au rythme des pas ou de la bascule d’un rocking-chair crée un effet hypnotique troublant, captivant.

Olécio partenaire de Wukali


De ces trois textes radicalement théâtraux, le metteur en scène Walter Asmus respecte le sens en radicalisant lui aussi sa mise en scène. Peu de liberté sur le premier texte Not I dont la mise en scène a été presque imposé par Beckett lui même dans le texte, mais un fil conducteur pour le reste, une obscurité totale dans la salle qui nous fait perdre tout nos repères : impossible de discerner où commence le cadre de scène, à quelle hauteur est réellement cette bouche. Malgré quelques spectateurs parfois dissipés qui ne peuvent s’empêcher de consulter l’heure sur leur téléphone portable brisant ainsi cette perte de repère, l’immersion dans l’obscurité fonctionne. Sur les tableaux suivants, une robe blanche et un visage cadavérique semblent flotter dans l’espace. On ne sait plus très bien d’où sortent les voix, la bouche disparaît presque par moment dans les ombres du visage. Cette même bouche qui apparaît et disparaît au va et vient du rocking-chair dans Rockaby. Encore une fois, un seul mot me vient : hypnotique. Et c’est peut-être pour ça qu’il est si difficile de parler de ce spectacle, 55 minutes nous a-t- on annoncées, je ne saurais dire, car comme cette bouche suspendue dans le vide je crois que mon esprit m’a lui aussi quitté durant cette expérience théâtrale rare et cette performance d’actrice tout aussi rare.

Ronan Ynard


Illustration de l’entête: photo Justin Downing


WUKALI 13/03/2015


Ces articles peuvent aussi vous intéresser